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Les femmes et la terre

Les questions d’actualité les plus pressantes qui influent sur le développement durable, voilà à quoi s’attaque la collection un_focus du CRDI. Chaque opuscule fait la synthèse des recherches du CRDI pour en tirer les enseignements les plus importants ainsi que les observations et les recommandations les plus pertinentes. Chaque ouvrage constitue en outre un point de convergence vers des pages Web thématiques où le CRDI étudie ces questions plus en profondeur et présente toute l’information que souhaitent obtenir les lecteurs et les internautes de divers horizons. La liste de toutes les pages thématiques un_focus se trouve à www.crdi.ca/un_focus. On peut aussi parcourir et commander les titres de la collection à www.crdi.ca/livres.

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Les femmes et la terre

DES DROITS FONCIERS POUR UNE MEILLEURE VIE

Debbie Budlender et Eileen Alma

 

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Publié par le Centre de recherches pour le développement international CP 8500, Ottawa (Ontario) Canada K1G 3H9 www.crdi.ca/info@crdi.ca

© Centre de recherches pour le développement international 2011

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada

Budlender, Debbie
Les femmes et la terre: des droits fonciers pour une meilleure vie /
Debbie Budlender et Eileen Alma.

(Collection Un focus)
Publ. aussi en anglais sous le titre: Women and land, securing rights for better lives.
Comprend des réf. bibliogr.
Également disponible sur l’Internet.
ISBN 978-1-55250-523-6

1. Discrimination à l’égard des femmes—Pays en voie de développement.

2. Discrimination à l’égard des femmes—Afrique noire.

3. Femmes propriétaires fonciers—Pays en voie de développement.

4. Femmes propriétaires fonciers—Afrique noire.

5. Propriété foncière—Pays en voie de développement.

6. Réforme agraire—Pays en voie de développement.

I. Alma, Eileen

II. Centre de recherches pour le développement international (Canada)

III. Titre. IV. Collection: Focus (Centre de recherches pour le développement international (Canada))

HQ1240.5 A4 B8214 2011        305.4209172’4            C2011-980145-0
ISBN 978-1-55250-526-7 (édition éléctronique)

Il est permis de reproduire et distribuer la présente publication à des fins éducatives et non commerciales, à la condition d’indiquer que le CRDI en est la source et de fournir la référence exacte. Le CRDI est désireux de connaître l’utilisation qui est faite de la présente publication. Si vous prévoyez reproduire ou distribuer du contenu de la présente publication à des fins éducatives et non commerciales, veuillez adresser un message électronique à info@crdi.ca. Si vous souhaitez faire une utilisation commerciale de la présente publication, il est nécessaire d’obtenir l’autorisation du CRDI; veuillez la demander en adressant un message électronique à info@crdi.ca. Tous les noms de spécialité mentionnés dans la présente publication ne sont donnés qu’à titre d’information et le fait qu’ils soient mentionnés ne signifie pas que le CRDI les approuve. Afin de faciliter la lecture du texte, le masculin est utilisé dans la présente publication pour désigner à la fois les femmes et les hommes.

Ce livre, dont le texte intégral est en ligne à www.crdi.ca/livres, constitue l’élément central des pages thématiques du CRDI sur les droits fonciers, l’inégalité des sexes et la pauvreté consultables à www.crdi.ca/un_focus_lesfemmesetlaterre.

Table des matières

Sommaire

xi

Avant-propos

xiii

Chapitre 1. L’enjeu et le contexte de développement

1

La terre est un important moyen de protection contre la pauvreté dans les pays en développement. En de nombreux endroits, les droits des femmes à la terre sont toutefois bafoués, ce qui perpétue la pauvreté et accentue l’inégalité des sexes.

 

Les femmes et la terre

2

Accès, utilisation et contrôle

3

Régime foncier et droit coutumier

6

Décentralisation

8

Politiques et réformes foncières

9

Aspects économiques

9

Impact du VIH/sida

12

Gestion des ressources naturelles

12

Au-delà des politiques foncières

14

Chapitre 2. L’approche

17

Les recherches sur les droits et l’accès des femmes à la terre financées par le CRDI ont commencé au début des années 2000 par un projet sur les sexospécificités, la mondialisation et le régime foncier, lequel visait à comprendre les dimensions sexospécifiques de la gestion des ressources naturelles.

 

Détermination des aspects cruciaux qui devraient faire l’objet de recherches

17

Nécessité d’aller au-delà des généralités

19

Sources des données probantes

20

Collaboration à l’échelle mondiale

22

Méthodes de recherche

24

Gestion des partenariats locaux

25

Octroi de petites subventions par voie de concours

26

Chapitre 3. Les expériences sur le terrain

29

Avec le soutien du CRDI, des chercheurs, des universitaires, des militants de la base et des chefs de communautés de pays d’Afrique subsaharienne ont collaboré à l’étude de nombreux aspects – juridique, coutumier, politique et économique – des expériences vécues par les femmes.

 

Divers aspects de la diversité

31

Relation entre droit coutumier et droit législatif

34

Définition du droit et des pratiques coutumiers

37

Contestation de la « coutume »

40

Prédominance de la coutume

42

Coexistence des droits et pratiques législatifs et coutumiers

45

Points communs et différences entre systèmes de droit coutumier

47

Force de loi ou pression sociale ?

49

Systèmes matrilinéaires et patrilinéaires au Malawi

51

Contestation des pratiques régressives devant les tribunaux

52

Interaction entre les lois matrimoniales et les lois foncières

54

Effets de la décentralisation

55

Politiques et réformes foncières nationales

59

Consentement du conjoint

60

Promotion et protection des droits à l’héritage et des droits de succession

62

Approches informelles (non juridiques)

63

Comparaison des effets des processus coutumiers et juridiques

65

Ignorance de la loi

67

Coût d’un recours en justice

68

Revendications des femmes et développement économique

69

Mode d’utilisation de la terre: un exemple local

71

Chapitre 4. Leçons apprises

77

Les données probantes présentées dans ce livre offrent de nouvelles perspectives aux responsables politiques et aux autres personnes qui cherchent à garantir les droits des femmes à la terre afin de renforcer les collectivités.

 

Leçons sur la recherche

71

Conclusions en ce qui concerne les politiques

79

Politisation du foncier

81

Chapitre 5. Perspectives d’avenir

83

Il reste encore beaucoup à faire, et le CRDI continue d’appuyer la recherche dans ce domaine. Ce dernier chapitre présente certaines questions qui méritent d’être examinées à l’avenir.

 

Action concertée des femmes

83

Sensibilisation et vigilance

84

Efforts à l’échelle du continent africain

84

Création d’un réseau

85

Intégration aux politiques

85

Aspects méritant un recherche plus poussée

86

Une nouvelle génération de dirigeantes africaines

87

Sources et ressources

89

Bibliographie

89

Partenariats

100

Organismes soutenus par le CRDI

101

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Sommaire

L’enjeu

La terre est un important moyen de protection contre la pauvreté dans les pays en développement. En de nombreux endroits, les droits des femmes à la terre sont toutefois bafoués, ce qui perpétue la pauvreté et accentue l’inégalité des sexes. Étonnamment, il existe peu d’informations détaillées sur le rapport des femmes à la terre, et encore moins de données provenant des femmes elles-mêmes. Le présent livre, qui s’inspire des travaux de recherche financés par le CRDI au fil des ans, vise à combler ce vide.

La recherche

Le livre se concentre sur les constatations émanant d’études récentes portant sur 12 pays d’Afrique subsaharienne, où les chercheurs ont examiné de nombreux aspects – juridique, coutumier, politique et économique — des droits des femmes à la terre. Des chercheurs d’organisations non gouvernementales (ONG), des universitaires et des militants de la base ont collaboré avec les collectivités, étudiant les expériences vécues par les femmes dans des cadres précis.

Cinq études de cas sont présentées à
www.crdi.ca/un_focus_lesfemmesetlaterre:

La terre, une promesse de paix en Colombie

À l’aide de stylos de couleur, des Colombiennes redonnent vie au passé sur de grandes feuilles de papier blanc. Elles dessinent le contour du terrain qui était jadis leur foyer et illustrent les expériences qu’elles y ont vécues. Elles dessinent leurs souvenirs de la vie avant le conflit. Elles dessinent les points de repère qui jalonnaient leur quotidien. Elles dessinent les événements qui les ont forcées à partir.

Cette activité apparemment anodine joue un rôle potentiellement essentiel dans le cadre des efforts déployés par la Colombie pour s’attaquer à l’un de ses problèmes sociaux les plus urgents, soit la répartition inégale des terres ayant précipité une guerre civile sanglante qui a duré des décennies et continue aujourd’hui de menacer une paix fragile.

Les solutions locales gagnent du terrain en Afrique de l’Est

Dans le district de Mukono, en Ouganda, un couple récemment séparé a eu un grave différend concernant la terre familiale. La femme avait contracté un emprunt pour acheter le terrain sur lequel son mari bâtit une maison. Lorsqu’il essaya de vendre la propriété après la séparation, la femme en appela à un tribunal local pour pouvoir rester avec les trois enfants du couple sur la terre familiale. Le tribunal se montra réceptif: il statua que l’intérêt des enfants devait primer et que l’homme ne pouvait donc déraciner sa famille en vendant la propriété.

En Ouganda, en Tanzanie et au Kenya, une approche décentralisée de l’administration des terres promet de rendre le règlement des litiges plus accessible aux femmes et de favoriser ces dernières. Les nouveaux systèmes font toutefois face à de sérieux défis, dont les vieilles mentalités empêchant toute discussion réelle sur le droit des femmes à contrôler la terre.

Au Malawi et au Cameroun, le progrès passe par des mentalités nouvelles

Lors de récentes funérailles dans une région du Malawi où les lois coutumières veulent que les terres n’appartiennent qu’aux hommes, un incident a indiqué que les vieilles mentalités sont peut-être en train de changer tranquillement: le chef du village s’est levé et a tenu un discours plutôt inattendu.

On suppose généralement que les chefs, à titre de gardiens du droit coutumier, s’opposent aux réformes législatives qui cherchent à attribuer de nouveaux droits fonciers aux femmes. Cela n’a pas été le cas à cette occasion. Le chef a parlé des coutumes d’héritage, qui écartent régulièrement les veuves et les divorcées de la terre qu’elles ont travaillée avec leur mari, les rendant incapables de subsister ou de nourrir leurs enfants. Selon le chef, il s’agit d’une injustice envers les femmes, mères, soeurs et filles du village qu’il faudrait corriger.

La propriété terrienne, une voie de sortie de la pauvreté au Pakistan

Au Pakistan, la propriété terrienne est reconnue comme le facteur qui contribue le plus à éviter la pauvreté. On reconnaît aussi de plus en plus qu’une meilleure distribution des terres contribue grandement à stopper la dégradation de l’environnement et à progresser vers un développement plus durable.

Les paysans pauvres et sans terre ne peuvent en général faire autrement que d’abuser des rares ressources à leur portée, ce qui alimente un cercle vicieux de destruction de l’environnement et de pauvreté croissante. La propriété terrienne procure une sécurité qui incite ces paysans à préserver plutôt qu’à piller les ressources.

Pendant des décennies, le gouvernement pakistanais a systématiquement écarté les femmes des tentatives de réforme agraire. Puis un projet de recherche inédit qui a sollicité leur participation a ouvert la voie à une campagne provinciale où des terres ont été transférées à des femmes pauvres pour la première fois dans l’histoire du pays.

L’égalité, un effort collectif au Sénégal

Le Sénégal compte de nombreuses ethnies et diverses zones agricoles. Les Wolofs et les Sérères prédominent dans le bassin arachidier, où ils s’adonnent à la culture commerciale, notamment de l’arachide et du millet. En Casamance, la plupart des habitants sont des Diolas cultivateurs de riz. Les Peuls, peuple nomade, font paître le bétail dans les prairies arborées. Ces différents peuples (et d’autres) ont diverses coutumes. Malgré la diversité de leurs pratiques, ils ont cependant un trait commun: ils ne tiennent pas compte des femmes lors des décisions concernant la terre.

Des élus et des chefs religieux ont collaboré avec des chercheurs à la documentation de l’inégalité d’accès des Sénégalaises à la terre, sensibilisant la population et encourageant les femmes à participer aux organes décisionnels.

Les leçons

Ancrées dans des réalités locales, les données probantes résumées dans ce livre visent à saisir la diversité et la complexité des expériences des femmes. Plus important encore, elles offrent de nouvelles perspectives aux responsables politiques et aux autres personnes qui cherchent à garantir les droits des femmes à la terre afin de renforcer les collectivités. Voici quelques-unes des conclusions importantes:

image Les méthodes de recherche axées sur la participation sont beaucoup plus susceptibles de donner des résultats immédiats que les méthodes classiques.

image L’adoption de lois est peu efficace si les ressources nécessaires pour leur application ne sont pas fournies, si l’on n’informe pas toutes les parties prenantes de leurs dispositions, si l’on ne surveille pas les réformes et si l’on ne prévoit pas de sanctions efficaces en cas de non-application.

image Il est essentiel à la fois de consulter les femmes et de veiller à leur participation au moment d’élaborer des réformes et de surveiller leur application.

image L’accès des femmes à la terre ne repose pas simplement sur un choix entre des systèmes coutumier et législatif. La question qui se pose est plus complexe et concerne la manière dont les deux systèmes interagissent et sont utilisés par différents groupes de femmes et d’hommes. Les recherches soulignent aussi la nécessité de considérer le droit coutumier comme un système « vivant » qui évolue.

image L’adoption de diverses approches passant par la simplification et la codification des nombreuses lois foncières dans un pays donné est nécessaire à la lutte contre les injustices foncières. Il est vital d’établir et de maintenir des liens entre la recherche, les politiques, les pratiques et la population.

image On ne saurait trop insister sur l’importance d’offrir enseignement et formation dans diverses disciplines aux jeunes Africaines.

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Avant-propos

La terre, qui relie les aspects économique, culturel, politique et juridique de la vie sociale, est clairement un bien important dans toutes les parties du monde. Pour favoriser l’équité sociale et économique, il est essentiel que les régimes fonciers tiennent compte des intérêts de l’ensemble de la population.

Pourtant, les discussions sur les régimes fonciers ne prennent souvent pas en compte les questions d’accès et de droit à la terre qui sont propres aux femmes. Les politiques publiques dans de nombreux pays ont fait fi des différences entre les droits de propriété des hommes et ceux des femmes; quant au « ménage », on généralise souvent son fonctionnement en l’assimilant à une cellule unique dont les membres ont des intérêts communs et à l’intérieur de laquelle les ressources sont regroupées et utilisées collectivement.

Au cours des dernières années, le Centre de recherches pour le développement international (CRDI), organisme canadien, a appuyé des chercheurs qui collectent des données dénonçant et contestant les politiques et pratiques foncières discriminatoires à l’endroit des femmes. Le présent livre de la collection un_focus s’appuie presque entièrement sur les travaux en Afrique de 24 équipes de recherche financées par le CRDI. Il témoigne également de la volonté de ces chercheurs de faire progresser les droits et l’accès des femmes à la terre par des recommandations en matière de politiques concrètes pouvant amener un changement social.

Le CRDI fait partie des organismes s’intéressant aux très importantes questions socioéconomiques et environnementales qui se dégagent inévitablement des discussions sur le régime foncier. Deux programmes du CRDI ont priorisé la recherche sur les droits et l’accès des femmes à la terre: Pauvreté rurale et environnement et Droits des femmes et participation citoyenne. Le premier visait à renforcer la capacité des pauvres en milieu rural — particulièrement les femmes, les peuples autochtones et les minorités ethniques — à définir et à défendre leurs droits d’accès à des ressources clés comme l’eau, la terre, les forêts, les lieux de pêche et les terrains de parcours. Le deuxième a financé la recherche axée sur la réalisation rapide de l’objectif d’assurer aux femmes un accès égal à la terre et aux autres formes de propriété — lequel a été énoncé dans la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (articles 14 à 16) et entériné par la communauté internationale (ONU, 1979). Ces deux programmes du CRDI ont mis en commun leurs ressources et collaboré au financement d’une bonne partie des travaux de recherche qui sous-tendent le présent livre.

Le livre porte principalement sur l’Afrique subsaharienne, où a été réalisée la majeure partie de la recherche. Quelque 24 projets, qui se distinguent tant par leur envergure que leur méthodologie, ont été menés dans 12 pays africains. Dans le cadre d’un colloque organisé par le CRDI en septembre 2010 à Nairobi, au Kenya, 140 chercheurs ont communiqué les constatations émanant de leurs travaux, y compris à un groupe de parties intéressées. Ce dernier était notamment composé d’organisations de femmes sur le terrain, de décideurs nationaux et locaux, et de bailleurs de fonds (CRDI, 2010). À la fin du colloque, les participants ont produit un document de synthèse contenant des recommandations en matière de politiques et de pratiques, lequel traduit une vision commune des moyens de promouvoir la cause des femmes en Afrique. De nombreuses citations reproduites dans le livre proviennent d’entrevues réalisées à cette occasion.

Nous aimerions remercier très sincèrement les nombreux chercheurs et collègues, passés et actuels, dont la passion et le travail sous-tendent ce livre. Nous remercions tout particulièrement Bob Stanley et Stephen Dale, qui ont participé à la révision, et les membres de l’équipe des communications du CRDI qui nous ont offert soutien et encouragements.

Nous dédions ce livre à toutes les femmes africaines — propriétaires terriennes, habitantes de zones rurales, travailleuses, chercheures, praticiennes ou autres — qui contribuent tant à la famille qu’à l’économie. Elles méritent notre plus grand respect pour la créativité dont elles font preuve dans la revendication de ce qui leur appartient de droit.

Debbie Budlender est chercheure spécialisée à la Community Agency for Social Enquiry, ONG sud-africaine axée sur la recherche en politique sociale.

Eileen Alma est administratrice de programme au Centre de recherches pour le développement international, au Canada, où elle s’intéresse aux droits politiques, économiques et sociaux des femmes marginalisées.

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Chapitre 1
L’enjeu et le contexte de développement

Les documents contenant des énoncés généraux sur les femmes et la pauvreté dans les pays en développement abondent. En général, ces énoncés considèrent les femmes comme un « groupe vulnérable » auquel il faut porter une attention particulière, par exemple au moment d’appliquer des stratégies de réduction de la pauvreté. Certains portent sur les ménages dirigés par une femme plutôt que sur les femmes elles-mêmes. Ils attirent le plus souvent l’attention sur le fait que les ménages dirigés par une femme sont généralement plus pauvres que ceux dirigés par un homme (mais ce n’est pas le cas dans tous les pays).

De nombreux énoncés généraux soulignent aussi que certains groupes de femmes — le plus souvent les femmes rurales et les veuves — sont plus susceptibles d’être pauvres. Certains indiquent que les habitants des zones rurales sont plus susceptibles d’être pauvres que les habitants des villes, et que les femmes, qui sont plus susceptibles que les hommes de vivre en zone rurale, s’en trouvent particulièrement défavorisées.

Cette dernière réalité s’explique en partie par le fait que les hommes sont plus nombreux que les femmes à migrer vers les villes, notamment pour chercher du travail. Ainsi, un grand nombre d’hommes du district de Manhiça, au Mozambique, se rendent à la capitale, Maputo, pour trouver du travail ou s’expatrient en Afrique du Sud pour travailler dans les mines. Comme l’a souligné l’équipe de recherche du Mozambique, il en résulte que les femmes qui restent derrière deviennent chef de famille et prennent le contrôle de l’économie rurale locale (Andrade et coll., 2009). Malgré ces responsabilités, elles demeurent toutefois dépendantes des hommes en ce qui a trait au contrôle des terres et à l’enregistrement foncier.

Les femmes et la terre

La prédominance des femmes dans les zones rurales entraîne une probabilité élevée que la terre assure leur subsistance, et qu’elles en aient besoin pour se loger et élever leur famille. Dans de nombreux pays d’Afrique, la population est encore majoritairement rurale, et la grande majorité des ménages ruraux vivent de l’agriculture. Ainsi, quelque 73 % des Tanzaniens habitent en milieu rural et pratiquent l’agriculture de subsistance (Kassim, 2011).

D’habitude, femmes, hommes et enfants accomplissent des tâches agricoles différentes, mais les femmes y consacrent souvent le plus de temps. À cela s’ajoutent leurs nombreuses autres tâches non rémunérées, dont les travaux domestiques et la cuisine ainsi que le soin des enfants et des parents malades ou âgés. Qui plus est, les femmes sont beaucoup plus susceptibles que les hommes d’être considérées, tant par elles-mêmes que par les membres masculins du ménage, comme des « aides familiaux » non rémunérés.

Étant donné ces constatations générales — les femmes se concentrent dans les zones rurales, dépendent plus de la terre que les hommes, et sont plus susceptibles d’être pauvres —, la question de la terre est de toute évidence fondamentale pour promouvoir les droits et le bien-être des femmes en Afrique. Cette réalité est reconnue depuis longtemps. Ainsi, le slogan officieux de la Décennie des Nations Unies pour la femme (1975-1985) affirmait que « les femmes font les deux tiers du travail dans le monde, mais ne reçoivent que 10 % du revenu mondial et ne possèdent que 1 % des moyens de production ».

Si selon ce slogan, le noeud du problème se situe dans le faible pourcentage de femmes possédant des terres, des spécialistes des sexospécificités commencent à examiner le rapport des femmes à la terre dans toute sa complexité, en tenant compte de la distinction à faire entre l’accès à la terre, son utilisation et son contrôle.

La source et l’exactitude des données du slogan ne sont pas connues, mais il y a lieu de souligner qu’à moins de connaître le pourcentage des moyens de production appartenant à des hommes, le taux de 1 % est discutable. Il se pourrait qu’une part importante des terres, surtout en Afrique, n’appartienne pas à des hommes ou à des femmes comme tel, mais à la collectivité ou à l’État.

Accès, utilisation et contrôle

Pour les sociologues ruraux Jesse Ribot et Nancy Lee Peluso (2003), l’accès est « la capacité de tirer des avantages, notamment d’objets matériels, de personnes, d’institutions et de symboles ». Cette définition les conduit à concevoir l’accès comme « un ensemble de pouvoirs » et non pas nécessairement comme « un ensemble de droits ». La distinction entre accès, utilisation et contrôle est particulièrement importante étant donné la prévalence, en Afrique, de systèmes fonciers coutumiers qui ne contiennent souvent aucun équivalent de la notion occidentale de « propriété ».

Cette distinction n’est pas une simple question de sémantique: de nombreuses femmes pauvres vivant en milieu rural ont accès à la terre et la cultivent, mais elles sont en général beaucoup moins susceptibles que les hommes d’avoir le contrôle de la terre et de ses produits ou d’en être propriétaires. Sur le plan pratique, comme le montrent un grand nombre des projets de recherche mentionnés plus loin, cette absence de contrôle expose de nombreuses femmes à une grande insécurité et les place dans une situation très précaire. Nombre de femmes n’ayant qu’un accès conditionnel à la terre peuvent perdre celle-ci à la mort de leur mari; d’autres peuvent perdre le droit de cultiver la terre dont elles tirent leur subsistance si des hommes de leur famille ou de la collectivité estiment qu’ils en profiteraient en la vendant. Les femmes sont particulièrement menacées à notre époque, caractérisée par la hausse des prix des terrains, la rareté des terres et une concurrence accrue visant le contrôle de cette ressource.

Étant donné que ce sont là des réalités courantes, le Makerere Institute for Social Research (2010), qui a veillé au bon déroulement des recherches financées par le CRDI au Kenya, en Ouganda et au Rwanda, en conclut que « de l’avis général, ce n’est pas l’accès des femmes à la terre qui pose problème dans ces trois pays, mais l’absence de contrôle et de droits de propriété ».

La distinction entre accès, utilisation et contrôle a également des implications importantes pour la formulation des politiques. L’examen des particularités des rapports des femmes à la terre révèle leurs zones de vulnérabilité. Les interventions qui visent simplement à donner aux femmes l’accès à la terre qu’elles cultivent n’amélioreront pas nécessairement leur bien-être et ne leur permettront pas forcément de prendre les commandes de leur vie.

Toutefois, si les femmes se heurtent aux problèmes généraux décrits ci-dessus, les rapports de pouvoir entre les sexes en ce qui concerne les terres et les ressources font sans cesse, et de diverses façons, l’objet de négociations, de contestation et d’opposition. Le présent livre vise à améliorer la capacité des femmes et des personnes qui se considèrent comme féministes à mener de telles luttes.

Nous reconnaissons qu’à moins d’étudier les situations particulières auxquelles font face certains groupes de femmes dans des régions données, il est difficile d’élaborer des politiques favorables aux femmes. Notre compréhension générale de l’importance de la terre et des politiques pour les femmes ne suffit pas: nous devons aller au-delà et examiner les défis particuliers que certains facteurs, comme l’état matrimonial, le type de mariage, l’âge, la classe sociale et les particularités du contexte culturel, créent pour les femmes dans des situations données.

C’est l’approche qu’ont adoptée les chercheurs dont le travail est présenté dans ce livre. L’importance qu’ils accordent à la compréhension des « différences » propres aux expériences particulières des femmes reflète une prise de conscience croissante qu’il est indispensable de tenir compte de la complexité d’une situation pour la comprendre et amener des changements concrets.

Régime foncier et droit coutumier

Le débat sur les dimensions sexospécifiques des régimes fonciers est compliqué par les subtilités des divers régimes. Ces derniers peuvent comprendre des systèmes complexes, informels et officiels, fondés sur la religion ou les coutumes ainsi que sur un cadre juridique ou un cadre de gouvernance.

Il ressort des recherches menées dans nombre de pays que les régimes fonciers consistent souvent en sphères juridiques qui se chevauchent. Différentes normes, règles et sanctions se combinent ainsi de diverses façons. C’est dans ce contexte que les femmes luttent pour leurs droits fonciers.

Plusieurs des projets de recherche financés par le CRDI, dont des enquêtes de grande envergure menées au Cameroun et en Afrique du Sud, se penchent explicitement sur les lois et pratiques coutumières. Même lorsqu’ils ne le font pas, la plupart des projets analysent les coutumes dans une certaine mesure et révèlent leur rôle central, y compris dans des pays où l’on a tenté de réduire leur influence par des mesures législatives. Plusieurs des projets mettent également en évidence les rôles clés joués par les chefs « traditionnels ». Au Zimbabwe par exemple, le chef joue toujours un rôle lors de la redistribution des terres dans le cadre du programme de réforme agraire accéléré (Mazhawidza et Manjengwa, 2011), ce qui donne à penser que les pratiques coutumières limitent la possibilité de réduire les inégalités entre les sexes au moyen de réformes.

Au moins deux questions concernent directement les lois et pratiques coutumières. La première a trait à l’interaction entre lois et systèmes coutumiers et législation « occidentale » (le droit législatif). Le texte des lois (y compris les constitutions) et ce qui se passe dans la pratique ne concordent pas nécessairement. Le second a trait à l’incidence du droit coutumier sur l’accès à la terre (et son contrôle) et sur la sécurité d’occupation. Ici, l’accent est notamment mis sur les réformes relatives à l’enregistrement de la propriété de terres et au mariage.

Tableau 1. Exemples de réformes comportant une décentralisation de l’administration des terres en Afrique de l’Est

Pays

Réforme

Tanzanie

• Application d’un programme de réforme des administrations locales afin de faciliter la décentralisation et d’accroître la participation des citoyens à la gouvernance locale.

• Création du ministère de l’Administration régionale et des Gouvernements locaux en 1998 afin de surveiller la mise en oeuvre du programme.

• Objectif de la décentralisation: prestation de services selon des besoins définis à l’échelle locale, notamment: bonne gouvernance, obligation de rendre des comptes, transparence et autonomie (dont la participation des citoyens au processus décisionnel).

Kenya

• Promulgation de la Constitution kényane en 2010, laquelle prévoit un système de délégation de pouvoirs à deux niveaux: le gouvernement national et les gouvernements de comté.

• Objectif essentiel des gouvernements de comté: permettre aux citoyens de s’autogouverner et accroître leur participation au processus de développement. À la différence d’autres tentatives de décentralisation au Kenya, les gouvernements de comté doivent, en vertu de la Constitution, avoir certains pouvoirs législatifs et former leur propre gouvernement. Un gouverneur est à la tête de chacun des 47 comtés. Les gouvernements de comté ne peuvent être composés à plus de deux tiers de personnes du même sexe.

Ouganda

• La loi foncière de l’Ouganda (Ouganda, 1998) applique les principes énoncés dans la Constitution du pays, adoptée en 1995, relativement au régime foncier, à la propriété terrienne et à la gestion des terres. Elle renforce ainsi les dispositions législatives qui y ont trait, et prévoit des mesures à l’égard de questions connexes ou accessoires.

• Le plan stratégique de 2001-2011 à l’égard du secteur foncier (Ouganda, 2010) constitue le cadre pour la mise en oeuvre des réformes du secteur et pour la gestion des terres, y compris pour l’application de la loi foncière. Le plan facilite la décentralisation des services fonciers et la délégation de la gestion des terres.

• La loi foncière (modifiée) de 2004 (Ouganda, 2004) a réduit le nombre d’institutions chargées de l’administration foncière: les comités fonciers sont passés du niveau des paroisses au niveau des sous-comtés, et les conseils fonciers au niveau des sous-comtés et des villages ont été éliminés. Elle a également accru le pouvoir de négociation des locataires par le contrôle des loyers et par des mesures de protection contre l’expulsion.

Décentralisation

La plupart des pays africains ont procédé à des réformes afin de décentraliser la prestation des services et la gouvernance (voir le tableau 1). Par décentralisation, nous entendons le transfert de fonctions et de ressources, et l’attribution de divers degrés d’autonomie politique et fiscale aux administrations régionales, locales ou municipales. En ce qui concerne la terre, les réformes consistent souvent à créer des institutions notamment responsables de l’enregistrement foncier et du règlement des différends. La décentralisation peut ainsi offrir de nouvelles possibilités de participation et de représentation aux femmes et aux hommes relativement à des enjeux qui les touchent de près.

Toutefois, les approches de la décentralisation se distinguent entre autres par leur ampleur, le sérieux avec lequel les réformes sont engagées et les ressources attribuées à leur mise en oeuvre. En outre, si elle peut offrir des possibilités de participation aux femmes, la décentralisation peut aussi nuire à leur accès à la terre et à leur contrôle de la terre.

Certaines des réformes comportent explicitement des dimensions sexospécifiques. Par exemple, plusieurs pays ont instauré un quota minimum de femmes pour le personnel des nouvelles institutions. Les projets de recherche financés par le CRDI semblent cependant indiquer que les réformes et les nouvelles « règles » sont souvent mal communiquées et peu connues, même des personnes qui sont directement responsables de leur mise en oeuvre. Même lorsqu’elles sont connues, diverses forces, socioéconomiques et autres (dont l’inégalité des sexes), influent sur la manière dont elles sont appliquées, voire déterminent si elles le sont. Plusieurs des projets de recherche étaient axés sur la décentralisation, alors que dans certains cas la décentralisation a été identifiée comme une question en cours de route.

Politiques et réformes foncières

Les nouvelles politiques et réformes foncières comportent parfois des aspects qui cherchent explicitement à s’attaquer aux problèmes d’égalité des sexes, notamment au moyen de dispositions à cet égard. Les politiques foncières qui ne comprennent pas de telles dispositions ont néanmoins des répercussions différentes sur les femmes et les hommes, et sur différents sous-groupes de femmes et d’hommes. En particulier, les politiques qui cherchent à commercialiser et à privatiser les terres dans l’espoir de stimuler l’investissement et la croissance économique peuvent avoir des conséquences néfastes sur l’accès des femmes à la terre et leur contrôle de la terre.

Aspects économiques

La terre étant un « moyen de production » clé, toute analyse de la question des femmes et de la terre doit tenir compte des aspects économiques. Il ne s’agit pas de nier la valeur symbolique de la terre. En effet, comme l’ont fait ressortir plusieurs de projets de recherche, la terre est un élément fondamental de la citoyenneté, car l’existence d’une nation passe par un territoire défini. En outre, dans de nombreux systèmes de croyances africains, la terre représente un lien important avec les ancêtres. Elle remplit notamment cette fonction spirituelle en offrant des lieux de sépulture.

Cela dit, les aspects économiques sont essentiels pour les populations rurales, car, outre la sécurité alimentaire, la terre représente un moyen de survie et, si l’on est optimiste, une voie vers l’autonomisation économique. Les politiques et pratiques foncières jouent un rôle clé en ce qu’elles déterminent si la richesse et la propriété terrienne seront toujours concentrées entre les mains de quelques-uns ou si l’on parviendra plutôt à accroître l’équité sociale et l’égalité des sexes grâce à des programmes de redistribution. Par ailleurs, les politiques foncières jouent souvent un rôle décisif dans le choix des cultures, et déterminent si les cultivateurs se sentiront suffisamment en sécurité pour appliquer des méthodes d’agriculture durable qui n’épuisent pas la terre.

En général, les aspects économiques sont considérés de manière restrictive, l’accent étant mis sur l’argent, le revenu gagné et l’autosuffisance. Les économistes féministes contestent cette interprétation étroite qui ne prend pas en compte la prestation quotidienne de multiples services domestiques non rémunérés — dont le ménage, la cuisine et les soins apportés aux autres — par la plupart des femmes. Ce travail domestique non rémunéré est reconnu comme du « travail » et de la « production » par l’Organisation des Nations Unies et des organismes tels que la Banque mondiale et l’Organisation de coopération et de développement économiques. Il n’est cependant pas toujours « compté » dans le calcul du produit intérieur brut et n’est donc pas « palpable » pour beaucoup d’économistes, même s’il est la clé du développement des ressources humaines et du bien-être général des familles et des particuliers.

L’élargissement de cette interprétation restrictive permet de saisir l’importance primordiale de la terre comme lieu de résidence sûr. La recherche menée au Cameroun (Fonjong et coll., 2009) a révélé une différence entre la perception des femmes et celle des hommes ordinaires (pour ne rien dire des économistes) à cet égard. Le sens que les gens donnent à la terre n’est pas fondé sur les catégories juridiques existantes, mais sur son utilité dans leur vie de tous les jours. Ainsi, la plupart des participantes à l’étude camerounaise considéraient la terre surtout comme une source de revenu et de nourriture. Sa valeur comme facteur de production était secondaire. Les hommes, par contre, considéraient la terre en premier lieu comme un facteur de production, en second lieu comme une source de richesse et de statut social, en troisième lieu comme une source de revenu et de nourriture et, enfin, comme un lieu de résidence. Les intérêts des femmes et des hommes par rapport à la propriété et au contrôle de la terre sont manifestement différents.

Selon certaines données sur l’utilisation des terres obtenues dans le cadre des projets de recherche, les responsables de politiques foncières ne devraient pas supposer que tous les habitants des régions rurales considèrent la terre avant tout comme un moyen de production agricole. Une enquête menée auprès de 108 femmes par l’organisme kényan Young Widows Advancement Program (2011) a permis de constater que 20 % des répondantes vivaient sur des terres qu’elles n’utilisaient ni pour l’agriculture, ni pour en tirer d’autres revenus. Par contre, au Rwanda, 10 des 50 femmes qui étaient en train de revendiquer des terres ne vivaient pas sur le terrain revendiqué; toutefois, dans 41 de ces 50 cas, la terre revendiquée était surtout utilisée à des fins agricoles. En Afrique du Sud, un peu plus d’un quart des femmes interrogées vivaient dans des propriétés donnant accès aux champs; moins de la moitié de leurs ménages avaient utilisé les champs au cours des douze mois précédant l’enquête.

Il n’est peut-être pas surprenant que les femmes reconnaissent plus particulièrement l’importance de la terre en dehors de son utilisation à des fins de production agricole. Cette attitude découle en bonne partie de la séparation entre espaces public et privé: les femmes sont susceptibles de passer une plus grande partie de leur vie dans l’espace privé (le « foyer »), voire d’y être confinées. Elles sont responsables des enfants et de la famille, ce qui restreint leur mobilité. C’est pourquoi on peut s’attendre à ce qu’elles soient particulièrement préoccupées par la sécurité d’occupation.

Impact du VIH/sida

Les effets dévastateurs de l’épidémie de VIH/sida en Afrique ont également accru l’importance de la sécurité d’occupation aux yeux des femmes. Dans de nombreuses cultures africaines, les femmes mariées ont accès à la terre à travers leur mari. Par conséquent, la probabilité accrue que leur mari meure jeune augmente le nombre de femmes qui vivent une insécurité d’occupation et qui risquent de perdre leur domicile. Dans certaines cultures, une veuve conserve le droit de vivre dans la propriété de son mari grâce à un système en vertu duquel elle est forcée d’avoir des rapports sexuels, voire de se marier avec l’un des parents masculins de son mari. Étant donné le taux élevé de prévalence du VIH, cette option n’est attrayante pour aucune des deux parties, et les cas de veuves perdant l’accès à la terre se sont donc multipliés.

Cette réalité était une préoccupation essentielle dans le cadre de deux projets de recherche menés au Kenya. L’insécurité d’occupation n’existe cependant pas seulement dans les situations où sévit une épidémie de VIH/sida. Ce problème, qui est analysé plus en détail au chapitre 3, peut aussi se poser lors de conflits politiques, d’occupations illégales de terres et d’autres perturbations.

Gestion des ressources naturelles

Les droits fonciers ne sont qu’une mesure parmi d’autres de sécurité des moyens de subsistance des femmes. Il se pose aussi le problème des ressources productives comme l’eau et les forêts, lesquelles sont régies par divers cadres, normes et valeurs mettant en jeu des relations sociales complexes. Les structures sociales et les coutumes qui empêchent les femmes d’utiliser la terre ont souvent des répercussions sur ces ressources indissociables.

Il est largement admis que, malgré leur rapport complexe aux ressources productives, les femmes restent généralement à l’écart des processus de prise de décisions à leur sujet, notamment pour des raisons culturelles. Par exemple, même si elles sont le plus directement touchées par l’accès à l’eau potable, elles participent rarement aux institutions locales de gestion de l’eau comme les associations d’usagers de l’eau. Les femmes peuvent posséder des terres à des fins de production agricole, mais il leur est souvent difficile d’obtenir des droits d’irrigation en raison d’obstacles institutionnels.

Cette réalité pose un problème particulier lorsque les ressources appartiennent à des membres ou aux élites d’une communauté. Elles ne peuvent alors être utilisées qu’au gré de leur propriétaire, qui peut se prévaloir de ce pouvoir pour exercer un contrôle sur les pauvres.

Les ressources collectives sont essentielles aux stratégies de subsistance de nombreux membres de communautés rurales, particulièrement les personnes ou les groupes marginalisés qui ne peuvent obtenir des droits d’accès à des ressources données. L’utilisation de ressources collectives comprend l’accès à des ressources telles que les zones humides et le bois de chauffage.

En général, dans les systèmes patriarcaux, ce sont les hommes qui contrôlent les ressources collectives comme la terre et les droits d’irrigation connexes, même si les femmes en sont les principales utilisatrices. Les politiques sur les ressources collectives ne tiennent souvent pas compte de cette réalité et des relations de pouvoir, et renforcent la dynamique sociale existante par la mise en oeuvre de cadres conçus pour profiter au chef de famille légal, qui est généralement un homme. Leur manque d’accès à des ressources indissociables comme l’eau et les terres collectives peut également empêcher les femmes d’acquérir d’autres biens, notamment du bétail. Les ressources collectives permettent aux femmes d’y obtenir l’accès et de réclamer des droits d’utilisation, mais les mécanismes institutionnels appropriés doivent être en place pour soutenir leurs revendications.

Au-delà des politiques foncières

Les recherches décrites dans le présent livre ont été menées dans le contexte de réformes passées et en cours. Nombre de ces réformes concernent la terre en général et certaines, comme la codification des systèmes juridiques, visent entre autres l’égalité des sexes. Certaines d’entre elles s’attaquent aussi directement aux problèmes liés aux sexospécificités. De nombreuses autres, comme la décentralisation ou la commercialisation, ne sont pas nécessairement considérées comme portant sur ces problèmes ou influant sur les rapports entre les sexes, mais elles ont des effets importants — aussi bien positifs que négatifs — sur les femmes. Toutefois, comme l’a noté Razavi (2003), l’introduction de formes « modernes » d’attribution de titres fonciers a souvent donné du poids aux revendications foncières des hommes et affaibli celles des femmes, fondées sur le droit coutumier.

Un grand nombre des projets de recherche visaient notamment à étudier les effets des réformes. Certains projets cherchaient à déterminer la mesure dans laquelle les réformes, qui devaient en principe promouvoir l’égalité des sexes, ont atteint leur objectif et, si elles ne l’ont pas fait, pour quelles raisons.

Il est de plus en plus reconnu que les solutions aux problèmes des droits des femmes à la terre doivent tenir compte des spécificités locales… Toutefois, sur le plan des politiques, cela pose des problèmes pratiques… Malgré le consensus quant à la nécessité de tenir compte des différentes situations des femmes, les diagnostics posés et les politiques préconisées pour promouvoir les droits des Africaines à la terre présentent des similitudes remarquables. Tsikata (2010)

Dans certains cas, les recherches s’intéressaient au succès ou à l’échec d’autres réformes, lesquelles ne portaient pas directement sur les questions liées à la terre mais cherchaient à promouvoir l’égalité des sexes, et à la façon dont ces réformes ont influé sur l’accès des femmes à la terre et sur leur contrôle de la terre. L’étude de cas du Rwanda, centrée sur les lois matrimoniales qui devraient influer sur les droits des femmes à la terre, en est un bon exemple.

Certaines des constatations émanant des recherches aideront à élaborer des politiques et à guider les interventions dans des domaines tels que les changements climatiques, l’environnement et la sécurité alimentaire. La recherche au Mozambique sur la culture de la pourghère aux fins de production d’un biocarburant en est un exemple de premier plan. Comme l’explique l’un des documents de recherche, la promotion de la production de pourghère a certes des objectifs environnementaux louables, mais elle a jusqu’à présent nui à certaines femmes. La recherche s’est centrée sur Manhiça, l’un des districts concernés par les négociations entre le gouvernement du Mozambique et des investisseurs étrangers. L’objectif des chercheurs était de déterminer si et comment les femmes réussissaient à obtenir des subventions dans un contexte où les terres traditionnellement utilisées aux fins de l’agriculture de subsistance sont progressivement consacrées à l’agriculture commerciale, surtout pour la production de biocarburants.

La pourghère est l’une des plantes qui servent à la production de biocarburants. […] Mais en fait, même si l’intention est bonne, en fin de compte, cette pratique nuit aux communautés. […] Voilà ce qu’il en est de la pourghère. Sur les lieux de la plantation de canne à sucre qui approvisionne l’industrie sucrière, on relève un autre aspect: des ressources naturelles comme l’eau sont détournées de leur usage par les communautés ou les agriculteurs locaux afin d’alimenter l’industrie sucrière. Graça Samo, Fórum Mulher (2009)

Le chapitre 2 présente l’approche adoptée par le CRDI pour identifier ces problèmes dans certaines régions d’Afrique et s’employer à les résoudre. Le chapitre 3, quant à lui, décrit les constatations émanant des nombreux projets financés par le Centre.

Chapitre 2
L’approche

Détermination des aspects cruciaux qui devraient faire l’objet de recherches

Les recherches sur les droits et l’accès des femmes à la terre financées par le CRDI ont commencé au début des années 2000 par un projet sur les sexospécificités, la mondialisation et le régime foncier, lequel visait à comprendre les dimensions sexospécifiques de la gestion des ressources naturelles. Le projet a soutenu des recherches au Ghana, au Cameroun et au Kenya portant sur les rapports entre les aspects globaux et à petite échelle des régimes fonciers. Les études de cas ont ensuite été étendues au Vietnam, au Brésil, à la Bolivie et au Pérou, et l’ensemble des études est à l’origine d’un livre coédité par le CRDI et Zubaan et intitulé Land Tenure, Gender and Globalisation (Tsikata et Golah, 2010).

Le CRDI a fait fond sur ce premier projet en priorisant la recherche sur les droits et l’accès des femmes à la terre en Afrique subsaharienne, collaborant avec des établissements de recherche à des études tant sur un pays donné que sur plusieurs pays à la fois. L’approche était fondée sur des recherches féministes contemporaines qui avancent que si l’on veut que les femmes puissent revendiquer leurs droits de citoyennes, l’indépendance économique et la sécurité des moyens de subsistance doivent aller de pair avec l’autonomisation politique et sociale.

Le CRDI a commandé une série d’études approfondies pour jeter les fondements d’un programme d’appui aux femmes rurales lequel améliorerait leur situation. Si ces études sous-régionales ont laissé entrevoir l’existence de problèmes communs et de solutions potentiellement applicables à plusieurs pays, elles ont aussi permis de dégager des réalités locales particulières qui rendent chaque situation unique. Chaque étude visait à

image détecter les organismes, les réseaux et les personnes clés qui s’intéressent activement aux questions d’égalité des sexes et de régime foncier;

image fournir un résumé du travail réalisé par les organismes participant à la recherche et au développement dans ce domaine;

image déterminer les problèmes cruciaux qui doivent être abordés.

En outre, les études ont fait ressortir des possibilités de recherche qui pourraient renforcer la valeur des études existantes et examiner les moyens d’améliorer les droits et l’accès des femmes à la terre et aux ressources. Elles comportaient des examens de publications régionales, des consultations avec de nombreux organismes jouant un rôle actif à l’égard des questions d’égalité des sexes et de régime foncier dans les pays concernés et, dans certains cas, des visites sur le terrain à des projets connexes.

Le présent livre porte sur les questions, soulevées dans ces études, qui reviennent dans le cadre de nombreux projets. L’examen de ces questions au chapitre 3 souligne les similitudes qui ressortent clairement.

Nécessité d’aller au-delà des généralités

Comme nous l’avons indiqué au chapitre 1, les recherches financées par le CRDI comptaient parmi leurs principaux objectifs celui de permettre de mieux comprendre la manière dont les droits fonciers limités des femmes rurales les rendent plus susceptibles d’être pauvres. Les chercheurs visaient à aller au-delà des généralités qui soutiennent cette idée en compilant des données détaillées démontrant les répercussions de divers facteurs (dont l’état matrimonial et le type de mariage, les rôles des hommes et des enfants, la classe sociale, la race et les particularités culturelles) sur certaines femmes dans des collectivités données.

Comme le fait remarquer Patricia Kameri-Mbote de l’Université de Nairobi, ce type de recherche qui examine les effets de conditions particulières sur des groupes de femmes donnés était rare jusque-là:

La plupart des récits… [portaient] sur les femmes en général, pas sur des femmes de ces collectivités particulières. On dirait donc que ces dernières sont ignorées: il y a des études sur les femmes et des études sur les collectivités, mais aucune sur les femmes de ces collectivités.

La recherche ciblant l’expérience de diverses femmes d’une collectivité donnée est plus susceptible de dégager des solutions profitables à plusieurs groupes. (Par exemple, si l’étude porte sur des veuves âgées dont on suppose que la situation est représentative de toutes les femmes, les politiques qui en découlent sont susceptibles d’exclure les femmes de profils différents.) Les politiques qui tiennent compte d’une multitude de facteurs seront presque à coup sûr utiles à plus de femmes dans divers lieux. Elles sont aussi plus susceptibles de s’attaquer — de diverses manières, selon le contexte particulier — aux causes profondes des inégalités sociales et économiques dont sont victimes les femmes. Les politiques fondées sur des généralités, en revanche, risquent de ne pas être utiles à nombre de femmes qu’elles sont censées aider.

La portée des études mentionnées dans le présent livre reflète cette compréhension de l’importance des lieux et des différences entre localités. Nous nous inspirons principalement de 24 projets de recherche, financés par le CRDI, qui ont été menés dans 12 pays d’Afrique. La décision de se concentrer sur l’Afrique découle de la réalisation que les constatations sur les femmes et la terre émanant d’études réalisées en Asie ne s’appliquent peut-être pas au continent africain. Les constatations issues de recherches menées dans une région de l’Afrique ne s’appliqueront pas non plus nécessairement à une autre, étant donné l’énorme diversité entre pays, voire à l’intérieur même des pays. En nous fondant sur des recherches effectuées dans un certain nombre de pays, nous pouvons donc tenir compte de cette diversité, et constater les similitudes et les différences qui existent entre différents contextes.

Sources des données probantes

La décision du CRDI de financer certains types de recherches sur les droits et l’accès des femmes à la terre découle de la préoccupation que ce sont rarement les femmes concernées qui parlent de leurs problèmes et écrivent là-dessus. Parallèlement, les femmes concernées participent rarement à la formulation de politiques visant à résoudre « leurs problèmes », et ne sont souvent même pas consultées là-dessus. Bon nombre des projets de recherche ont donc accordé une place particulièrement importante aux récits des femmes rurales. Certains projets portaient tout particulièrement sur les femmes qui avaient revendiqué leurs droits fonciers. Par ailleurs, les équipes de recherche comprenaient souvent (ou collaboraient avec) des organismes travaillant avec les femmes rurales.

Des collaborateurs de recherche inhabituels


Comme le montre la diversité des établissements participant au projet de recherche-action réalisé à Madagascar, certains des projets du CRDI ont favorisé une collaboration entre partenaires qui ne travailleraient normalement pas ensemble. Le projet de Madagascar est particulièrement intéressant, car c’est un organisme gouvernemental qui en a pris la direction. Le partenariat comprenait:

• le Centre national pour le développement rural, centre de recherche gouvernemental qui se penche sur les questions agricoles et sexospécifiques (responsable du projet);

• le réseau Solidarité des intervenants sur le foncier, association non gouvernementale nationale qui se penche sur les questions foncières;

• FilazanaVaovaoTsy Marina, fédération non gouvernementale d’associations de femmes rurales;

• le Réseau syndical des organisations agricoles, organisme-cadre national qui regroupe des associations de fermiers;

• Harmonisation des actions pour la réalisation d’un développement intégré, ONG qui se consacre à des questions de développement, dont l’accès à la terre et la sécurité d’occupation.

Ce partenariat visait à sensibiliser l’ensemble de la population aux problèmes fonciers malgaches, dont ceux des femmes. Il devait ainsi améliorer l’analyse et la planification sexospécifiques, et accroître la possibilité de changements sur le plan des politiques. L’adoption de ce modèle a également permis de sensibiliser les gens à l’importance de la recherche, et de renforcer les capacités en conception de la recherche. En fin de compte, la collaboration de Madagascar, comme d’autres ailleurs, a favorisé l’appropriation de la recherche à l’échelle locale.

De la sorte, les femmes rurales étaient non seulement des sujets de recherche, mais aussi des partenaires et des agentes de changement. La recherche ne s’est pas non plus limitée à leurs récits: les citadines sont également aux prises avec de graves problèmes, et les flux migratoires brouillent souvent les lignes de démarcation entre milieu urbain et milieu rural. Dans quelques cas, la recherche portait donc aussi sur les femmes en milieu urbain.

Les recherches ont fait l’objet de partenariats entre personnes travaillant dans divers établissements. Des équipes de centres de recherche renommés au sein d’universités africaines ont mené des recherches déterminantes, sur le plan de la théorie comme sur celui des politiques. De plus, plusieurs projets ont été entrepris avec des ONG (parfois en collaboration avec des centres spécialisés) ou des organismes gouvernementaux. Les équipes de recherche étaient formées notamment de spécialistes en questions sociales, économiques, juridiques et environnementales.

Les processus d’octroi de subventions de recherche du CRDI accordent en général beaucoup d’importance au renforcement des capacités. La plupart des projets de recherche sur les femmes et les droits fonciers, sinon tous, ont comporté divers degrés de renforcement des capacités. Sur le plan organisationnel, une formation sur les méthodes de collecte et d’analyse des données a été offerte; sur le plan personnel, cela comportait le financement d’une nouvelle génération de femmes universitaires. Ces dernières ont collaboré soit à titre d’adjointes à la recherche, soit dans le cadre de leurs études doctorales. En outre, le CRDI et les bénéficiaires de ses subventions ont entrepris des efforts directs de renforcement des capacités en réunissant des équipes de recherche entières pour les former à la communication et aux techniques de diffusion. En définitive, l’un des résultats les plus importants de ces recherches est l’amélioration de la capacité d’analyse sexospécifique d’une question d’une importance cruciale pour l’Afrique.

Collaboration à l’échelle mondiale

Dès le départ, il était important de nouer le dialogue avec d’autres acteurs importants sur l’échiquier mondial pour qui les questions de régime foncier et d’administration des terres sont des préoccupations de premier plan. Le CRDI a donc établi des partenariats stratégiques à l’égard de certains éléments de programmation au début du cycle de planification de la recherche. Par exemple, la planification du projet sur les femmes et la terre a compris l’établissement d’un groupe consultatif mondial composé de représentants de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, de la Coalition internationale pour l’accès à la terre, du Fonds international de développement agricole, de l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires, de l’International Center for Research on Women, de l’Agence canadienne de développement international et, enfin, de l’Institut international pour l’environnement et le développement.

Ce groupe consultatif s’est réuni en mai 2006 avec des experts provenant de plusieurs régions d’Afrique afin de déterminer la voie à suivre. Les participants à la réunion ont convenu de la question fondamentale sur laquelle les chercheurs voulant contribuer à un programme transformateur devaient se pencher: comment la recherche peut-elle favoriser l’autonomisation des femmes et encourager leur action ? Ils ont également convenu qu’il était essentiel de synthétiser et de compléter les données existantes, plutôt que de seulement produire de nouveaux travaux de recherche.

Le CRDI a également établi des relations avec des organismes de renom vers la fin du cycle de recherche afin d’accroître la diffusion des résultats et leur rayonnement, et d’obtenir le soutien nécessaire à une plus grande influence sur les politiques. S’appuyant sur les résultats positifs obtenus récemment dans le cadre de ses partenariats sur la décentralisation, les pouvoirs locaux et les droits des femmes, le CRDI a collaboré avec le Programme des Nations Unies pour le développement, ONU-Habitat et plusieurs organismes d’aide bilatérale à la présentation et à la communication des travaux de ses partenaires de recherche africains. Le Centre a par ailleurs tissé des liens avec des dirigeantes d’organismes communautaires par l’intermédiaire de la Commission Huairou. Cette dernière est une coalition mondiale qui cherche à améliorer les pratiques de développement local des organisations de femmes sur le terrain et à leur permettre collectivement d’exercer un pouvoir politique à l’échelle planétaire.

Méthodes de recherche

L’un des défis que présente la synthèse d’un important corpus de recherche est celui de concilier différentes méthodes de recherche. Les travaux de recherche cités dans le présent ouvrage sont souvent classés soit dans la « recherche-action », soit dans la recherche « comparative », approches dont chacune présente des avantages et des inconvénients.

Plus de la moitié des projets tombaient dans la catégorie de recherche-action; les parties prenantes participent alors au projet et peuvent renforcer les actions et les capacités à l’échelle locale. Par exemple, le renforcement des capacités de collecte de données peut être lié au militantisme de la base par la collecte de récits et par le rassemblement de femmes et de leurs organismes pour leur permettre d’échanger sur leurs expériences. La recherche-action, surtout quand elle implique d’enregistrer ou de recueillir et de communiquer des données, renforce la capacité à acquérir des données qualitatives fiables et contribue ainsi à un processus d’autonomisation. Le désavantage est que ce type de recherche crée parfois des attentes que les équipes de recherche ne sont pas en mesure de satisfaire.

D’autres projets se sont fondés sur une méthode de recherche comparative, dont l’objectif est de cerner les thèmes communs dans différents districts, pays et sous-régions, et les leçons à retenir. Par exemple, certains projets de recherche consistaient en des analyses comparatives de régimes fonciers décentralisés dans divers pays et des changements que ces régimes connaissaient. Lorsqu’ils sont entrepris en partenariat avec des organisations et des acteurs clés qui veulent faire avancer une cause, cela peut améliorer la collaboration entre ces groupes. Une recherche comparative exige qu’il y ait un cadre théorique et méthodologique commun, donc que les projets partagent au moins certaines questions de recherche.

Gestion des partenariats locaux

Le projet de recherche entrepris par le Young Widows Advancement Program au Kenya illustre la possibilité de bien gérer les tensions qui peuvent surgir lorsque des objectifs et méthodes différents sont utilisés à des fins de recherche et d’organisation. Dans le cadre du projet, les chercheurs ont utilisé des questionnaires structurés pour s’entretenir avec 108 veuves résidant à Kayole. En se fondant sur ces données, ils ont ensuite choisi les femmes qui participaient à une recherche-action comprenant des entretiens libres d’une durée de près d’un jour au domicile des femmes concernées. Par ailleurs, les chercheurs ont tenu des réunions de groupe bimestrielles avec l’ensemble des femmes pour discuter des raisons pour lesquelles leurs consoeurs avaient été choisies. Ils ont ainsi cherché à éviter de susciter la rancoeur de celles qui n’avaient pas été retenues. Les chercheurs se présentaient aux entretiens avec les participantes avec un panier d’aliments pour la famille, pour les remercier du temps consacré à l’entretien et tenir compte de l’hospitalité ancrée dans la culture africaine. Cela souligne l’importance de connaître les besoins et préoccupations des collectivités, et d’y être attentif. Cette approche a contribué à gagner la confiance de la collectivité, ce qui a permis aux chercheurs de recueillir des données fiables.

De la même façon, il a été important pour l’Uganda Rural Development and Training Program d’acquérir une compréhension approfondie des collectivités étudiées. Les chercheurs ont pu découvrir que leur échantillon de recherche était faussé, car ils connaissaient suffisamment la dynamique de la collectivité pour se rendre compte que leurs contacts au village ne recommandaient que des candidats de leur profil social. (Dans ce cas, le processus menait à une surreprésentation de femmes mariées.) Ces contacts choisissaient également des parents et amis dans l’espoir de profiter financièrement de leur participation.

Nombre de chercheurs ont souligné l’importance de travailler également avec d’autres parties prenantes de la collectivité au lieu de se limiter aux femmes. Par exemple, certains ont fait observer que le rôle des hommes devrait être pris en compte pour éviter d’engendrer de la rancoeur, voire de la violence dans les contextes où de nouvelles possibilités s’ouvraient exclusivement aux femmes. Dans des régions où prédomine le droit coutumier, certains ont estimé important de nouer le dialogue avec les chefs traditionnels, qui sont susceptibles de juger les projets de recherche-action selon leur compréhension des lois coutumières. Il peut aussi être utile de mobiliser les tribunaux, la police et d’autres acteurs institutionnels quand on s’attaque à l’écart entre les politiques ou les cadres juridiques et l’application.

Octroi de petites subventions par voie de concours

Environ un tiers des projets financés faisaient partie d’un vaste programme de recherche-action supervisé par la Coalition internationale pour l’accès à la terre (ILC) dans le cadre duquel la sélection se faisait par voie de concours. Le programme était administré par le Makerere Institute for Social Research (Ouganda) en Afrique de l’Est et l’Institute for Poverty, Land and Agrarian Studies (Afrique du Sud) en Afrique australe. Dix projets de recherche-action ont été financés dont tous sont représentés dans ce livre.

En plus de soutenir la recherche, l’ILC a entrepris d’autres activités novatrices aux fins de renforcement des capacités et de sensibilisation. Ainsi, un document intitulé La boîte à outil du plaidoyer explique l’importance de la sensibilisation pour le travail de développement. Le document précise aussi quelles compétences doit posséder l’équipe du plaidoyer et indique comment entreprendre une planification stratégique afin de présenter les enjeux efficacement (Lebert et Lebert, 2010). L’ILC a confié à PROCASUR (2010) la tâche d’aider à l’élaboration de « routes d’apprentissage » pour 24 parties prenantes aux projets choisis par voie de concours. Une route d’apprentissage est une méthode novatrice dans le cadre de laquelle diverses parties prenantes se rendent sur place dans les collectivités aux prises avec des problèmes de développement. Dans ce cas, le principal objectif des visites était de définir diverses stratégies permettant de garantir plus efficacement des droits fonciers aux femmes. Les visites ont permis de sensibiliser les chercheurs aux réalités quotidiennes des femmes qu’ils étudiaient, ce qui les a conduits à examiner comment les constatations émanant de leur recherche pourraient se traduire plus efficacement en recommandations utiles en matière de politiques et en changements véritables en ce qui concerne les pratiques.

Au chapitre 3, nous présentons certaines constatations des projets de recherche, des profils et des études de cas sur les femmes et la terre, ainsi qu’un ensemble de recommandations en matière de politiques et de pratiques.

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Chapitre 3
Les expériences sur le terrain

Ce chapitre présente les constatations et les expériences des projets de recherche financées par le CRDI et menés à divers endroits en Afrique de l’Est et en Afrique australe et, dans une moindre mesure, en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest. Ces projets locaux ont réussi à faire ressortir des caractéristiques et des circonstances communes aux divers sites de recherche, ainsi qu’une multitude de différences qui les distingue. L’approche comparative semble ainsi avoir effectivement permis d’approfondir et d’élargir notre compréhension des problèmes des femmes quant aux droits et à l’accès à la terre. D’autres recherches sur les droits et l’accès des femmes à la terre dans des pays non étudiés dans ce livre (les pays d’Afrique du Nord, par exemple) pourraient compléter les constatations présentées ci-dessous.

Les travaux de recherche présentés sont non seulement ancrés dans une réalité locale, mais aussi surtout axés sur des régions rurales. Ce choix reflète la réalité: les populations d’Afrique demeurent en majeure partie rurales, et un pourcentage particulièrement important de femmes vit et travaille en milieu rural. L’importance accordée aux régions rurales ne doit toutefois pas donner à penser que les problèmes fonciers, notamment ceux des femmes, disparaissent dans les zones urbaines.

La recherche effectuée au Kenya par l’organisme communautaire d’entraide Young Widows Advancement Program illustre les liens étroits qui existent souvent entre les problèmes fonciers rencontrés en milieu urbain et en milieu rural. Le programme a été lancé officieusement il y a dix ans par cinq jeunes veuves qui avaient été chassées du domicile conjugal après que leur mari fut mort du sida. Les cinq étaient porteuses du VIH. En raison des préjugés à l’égard du VIH/sida, elles se rencontraient en secret pour se soutenir mutuellement en se relatant leur expérience et en créant un organisme rotatif d’épargne et de crédit dont les fonds réunis serviraient à l’acquisition d’articles de maison ou au démarrage d’une entreprise. Le groupe travaille à partir d’un centre d’hébergement pour jeunes veuves et orphelins situé à Kayole, quartier pauvre de Nairobi. Ce quartier abrite de nombreuses jeunes femmes qui ont été chassées du domicile conjugal à la suite de la mort de leur mari.

Nombre de jeunes veuves ont perdu des propriétés rurales, car leur mari avait migré à Nairobi. Le fait que leur défunt mari avait investi dans la terre ancestrale n’a pas empêché leur expulsion. Certaines de ces femmes ont peu de liens avec les terres rurales de leur mari, voire aucun, ce qui rend plus difficile la revendication de droits à ces terres à titre de veuves. D’autres veuves déménagent à Nairobi à la mort de leur mari et se tournent vers le petit commerce, les travaux ménagers ou d’autres activités occasionnelles mal rémunérées.

Esther Angudha, du Young Widows Advancement Program, soutient que les veuves préfèrent vivre en milieu rural non seulement en raison de leur lien spirituel à la terre, mais aussi car la vie urbaine peut être humiliante:

Pourquoi des terres rurales ou agricoles ? Elles sont assorties de meilleurs droits … Au lieu d’attendre que le problème du lieu de sépulture se pose au moment du décès, il vaut mieux récupérer la terre familiale pour s’y faire enterrer. Cela permet aussi aux femmes d’arrêter de squatter en ville, où leur travail consiste à faire du colportage, à exploiter un petit commerce et à se prostituer.

Les recherches effectuées par l’organisme Grassroots Organizations Operating Together in Sisterhood (GROOTS) au Kenya ont également un lien avec le milieu urbain. GROOTS a réalisé des entretiens avec des veuves dépossédées du district de Gatundu, zone périurbaine à deux heures de voiture de Nairobi. Le rapport de recherche de GROOTS (2011) souligne que cette proximité à la ville et la relative facilité pour les jeunes gens en quête de meilleures conditions de vie d’y migrer ont contribué à la hausse du taux de prévalence du VIH à Gatundu.

Divers aspects de la diversité

Les principales difficultés et priorités des femmes aux prises avec des problèmes d’accès à la terre varient beaucoup d’un pays à l’autre, en partie à cause de différences en ce qui concerne l’histoire et les structures politiques et juridiques. Par exemple, le rapport de synthèse du Makerere Institute of Social Research (2010) sur les études menées en Ouganda, au Kenya et au Rwanda indique que les situations observées par les chercheurs dans chacun de ces pays appellent des solutions différentes. Les chercheurs kényans considéraient comme un problème majeur la contradiction entre droit coutumier et droit législatif, et la possibilité qui en découlait de chercher la tribune la plus favorable en cas de litige. En Ouganda, pays où le gouvernement tient compte des sexospécificités depuis plus longtemps, les chercheurs étaient préoccupés par la non-application des lois visant à promouvoir l’égalité des sexes. Enfin, au Rwanda, les chercheurs estimaient que le processus de reconstruction et de réforme mis en route par le gouvernement présente une possibilité d’influer sur l’évolution de la situation.

Les capacités institutionnelles d’un pays donné peuvent aussi déterminer le degré et le type de difficultés rencontrées par les femmes rurales. Au cours de son travail en Tanzanie, la chercheure Patricia Kameri-Mbote a exprimé cette réalité de la manière suivante:

[Les Tanzaniens] sont un peu plus structurés grâce à la loi relative aux terres de villages [et] ils […] ont très bien organisé les institutions locales responsables de l’administration des terres… En Ouganda, […] [la situation est] probablement beaucoup plus variable car le pays n’a pas une longue histoire de délivrance de titres fonciers…

Même un groupe apparemment homogène qui vit à un endroit précis peut comprendre des membres dont les besoins sont divers. Par exemple, le Young Widows Advancement Program a constaté qu’au sein d’un groupe de veuves au Kenya, les jeunes femmes en nombre croissant qui sont devenues veuves à cause de l’épidémie de sida font face à des problèmes différents de ceux des femmes âgées. Par exemple, une jeune veuve ne peut s’attendre à un soutien de la part de fils adultes, comme le peuvent en général les veuves âgées. De plus, la belle-famille d’une jeune veuve peut s’opposer à lui accorder la propriété de biens au motif qu’elle est susceptible de se remarier.

D’autres problèmes se posent également. Ainsi, certains chefs ont indiqué qu’ils ont été accusés d’avoir des « relations inappropriées » avec de jeunes veuves dont ils avaient soutenu les revendications à la terre et aux autres biens de leur défunt mari. Comme l’a expliqué un chef: « Je dois parfois passer par un policier pour éviter un scandale ».

Les différences régionales sur le plan de la culture et des coutumes sont un autre facteur que les chercheurs ont dû prendre en considération. Par exemple, le projet de recherche en Afrique du Sud consistait en une vaste enquête menée dans trois régions de langues et de cultures différentes. Dans chacune de ces régions, les participants choisis au hasard comprenaient des femmes de toutes les catégories d’état matrimonial. Lors de la conception du projet et de l’analyse des résultats, les chercheurs ont accordé une attention particulière aux différentes situations et expériences entre les groupes et en leur sein.

Le projet du Malawi a examiné les différences entre les expériences des femmes dans les sociétés patrilinéaires et matrilinéaires. La recherche au Madagascar a explicitement fait observer que la plupart des femmes interrogées au cours du travail sur le terrain étaient mariées, et que les conclusions ne devraient donc pas être extrapolées. Chose utile, le projet de Madagascar a aussi fait ressortir les différences entre les expériences de femmes issues de milieux plus ou moins favorisés.

Les femmes de familles riches contrôlent mieux la terre. Pourquoi ? Parce que même si une femme s’en va vivre dans le village de son mari, la famille — ou plutôt le couple — peut acheter des terres. La terre appartenant au couple, la femme a davantage de droits sur elle. Les femmes de familles pauvres ou relativement pauvres contrôlent beaucoup moins la terre. Elles y ont bien sûr accès, mais elles n’ont pour ainsi dire aucun contrôle dessus. Danièle Ramiaramanana, Centre national de la recherche appliquée au développement rural

Relation entre droit coutumier et droit législatif

Pratiquement tous les projets de recherche font mention des lois ou pratiques coutumières, même lorsque cela n’est pas explicitement le sujet traité. Ce fait met en évidence l’importance continue de la coutume en milieu rural, même lorsque des mesures législatives semblent restreindre son influence.

La relation « officielle » entre le droit coutumier et le droit législatif varie d’un pays à l’autre. Dans plusieurs pays, le droit législatif reconnaît souvent les lois et pratiques coutumières lorsqu’elles ne vont pas à l’encontre des droits humains, y compris les droits des femmes. On trouve de telles dispositions aussi bien dans les constitutions nationales que dans des lois particulières, et elles sont conformes à l’article 17 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, selon lequel: « Toute personne, aussi bien seule qu’en collectivité, a droit à la propriété. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa propriété. » (ONU, 1948).

De telles dispositions sont également conformes à l’article 16 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, selon lequel les États parties doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes et assurer les mêmes droits à chacun des époux en matière de propriété, d’acquisition, de gestion, d’administration, de jouissance et de disposition des biens (ONU, 1979).

En Ouganda, la Constitution (Ouganda, 1995) et la loi foncière de 1998 (Ouganda, 1998) sont les premières lois ayant officiellement reconnu le droit foncier coutumier, qui n’avait auparavant jamais été enchâssé dans la loi. En outre, l’alinéa 237(4)(a) de la Constitution et le paragraphe 5(1) de la loi foncière prévoient la possibilité d’obtenir un titre de propriété coutumière pour des terres et exigent que tous les citoyens ougandais détenant des terres en vertu de pratiques coutumières obtiennent un titre de propriété à leur égard. Par ailleurs, les paragraphes 237(5) et (6) prévoient la conversion en tenure franche des terres en tenure coutumière comme de celles en tenure à bail.

La difficulté posée par les dispositions formalisant des droits coutumiers est que, dans de nombreux systèmes coutumiers, les hommes sont privilégiés sur le plan de l’accès et du contrôle, et détiennent ce qui pourrait être considéré comme l’équivalent des droits de propriété. Ironiquement, la normalisation des droits coutumiers peut ainsi restreindre les droits éventuels que les systèmes coutumiers peuvent conférer aux femmes. L’article 28 de la loi foncière de l’Ouganda, qui s’énonce comme suit, peut être considéré comme une tentative de tenir compte de ce danger:

Toute décision prise à l’égard de terres détenues en tenure coutumière, qu’il s’agisse de terres détenues individuellement ou collectivement, doit tenir compte de la coutume, des traditions et des pratiques de la communauté concernée; sauf qu’une décision qui prive les femmes, les enfants ou les personnes handicapées de l’accès à la propriété, à l’occupation ou à l’utilisation d’une terre quelconque impose des conditions contrevenant aux articles 33, 34 et 35 de la Constitution et sera donc frappée de nullité. (Ouganda, 1998)

Le paragraphe 40(1) étend cette protection au-delà du moment où les droits fonciers sont formalisés en exigeant le consentement du conjoint avant tout transfert de terres du ménage. Comme on le verra plus loin, l’un des projets de recherche financés par le CRDI portait sur cette disposition.

D’autres pays ont également intégré des mesures de protection des droits des femmes dans leurs lois foncières. Par exemple, en Tanzanie, la loi relative aux terres de villages (Tanzanie, 1999) reconnaît les droits de propriété coutumiers existants, mais stipule que ceux qui privent les femmes et d’autres groupes vulnérables de leur droit d’accès légal à la propriété, à l’occupation ou à l’utilisation des terres seraient considérés comme une violation des principes de justice naturelle.

Il est particulièrement important que le droit législatif traite de succession, puisque le droit coutumier exclut souvent les femmes de l’héritage. Dans certains cas, la succession se fait selon le principe de primogéniture, dans le cadre duquel seul le fils aîné hérite. (Cela suppose évidemment qu’il y a des fils.)

L’article 82 de la Constitution kényane (Kenya, 2010) permet l’application des lois coutumières dans le cadre d’une succession. Le droit coutumier en matière de succession est également explicitement reconnu dans plusieurs autres lois du Kenya, comme la loi relative aux testaments (Africans’ Wills Act, chap. 169) et la loi relative aux terres inscrites au cadastre (Kenya, 2009).

Toutefois, la loi sur l’organisation judiciaire (Kenya, 2007) stipule ce qui suit (paragraphe 3[2]):

La Haute Cour, la Cour d’appel et toutes les juridictions inférieures doivent s’inspirer du droit coutumier africain dans les affaires civiles où une ou plusieurs des parties y sont assujetties ou en sont touchées, dans la mesure où il est applicable et n’est pas incompatible avec la justice, la morale ou tout texte législatif; elles doivent aussi statuer sur toutes ces affaires suivant la justice fondamentale, sans trop tenir compte des subtilités de procédure et sans retard injustifié.

La politique foncière nationale de 2009 du Kenya protège les droits des femmes, prévoit l’enregistrement des terres par le couple et le consentement du conjoint lors de la vente d’une terre, le droit des filles non mariées à l’héritage et la représentation proportionnelle des femmes dans les institutions foncières.

Les lois sont là: étrangement, le droit législatif au Kenya protège le droit des veuves à l’héritage, tout en permettant l’application du droit coutumier et religieux. La plupart des gens en profitent pour faire appliquer le droit coutumier. Esther Angudha, Young Widows Advancement Program

Définition du droit et des pratiques coutumiers

Les constitutions du Mozambique comme de l’Afrique du Sud reconnaissent les pratiques coutumières dans la mesure où celles-ci ne portent pas atteinte aux principes constitutionnels. Par exemple, la déclaration des droits (Bill of Rights) qui est enchâssée dans la Constitution de l’Afrique du Sud (Afrique du Sud, 1996), stipule clairement qu’il ne doit exister aucune discrimination fondée sur la race, le sexe ou d’autres différences entre les personnes. Selon le paragraphe 211(1) de la Constitution, « l’institution, le statut et le rôle des dirigeants traditionnels sont reconnus en vertu du droit coutumier », mais le droit coutumier est subordonné à la Constitution, y compris à la déclaration des droits.

Des tribunaux sud-africains ont déjà prononcé plusieurs jugements illustrant le sens de ces dispositions: les affaires Bhe et Shibi, qui concernent la succession et l’héritage, l’affaire Gumede, qui a trait aux biens matrimoniaux, et l’affaire Shilubana, qui se penche sur la question de savoir si une femme peut devenir chef. La recherche financée par le CRDI a été entreprise dans le contexte de cette jurisprudence. Les travaux cherchaient à déterminer ce qui se passait « sur le terrain » dans des régions où les pratiques coutumières régissent l’accès des femmes à la terre. Sur les trois sites à l’étude, l’enquête sud-africaine a conclu que parmi les femmes n’ayant jamais été mariées comme parmi les veuves, le pourcentage de celles vivant sur un terrain résidentiel qu’elles avaient acquis est considérablement plus élevé dans le cas des propriétés acquises après 1994 (année où a été tenue la première élection après la chute de l’apartheid), qu’avant.

Cette constatation semble contredire l’hypothèse courante voulant que le droit coutumier prive les femmes, surtout les femmes célibataires, du droit « de propriété ». La recherche ayant été effectuée dans les anciens bantoustans que les lois adoptées par le gouvernement du Congrès national africain (ANC) après 1994 considèrent comme des communautés « traditionnelles », la constatation peut en effet sembler aller à l’encontre de la reconnaissance du droit coutumier inscrite dans la Constitution.

Toutefois, au lieu d’accepter la version figée et codifiée du droit coutumier qui a été consignée dans le passé, les jugements prononcés par la Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud estiment que ce droit est un « droit vivant ». Les jugements dans les affaires mentionnées ci-dessus admettent la souplesse du droit coutumier et l’évolution des pratiques au fil du temps. Dans l’affaire Bhe, qui a annulé le droit de primogéniture voulant que le fils aîné reçoive en héritage la totalité du patrimoine, le jugement déclarait que « le véritable droit coutumier […] admet l’évolution constante des choses et en tient compte ». Dans un jugement concernant la société minière Alexkor, la Cour a statué que le droit coutumier « vivant » se crée lorsque suffisamment de « personnes qui vivent selon ses pratiques modifient leur mode de vie ». Dans l’affaire Shilubana, mettant en cause une fille qui héritait de son père la chefferie de la communauté après la mort de ce dernier sans héritier mâle, la Cour a statué en sa faveur, affirmant que « le changement est intrinsèque au droit coutumier et peut le renforcer ».

Un député du Cameroun qui a participé au colloque de Nairobi a exprimé dans ses propres termes l’idée que le droit codifié déforme le droit coutumier et qu’il a en fait été imposé à l’époque coloniale. L’honorable Joseph Mbah a dit, s’adressant à l’auditoire:

J’exerce le métier d’avocat, et je n’ai vraiment pas été convaincu de l’efficacité du droit coutumier comme tel. Je préfère parler de coutumes parce qu’il n’est pas facile d’avoir une série de pratiques ou de règles applicables, des règles positives.

Dans un pays africain, la première chose qui frappe est la multiplicité des groupes ethniques, les différences subtiles entre les règles qu’ils appliquent, et le fait que la preuve de ces règles pose souvent problème. [Quand on essaie de codifier le droit], on se rend compte que la plupart de ces lois que nous appelons coutumières s’entremêlent en fait aux lois imposées par les autorités à l’époque coloniale. Il n’est donc pas facile de démêler les coutumes de ce qui a été institué par les autorités coloniales.

Le rapport de recherche du Cameroun décrit le droit foncier coutumier comme étant « caractérisé par sa nature largement orale, […] fondé sur les pratiques locales, et […] souple, négociable et adapté au lieu ». Le rapport indique de plus que les pratiques coutumières varient « légèrement et parfois nettement » selon la communauté. De même, la recherche au Mozambique relève que le droit coutumier, de par le fait qu’il n’est pas codifié, « peut varier à l’occasion [et] d’une région à l’autre ».

L’une des idées du rapport de recherche du Cameroun prêtant le plus à controverse est que la capacité croissante des femmes d’accéder à la terre pourrait ne pas représenter un pas vers l’égalité des sexes, mais plutôt traduire le fait que l’agriculture comme moyen de subsistance perd de l’importance. On peut avancer un argument similaire en Afrique du Sud, où un meilleur accès des femmes à la terre est en fait un meilleur accès à ce qui est généralement de petits terrains dans les anciens bantoustans miséreux au potentiel économique limité.

Le rapport du Cameroun signale qu’en raison du nombre croissant d’hommes migrant des zones rurales vers les villes ou s’adonnant à des activités autres qu’agricoles, les femmes sont de facto plus susceptibles d’obtenir un contrôle et un pouvoir décisionnel accrus à l’égard de la terre et des activités agricoles. Selon le rapport, cette évolution accroît encore l’importance de donner aux femmes les moyens nécessaires — dont la formation et l’accès au crédit et à d’autres ressources économiques — pour effectuer ces tâches.

Contestation de la « coutume »

Au cours de la recherche sur la décentralisation en Ouganda, des femmes participant à un groupe de discussion ont mis en doute l’existence même du concept de « propriété » de la terre dans les systèmes coutumiers. Comme elles l’expliquent, leur culture prévoit la tutelle, c’est-à-dire que la terre est confiée à un individu pour les générations actuelles et futures, ce qui est très différent de la propriété, laquelle admet l’achat et la vente de terres. Selon ces femmes, les hommes de Lira « déforment la signification culturelle » de la tutelle en se prétendant « propriétaires » de la terre: la terre est communale, pour l’usage et le profit des femmes comme des hommes, et les droits des hommes ne concernent que la tutelle.

Les femmes soutiennent de plus que, si elles obtiennent la terre par l’intermédiaire de la famille de leur mari, ces familles se doivent de défendre leurs revendications. Elles estiment que la violation des droits des femmes à la terre traduit l’incapacité des institutions culturelles dirigées par des hommes à s’acquitter de cette obligation. Tant à Lira qu’à Mukono, les femmes s’entendaient sur le fait qu’elles obtiennent la terre par des relations sociales. Selon leurs dires, leurs revendications foncières ne sont difficiles à satisfaire que dans les situations où les hommes se liguent contre elles à cette fin.

Identités et droits citoyens selon que l’on est homme ou femme en ce qui concerne les droits fonciers à Mukono et à Lira (en Ouganda)

Les hommes et les femmes sont égaux aux yeux de la loi, mais la mentalité ambiante est que la terre appartient aux hommes:

Muwala – muvubuka – mukazi – mukyala; mulenzi – muvubuka – musajja – mutaka.

Au cours de son cycle de vie, une femme est successivement fille, adolescente, célibataire puis « visiteuse » (femme mariée), tandis qu’un homme est successivement garçon, adolescent, homme puis propriétaire (mutaka). (Entrevue approfondie)

Le mot mukyala signifie « visiteur » (quelqu’un qui est venu en visite); comment la terre peut-elle appartenir à un visiteur ? (Discussion de groupe, comité foncier régional)

La terre n’appartient qu’aux hommes parce que les femmes peuvent partir à tout moment. (Discussion de groupe, comité foncier régional)

Muttijjanabano. Abo bakyala, bajjakukyala (vous faites tout un plat des femmes). Ces femmes sont venues en visite; cela signifie que l’on n’accorde que des droits d’accès aux femmes. (Entrevue approfondie)

Omukalasimutakansi; bijjabigereke. Une femme n’est pas « propriétaire »; c’est la volonté divine ! (Entrevue approfondie)

Je l’ai apportée seule (elle est venue les mains vides, sans terre); qu’elle laisse donc la terre tranquille. (Discussion de groupe, comité foncier régional)

En vertu de la tenure ancestrale, la terre appartient au clan et à l’homme. Elle est transmise d’une génération à l’autre. (Entrevue approfondie)

Selon la manière dont on perçoit la copropriété de la terre familiale à Mukono, en cas de divorce, la femme prend la moitié des terres. La copropriété de la terre par les conjoints augmentera l’instabilité des mariages, car les femmes se marieront et divorceront jusqu’à cinq fois pour acquérir des terres. Si une femme se marie et divorce cinq fois, ses terres finissent par être plus grandes que celles des hommes auxquels elle a été mariée. (Entrevue approfondie)

Source: Nakirunda (2011)

Sans vouloir excuser les hommes concernés, Dzodzi Tsikata, chercheure principale à l’Institut de recherche statistique, sociale et économique de l’Université du Ghana, fait observer que la réaffirmation d’une version des droits fonciers « traditionnels » défavorable aux femmes est compréhensible. Elle croit qu’il s’agit d’une réaction à des politiques et à des pratiques qui ont dépossédé de nombreuses collectivités de leurs terres afin de faire place à des parcs nationaux, à des sites protégés, à des plantations, à des mines et à d’autres développements commerciaux.

Gaynor Paradza, qui a étudié l’aménagement rural et urbain à l’Université du Zimbabwe, avance qu’une distinction simpliste entre le droit coutumier (ou ce qu’elle appelle des lois « normatives ») et le droit législatif est justement trop simpliste (2011a, b). Selon elle, il existe diverses autres formules qui ne tombent pas dans ces deux catégories, mais sont largement acceptées comme des moyens normaux d’accès à la terre. Ces autres formules, comme elle l’explique, « coexistent avec les moyens officiels et traditionnels, ce qui donne lieu à un ensemble complexe de revendications et de possibilités ainsi que de contraintes pour les parties prenantes ». Cette observation soulève les questions de savoir si des systèmes véritablement « coutumiers » existent encore dans la plupart des pays d’Afrique et s’il peut exister des systèmes purement législatifs.

Prédominance de la coutume

Néanmoins, les projets de recherche donnent fortement à penser que la coutume conserve sa pertinence. Les données dans ce sens sont nombreuses, et celles contenues dans le rapport du Malawi (Banda et coll., 2011) sont parmi les plus explicites. Ce dernier indique que, selon le National Statistical Report de 2004, 75 % des terres au Malawi sont détenues en tenure coutumière. Par conséquent, la plupart des transactions foncières s’inspirent du droit coutumier.

Le rapport du Cameroun (Fonjong et coll., 2009) fait une distinction entre la situation dans les villes et celle qui règne en milieu rural. Même si la terre appartient traditionnellement aux hommes, qui en héritent et la gèrent, les citadines riches peuvent acheter des terres à leur gré et ne s’en privent pas. Cela est cependant « non envisageable » en milieu rural car, dans un cadre familial, les hommes héritent de la terre et décident de son utilisation. Cette situation existe malgré le fait que la Constitution de 1996 garantit le droit de propriété indépendamment du sexe.

Dans les régions rurales du Cameroun, l’accès d’une femme à la terre — sans parler de la propriété — dépend ainsi de divers facteurs, dont l’âge, l’état matrimonial (y compris le type de mariage et sa réussite), le fait d’avoir des enfants ou non (ainsi que leur nombre et leur sexe) et le comportement sexuel de la femme.

Toutefois, dans nombre de pays, la coutume offre malgré tout aux femmes des possibilités d’accès à la terre et de contrôle de la terre. La recherche en Afrique du Sud (Budlender et coll., 2011) étudiait explicitement cette possibilité, mais on a abouti à des conclusions similaires dans d’autres pays, même lorsque les chercheurs avaient au départ une opinion négative des possibilités offertes par la coutume.

J’ai aimé le fait de pouvoir éprouver certaines idées que je me faisais. L’une d’elles était la question de la terre détenue en tenure coutumière, que nous présentons toujours de façon négative. Mais en fait, quand on voit la manière dont les femmes revendiquent leurs droits à la terre, on se rend compte qu’elles réclament l’inclusion plutôt que le contrôle exclusif des terres. Et lorsqu’on examine la terre enregistrée comme la terre en tenure coutumière, on constate que celle détenue en tenure coutumière est plus susceptible de comporter des droits fonciers inclusifs, tandis que la terre enregistrée représente l’exclusion totale. À mesure que l’on se penche sur des cas particuliers de terres enregistrées, on se rend compte que l’on ferme et l’on clôture davantage, et que l’on exclut en fait plus de personnes, y compris les femmes… J’ai donc commencé à mettre en doute mes propres suppositions. Josephine Ahikire, Centre for Basic Research (Ouganda)

La recherche menée auprès de 22 femmes célibataires dans une zone communale du Zimbabwe tend également à confirmer la constatation que les lois et pratiques coutumières offrent une marge de négociation. Selon Paradza (2010; 2011a, b), l’évolution des systèmes fonciers coutumiers leur a permis de négocier un accès à la terre malgré la perception courante que les femmes célibataires sont particulièrement désavantagées sur le plan des droits fonciers. Cette conclusion reflète celle des chercheurs sud-africains: ceux-ci ont constaté que les femmes célibataires — qui constituent un pourcentage croissant de la population féminine — accèdent de plus en plus à la terre en propre.

Tsikata (2010) affirme plus généralement ce qui suit: « contrairement à la supposition qu’en vertu du droit coutumier, les droits d’une personne sont clairement définis par son statut et la place qu’elle occupe dans le groupe familial élargi, les droits fonciers sont régulièrement renégociés et contestés, et les résultats reflètent l’évolution des relations de pouvoir au sein du groupe propriétaire ».

Au Cameroun comme en Afrique du Sud, la recherche démontre que la manière d’acquérir des terres évolue dans certaines parties du continent, et que des formes coutumières et « modernes » d’accès à la terre coexistent à un même endroit. Au Cameroun, l’héritage ou l’attribution traditionnelle de terres a fait place à l’acquisition par achat comme principal régime foncier. Aujourd’hui, près de 80 % des terres sont achetées, et les chercheurs avancent que cela reflète un passage des pratiques coutumières à des pratiques juridiques en ce qui a trait à la régie des questions foncières.

La recherche en Afrique du Sud a permis de comparer les modes d’acquisition des terres avant et après les premières élections démocratiques de 1994. La diversité des modes est peut-être encore plus complexe dans ce pays qu’ailleurs, étant donné les multiples façons dont le système colonial et le système d’apartheid qui lui a succédé ont tenté de limiter le contrôle des terres par les Noirs. Les chercheurs ont constaté que le pourcentage des terres résidentielles attribuées par un chef est demeuré relativement constant avant et après 1994 (de 42 à 45 %). Par contre, l’acquisition par paiement à un chef local a presque triplé, passant de 9 à 26 %, tandis que les achats sont passés de 2 à 6 %. Le paiement à un chef local, soit le mode qui a enregistré le pourcentage d’augmentation le plus élevé, représente ce qui pourrait être considéré comme un mode hybride qui se situe entre l’achat coutumier et l’achat en tenure franche.

Coexistence des droits et pratiques législatifs et coutumiers

La coexistence des droits coutumier et législatif dans d’aussi nombreux pays soulève la question de savoir comment ces régimes pourraient favoriser ou défavoriser des groupes de femmes donnés.

La recherche effectuée en Ouganda (Uganda Land Alliance et Uganda Media Women’s Association, 2010) a fait fond sur des enquêtes antérieures de l’Uganda Land Alliance sur les pratiques du bureau de l’administrateur général relativement aux droits d’héritage. Ces enquêtes avaient établi qu’il y a généralement plus de cas de femmes héritant de terres et du domicile conjugal dans le centre du pays que dans les autres régions. On attribuait cette constatation au fait qu’un relativement petit nombre des hommes décédés dans les autres régions avaient enregistré leur terre.

La nouvelle recherche portait sur la question de savoir si la réforme foncière avait amélioré les droits de propriété des femmes par rapport aux pratiques traditionnelles. Les entretiens de suivi avec des « clientes » de l’administrateur général et les entretiens avec des chefs de sous-comté, lesquels jouent un rôle clé dans le système de gestion foncière, ont révélé que 45 % des femmes à qui l’administrateur général avait accordé le pouvoir d’administrer les biens hérités détenaient toujours la terre concernée. Ce pourcentage est plus élevé que dans le cas des hommes, ces derniers étant plus susceptibles de vendre la terre. De plus, la plupart des femmes bénéficiaires dans les deux districts visés avaient des pouvoirs de décision sur ces terres.

Si ces constatations sont positives sur le plan des droits des femmes, la recherche a aussi révélé que le système présentait d’autres problèmes sérieux. Par exemple, selon quatre des dix-sept chefs de sous-comté avec qui les chercheurs se sont entretenus, les règles du système de succession traditionnel et non officiel, d’une part, et les dispositions du système officiel, d’autre part, ont tendance à se contredire. Ces contradictions, disaient-ils, sèment la confusion parmi les bénéficiaires et rendent le règlement des litiges difficile, car les différentes parties veulent naturellement appliquer le système qui leur est favorable.

De nombreuses femmes, en ville comme en milieu rural, ne connaissent pas les dispositions législatives qui leur accordent des droits sur la terre. Les réponses des femmes à la question de savoir pourquoi elles n’avaient pas demandé l’enregistrement de la terre semblent indiquer que les pratiques coutumières influent toujours beaucoup sur leur perception de la propriété terrienne. Plus d’un quart d’entre elles ont en effet été incapables de donner une raison valable, et le reste a cité le coût des procédures judiciaires et leur fidélité aux pratiques coutumières. Les chercheurs laissent entendre qu’en raison de leur taux d’analphabétisme élevé (seulement 45 % des femmes savent lire et écrire, contre 67 % des hommes), les femmes sont moins aptes à saisir l’importance des titres de propriété et à amorcer des procédures d’enregistrement des terres.

Cette « fidélité » aux pratiques coutumières relevée dans la recherche au Cameroun rappelle le commentaire de l’un des chercheurs malgaches sur l’influence des aspects sociaux et « émotionnels »: les femmes, même quand elles ont des titres de propriété officiels, ne revendiquent pas toujours leurs droits, en raison des pratiques communales et des relations de pouvoir dans la famille.

On pensait que le fait d’avoir un certificat foncier ou un titre foncier suffirait à assurer un accès sécurisé de ces femmes à la terre. On n’a pas du tout réfléchi à cette dimension sociale et cette question de relations de pouvoir au sein du ménage, au sein de la communauté, qui pourraient réduire considérablement la sécurité de la femme et le contrôle qu’elle a sur la terre et son utilisation. Mino Ramaroson, Harmonisation des actions pour la réalisation d’un développement intégré

Points communs et différences entre systèmes de droit coutumier

Les pratiques coutumières des différents pays et communautés d’Afrique ne sont pas uniformes. Ce livre et, d’une manière plus générale, les recherches financées par le CRDI soulignent l’importance d’examiner les situations particulières au lieu de perpétuer des généralisations. Néanmoins, certains points communs méritent qu’on s’y attarde, tant en raison de la puissance des idées convenues que parce qu’elles contiennent souvent une part de vérité.

Par exemple, dans de nombreux systèmes, les femmes s’en vont généralement vivre dans la région de leur époux après le mariage. La recherche comparant les systèmes matrilinéaire (et matrilocal) et patrilinéaire au Malawi (Banda et coll., 2011) montre que cette pratique, si elle n’est pas universelle, est la plus courante. En outre, elle a des incidences sur le contrôle de la terre par les femmes, car les communautés sont en général réticentes à donner la terre aux filles sous prétexte qu’elles se marieront et partiront. Le mariage, dit-on, signifie que les besoins de la fille en ce qui concerne la terre seront pris en charge par la famille du mari. De plus, donner la terre à une fille fait planer le risque que cette terre tombe entre les mains d’un autre clan ou d’un autre groupe lors du mariage.

Le rapport de recherche du Cameroun (Fonjong et coll., 2009) cite le chef suprême du peuple Aghen, qui n’a pas mâché ses mots dans l’explication donnée aux chercheurs:

Nous avons une raison ici pour laquelle les femmes ne peuvent hériter de terres, c’est que particulièrement si les maris décèdent elles peuvent se remarier, et en se remariant, elles peuvent faire ce qu’elles veulent de la terre, qui était peut-être une propriété familiale. Notre loi coutumière interdit à une femme d’hériter de la terre. Nous ne pouvons pas le permettre parce qu’elle va normalement se remarier. Ce faisant, la terre familiale ira à l’autre homme, qui pourra faire ce qu’il veut de cette terre.

De même, on peut lire dans un sommaire de la recherche effectuée par le Makerere Institute of Social Research en Ouganda, au Rwanda et au Kenya (2010) que, si les cadres juridiques des trois pays reconnaissent et prévoient les mêmes droits successoraux pour les enfants des deux sexes, « dans la pratique, les filles sont écartées sous prétexte qu’elles ont quitté (ou quitteront) leur famille d’origine pour en fonder une autre ».

On pourrait considérer les raisons d’empêcher les femmes de prendre le contrôle de la terre comme moins pertinentes dans le cas des veuves. En effet, au Kenya, la loi relative aux successions (Kenya, 1981) stipule qu’une femme peut hériter de la terre et d’autres biens au décès de son mari. Toutefois, la recherche semble indiquer que la succession est souvent contestée, surtout dans le cas de jeunes femmes dont le mari est mort du sida. Là encore, on avance que la femme pourrait se remarier avec un homme d’un autre clan ou d’un autre groupe, ce qui placerait la terre sous le contrôle d’un étranger.

Dans le cadre de la recherche sur les litiges fonciers mettant en cause des veuves qui a été effectuée au Kenya (Young Widows Advancement Program, 2011), 84 % des femmes ont indiqué que l’autre partie au conflit était leur belle-famille. Même sans tenir compte de l’augmentation du nombre de jeunes veuves, cela porte à croire que la réticence à accorder le contrôle des terres aux femmes ne se limite pas aux cas où celles-ci pourraient se remarier. On aurait cependant tort de sauter à la conclusion que les limites imposées à l’héritage par des femmes sont la principale contrainte à leur contrôle des terres. Les belles-familles ne sont en effet pas seules à s’opposer aux revendications foncières des femmes.

Au Rwanda (Rwanda Women’s Network, 2011), les « autres parties » à 40 litiges mettant en cause des femmes comprenaient 15 voisins, 10 conjoints et neuf frères et soeurs. La belle-famille n’était la partie adverse que dans six cas. Si le nombre de cas où la belle-famille est la partie adverse est faible, les chercheurs rwandais soutiennent que le fait que la plupart des parties au conflit soient liées à la demanderesse est révélateur du maintien des pratiques coutumières et des perceptions concernant les droits des femmes à la terre. Les chercheurs avancent aussi que les cas où leurs propres enfants sont des parties au conflit semblent indiquer la grande vulnérabilité des femmes âgées.

Force de loi ou pression sociale ?

La réticence des Camerounaises à poursuivre leurs revendications foncières porte à croire que la pression sociale est un facteur qui vient s’ajouter aux lois comme telles. Dans quelle mesure, en raison de la pression sociale, les veuves font-elles le « choix » de ne pas revendiquer leurs droits afin de ne pas être dépossédées de la terre par la force ?

Au Kenya, les participantes à la recherche menée par le Young Widows Advancement Program (2011) donnent au moins une partie de la réponse à cette question. Certaines ont en effet indiqué que la belle-famille se liguait contre elles et les acculait au pied du mur, situation dans laquelle nombre d’entre elles « choisissaient » de partir. L’une d’elles a dit aux chercheurs: « J’ai dû partir pour avoir l’esprit en paix. Je veux juste m’occuper de mes enfants. »

Le questionnaire de l’enquête sud-africaine (Budlender et coll., 2011) comprenait des questions formulées de façon à rendre compte tant des expulsions par la force que des « départs choisis ». Les chercheurs ont longuement réfléchi à cet aspect lors de la conception du questionnaire après qu’un organisme local à l’un des sites leur eût signalé que le libellé aurait une incidence sur les réponses.

Ainsi, l’enquête commençait par demander à la femme s’il lui était déjà arrivé de perdre l’accès à une terre, notamment un terrain résidentiel, un lot à cultiver et(ou) des champs, ou d’avoir à quitter une telle terre. Dans l’affirmative, on lui demandait quelle était la principale raison de cette perte. La femme pouvait choisir parmi les options suivantes: « Je me sentais forcée de partir à cause de mauvaises relations », « J’ai choisi de partir pour chercher une meilleure solution, mais n’ai pas été forcée de partir », « J’ai été menacée d’expulsion » et « J’ai été expulsée ». Elle devait aussi indiquer qui était principalement responsable de son départ ou des menaces reçues.

Parmi les 3 000 femmes qui ont participé à l’enquête, seules 115 (3,8 %) ont indiqué qu’elles avaient perdu l’accès à un terrain résidentiel ou avaient eu à le quitter. Trente-et-une de celles-ci ont précisé qu’elles avaient été expulsées, et sept autres ont déclaré qu’elles avaient été menacées d’expulsion. Trentedeux autres femmes ont été forcées de partir à cause de mauvaises relations, et un nombre similaire est parti de son plein gré à la recherche d’une meilleure solution.

Systèmes matrilinéaires et patrilinéaires au Malawi

Si les systèmes coutumiers d’une grande partie de l’Afrique présentent des similitudes, ils présentent aussi des variations. Le Malawi constitue un cas intéressant en ce qu’on y trouve aussi bien des systèmes patrilinéaires que l’inhabituel système matrilinéaire. Les sites des recherches financées par le CRDI (Banda et coll., 2011) ont été choisis de manière à pouvoir comparer les deux.

Les chercheurs ont constaté comme prévu qu’un système patrilinéaire limite le contrôle de la terre par les femmes. En général, celles-ci ne contrôlent que de petits potagers; quant aux grands terrains servant à la culture commerciale, ils sont sous le contrôle de leur mari.

Les femmes vivant dans des systèmes matrilinéaires ont affirmé avoir un meilleur contrôle de la terre. Toutefois, en poussant l’enquête, les chercheurs ont appris qu’elles doivent consulter leur oncle maternel ou leur mari sur certaines des décisions les plus importantes. Par exemple, elles ne sont pas libres de vendre ou de louer leur terre sans avoir procédé à une telle consultation. Les femmes mariées permettent apparemment aussi aux hommes de décider des cultures. La raison de cette pratique, disent-elles, est que même si la terre « appartient » à la femme, c’est l’homme qui possède les « moyens financiers ».

Les chercheurs ont constaté que la sécurité d’occupation des femmes à laquelle on pouvait s’attendre dans les sociétés matrilinéaires n’est en fait pas si réelle. Avec les pressions croissantes que la commercialisation fait peser sur la terre, « les mêmes oncles qui sont censés protéger les femmes sont maintenant en fait ceux qui les exploitent ». On leur a rapporté des cas où des oncles ont enlevé la terre aux femmes pour la vendre à des investisseurs ou l’utiliser à d’autres fins. Par rapport au système patrilinéaire, il existe toutefois certaines coutumes positives dans ces sociétés qui, si elles étaient suivies, pourraient offrir de meilleures possibilités aux femmes. Par exemple, une femme peut être considérée comme étant la propriétaire d’une terre qu’elle soit mariée ou non.

Contestation des pratiques régressives devant les tribunaux

Dans l’ensemble, les recherches financées par le CRDI ont été menées par ou en collaboration avec des organismes qui travaillent avec les femmes rurales ou les soutiennent. Nombre de ces organismes ont trouvé des manières novatrices de s’attaquer à la discrimination foncière à l’encontre des femmes et aux autres obstacles qui se dressent devant elles quand il s’agit de la terre. Certaines de ces initiatives aident des femmes données, par exemple en leur donnant des conseils juridiques. D’autres adoptent une approche systémique pour tenter de venir à bout des problèmes, notamment par des contestations judiciaires. Ces deux approches peuvent souvent se compléter.

L’une des principales raisons d’entreprendre la recherche en Afrique du Sud était d’obtenir des données solides que l’on pourrait utiliser lors des contestations judiciaires des pratiques discriminatoires. Comme il a été mentionné plus haut, plusieurs jugements prononcés par la Cour constitutionnelle ont incorporé une vision des lois coutumières progressiste et fondée sur les droits, et faisaient valoir que l’interprétation progressiste reflète l’évolution du droit « vivant ». Lors de réunions de consultation des communautés sur des propositions législatives, de nombreuses personnes ont soulevé le fait que l’accès des femmes à la terre s’améliorait dans de nombreuses régions du pays. Cependant, quand les opposants à la nouvelle législation ont tenté d’utiliser ces cas comme preuve dans le cadre de contestations judiciaires, la Cour a rejeté la preuve au motif qu’elle n’était pas assez probante. On espérait donc qu’une enquête de grande envergure fournirait des preuves qui seraient plus difficiles à rejeter.

L’Afrique du Sud n’est pas le seul pays africain où l’on s’est servi de contestations judiciaires pour promouvoir l’égalité des sexes. Le rapport du Cameroun (Fonjong et coll., 2009) cite l’affaire Zamcho Florence Lum c. Chibikom Peter Fru et autres entendue en Cour suprême, et l’affaire David Tchakokam c. Koeu Magdalene entendue en Haute Cour.

Ainsi les juges ont prononcé des décisions progressistes et radicales en faveur de l’accès des femmes à la terre. Je crois que c’est grâce à ces juges progressistes que nous allons continuer à obtenir des appuis, pour voir comme nous pouvons affaiblir le droit coutumier. En Tanzanie, il existe une procédure pour modifier le droit coutumier, mais qui connaît son existence ? Seuls les avocats la connaissent, et encore, lorsque ce sont des hommes. La loi dit que si l’on veut modifier le droit coutumier, il faut recueillir 100 signatures et expliquer les problèmes que présente l’aspect du droit visé. Donc si une avocate peut amener les gens à s’intéresser au droit coutumier et parvient à obtenir 100 signatures, elle peut amorcer la remise en question de cet aspect, et la discussion peut commencer dans cette communauté. Magdalene Ngaiza, Université de Dar es-Salaam

Interaction entre les lois matrimoniales et les lois foncières

L’état matrimonial est important pour la détermination de l’accès des femmes à la terre et de leur contrôle de la terre. C’est un domaine dans lequel les lois et pratiques coutumières, civiles et religieuses interagissent de différentes façons d’un pays à l’autre. Il arrive souvent que certains régimes matrimoniaux confèrent de meilleurs droits aux femmes que d’autres lois, y compris les lois foncières.

Le Rwanda a tenté de s’attaquer au problème de l’inégalité des droits en ne reconnaissant que le mariage civil monogame. Dans cette forme de mariage, la loi garantit de façon explicite l’égalité des droits et des obligations des époux au cours du mariage et lors d’un divorce. Les objectifs de cette loi sont d’empêcher les relations multiples, de rationaliser les droits de propriété dans le mariage et de protéger les enfants.

Le rapport de recherche du Rwanda souligne que, si les nouvelles lois ont amélioré les droits de propriété des femmes monogames mariées civilement, un grand nombre de femmes vivent toujours en concubinage ou en mariage polygame. Parmi les 50 femmes impliquées dans des litiges fonciers qui ont été suivies dans le cadre de la recherche, près de la moitié étaient engagées dans un mariage traditionnel ou l’avaient été avant le décès de leur mari. Comme le font observer les chercheurs, le fait que de nombreuses femmes se soient mariées avant l’adoption des réformes judiciaires signifie que l’adoption de lois à elle seule ne permet pas de passer immédiatement des pratiques coutumières à des pratiques juridiques.

Effets de la décentralisation

La recherche comparative effectuée en Ouganda, en Tanzanie et au Kenya s’est penchée sur trois questions: la décentralisation des systèmes d’administration des terres et la manière dont ces derniers influent sur les droits des femmes; l’évolution culturelle et politique récente en ce qui concerne les revendications foncières des femmes; et l’organisation des femmes et leur capacité à dialoguer avec les autorités institutionnelles au niveau local.

En Ouganda, les chercheurs du Centre for Basic Research (CBR) ont constaté que même si les femmes participent à l’administration locale, leurs rôles et leur visibilité sont limités (Ahikire, 2011). Ce n’est que dans de très rares cas qu’elles ont pu jouer un rôle essentiel dans la prise de décision au niveau des districts. Parallèlement, la « clause de consentement » contenue dans la loi foncière (Ouganda, 1998) a peu servi. Celle-ci reconnaît les droits des femmes, mais les mécanismes nécessaires à sa mise en application ne sont pas clairs, et peu de citoyens sont au courant de son existence.

La décentralisation de l’administration et de la gestion foncières en Ouganda comprend celle des mécanismes de résolution des litiges fonciers. Cependant, la recherche effectuée par le CBR indique que plusieurs institutions de règlement des litiges fonciers coexistent sans mécanismes de coordination bien établis. Les parties à des différends fonciers recherchent et choisissent souvent la tribune qu’ils estiment la plus favorable à leur cause.

Ces tribunes comprennent: les tribunaux de conseils locaux de deuxième et de troisième niveau, la famille et les clans, les commissaires de district et les conseils fonciers de district.

Les litiges fonciers peuvent avoir de nombreuses sources. Il peut s’agir de problèmes courants comme la contestation des limites du terrain, l’occupation non autorisée d’un terrain et les ventes multiples du même terrain. Il peut aussi survenir des problèmes imprévus: un propriétaire avait prêté un terrain à un ami, les deux décèdent, et leurs enfants se disputent le terrain. Les régimes fonciers décentralisés ont toutefois apporté certains avantages aux femmes. Par exemple, les tribunaux de conseils locaux se seraient ouverts à un dialogue avec les femmes et seraient plus « humains » et moins rigides qu’une cour de magistrat.

La recherche du CBR relève que la culture est souvent déformée « au nom de la protection ». En Ouganda par exemple, le consensus général à Lira et à Mukono est que les femmes obtiennent la terre par des relations sociales et donc que leurs revendications foncières ne sont difficiles à satisfaire que lorsque les hommes se liguent contre elles à cette fin. La décentralisation offre aux femmes la possibilité d’être présentes au sein des structures d’administration foncière, ce qui permet de décourager les abus et le déni de leurs droits fonciers. Cependant, à part des cas isolés de soutien de la part de politiciennes, la décentralisation n’a pas généré de gains importants pour les femmes.

La Tanzanie fonctionne selon un système dual centralisé au ministère des Terres, du Logement et des Établissements humains et dans des guichets fonciers de district qui relèvent du ministre chargé de l’Administration régionale et des Gouvernements locaux (qui à son tour relève du bureau du premier ministre). Au niveau local, les conseils de village, qui servent également de mécanismes de règlement des litiges, sont responsables de la gestion des terres et d’autres biens du village pour le compte de bénéficiaires. Quant aux comités d’arbitrage de village, ils déterminent les limites des terrains. La loi relative aux terres de villages (Tanzanie, 1999) prévoit une action positive pour les femmes: 25 % des postes dans toutes les structures locales leur sont réservés. Cette participation n’a cependant pas encore servi les droits fonciers des femmes.

La recherche en Tanzanie conclut que, même si le cadre juridique garantit l’égalité en ce qui concerne l’accès à la terre et son contrôle, les mécanismes et la pratique favorisent toujours la prédominance des hommes dans l’administration des terres. Comme en Ouganda, les mécanismes de règlement des litiges fonciers sont compliqués et confus, et la population est peu au courant des dispositions législatives qui concernent l’administration des terres.

La recherche entreprise par l’Université de Nairobi en collaboration avec le CBR prend en considération la nouvelle Constitution kényane, qui a été approuvée par référendum en 2010 et fournit un modèle d’administration décentralisée des terres différent des idées proposées lors de discussions référendaires antérieures. Par exemple, dans les projets de constitution antérieurs, les districts étaient la principale courroie de transmission au sein de cinq ordres de gouvernement. La nouvelle Constitution prévoit un système à deux ordres: un gouvernement national et des gouvernements de comté.

Un objectif essentiel des 47 gouvernements de comté est de permettre aux citoyens de s’autogouverner et d’accroître leur participation au processus de développement. De plus, ces gouvernements visent à faciliter la décentralisation des organes, des fonctions et des services de l’État. Chacun des comtés aura à sa tête un gouverneur, et l’alinéa 175(c) de la Constitution stipule que « pas plus des deux tiers des membres des organes représentatifs dans chaque gouvernement de comté seront du même sexe ».

Avant même l’adoption de la nouvelle Constitution kényane, des commissions de contrôle foncier avaient été créées afin de régir les transactions portant sur des terres agricoles. Situées dans chaque division ou district administratif, les commissions pourraient beaucoup aider les femmes à défendre leurs droits fonciers, mais peu de citoyens sont au courant de leur existence. Seules 54 des 160 personnes interrogées avaient déjà entendu parler des commissions de contrôle foncier. Le degré variait selon le district étudié: à Nyeri, 60 % des répondants connaissaient l’existence des commissions, mais ce pourcentage chutait à seulement 20 % à Kitui et à Kwale. Les réponses à la question de savoir quelles sont les fonctions des commissions de contrôle foncier révèlent une méconnaissance généralisée. À peine 20 % des personnes interrogées avaient déjà fait appel à leurs services.

Sauf pour les personnes nommées aux commissions par le ministère, le recrutement se fait au moyen d’annonces diffusées dans les bureaux — de district, de division, locaux — et invitant les personnes intéressées, et en particulier les femmes, à présenter leur candidature. Les candidates à Nyeri sont presque à niveau égal de formation et d’expérience avec les hommes, et la représentation féminine au sein des commissions de contrôle foncier a modifié la perception que les questions foncières sont un domaine exclusivement masculin.

Les femmes commissaires ont commencé à examiner de près les dossiers où des hommes s’adressent aux commissions pour obtenir l’autorisation de vendre une partie de la terre familiale. Les commissions des trois districts ont maintenant énoncé une règle selon laquelle toute personne cherchant à vendre une terre familiale doit démontrer qu’elle a l’assentiment du conjoint ainsi que des enfants. La commission se sert de diverses techniques pour vérifier l’authenticité des conjoints. À Nyeri, on a signalé le cas d’un homme qui a tenté de tromper la commission en faisant jouer le rôle de sa conjointe à une prostituée, qui disait autoriser la vente de la terre familiale. Cependant, avec l’aide de la population locale, la commission a pu établir que l’homme voulait vendre une partie de la terre familiale sans le consentement de sa femme. Il y a dix ans, il y serait arrivé, mais plus maintenant.

Politiques et réformes foncières nationales

Tsikata (2010) indique que les lois ont tenté d’éviter de plusieurs façons courantes que les femmes ne soient désavantagées sur le plan de la propriété et du contrôle de la terre, notamment en exigeant l’enregistrement des terres par le couple, le consentement obligatoire du conjoint pour la vente d’une terre, et une représentation féminine au sein des institutions locales chargées de l’administration foncière (peut-être au moyen de quotas). Elle ajoute que, si ces interventions sont importantes, elles n’entraîneront pas de changement fondamental des régimes fonciers étant donné la pénurie croissante de terres et la perte de sécurité d’occupation. Cela s’explique par le fait que ces interventions visant l’égalité des sexes font partie de réformes plus globales de libéralisation du marché qui concernent les institutions chargées de l’administration foncière, la législation foncière, l’arbitrage, la délivrance des titres de propriété et l’enregistrement foncier. Toutes ces réformes visent à « renforcer les marchés fonciers et à les rendre plus efficaces et pratiques pour les investisseurs étrangers, ce qui aurait des répercussions bénéfiques sur la population locale ».

La mise en garde de Tsikata est pertinente, mais on peut avancer que ces interventions pourraient aider à garantir que les femmes bénéficient équitablement des réformes dans la mesure où de la terre est disponible. Il est donc important d’examiner dans quelle mesure ces interventions courantes se traduisent par un changement réel sur le terrain.

Consentement du conjoint

La loi foncière (modifiée) de l’Ouganda (Ouganda, 2004) précise qu’un homme marié ou, plus rarement, une femme mariée doit obtenir le consentement du conjoint avant de procéder à toute transaction concernant la terre familiale. Elle stipule aussi que toute transaction effectuée en infraction à cette disposition est frappée de nullité. Au cours de sa recherche en Ouganda (Kabugo et coll., 2011), la Foundation for Human Rights Initiative s’est penchée sur la mesure dans laquelle la disposition est respectée. Dans les deux sous-comtés visés par la recherche, une organisation locale de défense des droits de la personne a été informée de 129 cas de femmes qui avaient été expulsées par les acheteurs de la terre familiale vendue par leur mari sans leur assentiment ou qui vivaient dans la peur de connaître un tel sort. Selon les dossiers de la fondation, environ la moitié des affaires foncières signalées en 2007 concernaient la violation de cette disposition.

Les chercheurs ont constaté que 37 des 40 personnes interrogées qui ont répondu à la question savaient qu’un homme doit obtenir le consentement de sa femme pour vendre une terre familiale. Ce résultat pourrait toutefois surestimer la connaissance de cette disposition dans l’ensemble de la population étant donné la méthode de sélection des répondants. En effet, lors de discussions de groupe, on a constaté qu’aucun participant autre que les fonctionnaires ne connaissait l’existence de la disposition.

Les participants aux groupes de discussion avaient aussi une définition du terme « conjoint » différente de celle de la loi. La plupart considéraient un homme et une femme qui vivent et ont des enfants ensemble comme des conjoints. Or, dans la législation ougandaise, le terme « conjoint » ne désigne qu’une personne mariée. Cela pose problème puisque les chercheurs affirment que la majorité des couples dans les deux sous-comtés à l’étude — comme dans d’autres régions rurales — ne sont pas mariés. L’Uganda Rural Development and Training Program (2011) signale un taux de concubinage élevé, et précise que la « quasi-polygamie », où un homme se marie selon la coutume tout en continuant à vivre en concubinage avec une ou plusieurs autres femmes, est la forme la plus courante de mariage.

Kabugo et ses collègues (2011) indiquent que lorsqu’on les a informés de la définition légale du terme « conjoint », les participants aux groupes de discussion « se sont demandé si la loi s’attaque vraiment au problème des femmes concernant l’accès à la terre et son contrôle ». Si ce commentaire porte à croire que les participants soutenaient les objectifs de la loi, la recherche cite cependant aussi un jeune homme de 20 ans qui s’oppose à la loi. « Quand je me marie, ma femme m’appartient, donc je peux faire ce que je veux de mes biens, y compris de la terre familiale », a dit ce dernier.

En outre, la plupart des participants étaient d’avis que même les femmes mariées ne devraient pas avoir de droits fonciers si elles n’avaient pas eu d’enfants, ces derniers étant un élément nécessaire de l’institution du mariage.

Les lois foncières ayant été adoptées il y a dix ans, nous avons été surprises de voir se lever une femme rurale, au cours d’un entretien dans un village, pour dire: « Il serait irrespectueux de ma part d’aller enregistrer mon propre nom dans le processus d’attribution des terres. Je dois inscrire le nom de mon mari parce que la terre reviendra à mes fils. » Suite à quoi un autre répondant, un homme, a déclaré sur un ton catégorique: « Selon les pratiques coutumières, c’est moi qui ai hérité de la terre. Mes soeurs peuvent l’utiliser, mais elles ne peuvent pas en hériter. C’est comme si j’étais le roi. » Josephine Ahikire, Centre for Basic Research (Ouganda)

Promotion et protection des droits à l’héritage et des droits de succession

Depuis 1999, le Rwanda a une législation progressiste qui reconnaît et protège le droit des femmes à posséder des terres et à en hériter. La législation comprend la Loi relative aux régimes matrimoniaux, aux libéralités et aux successions (Rwanda, 1999), qui vient compléter l’institutionnalisation de divers régimes matrimoniaux prévus par le Code civil de 1960. Cette loi accorde explicitement les mêmes droits de succession aux enfants de sexe masculin et féminin, et permet à la femme d’hériter des biens de son mari décédé.

À ces lois s’ajoute la Politique nationale foncière (Rwanda, 2004) et la Loi organique portant régime foncier au Rwanda (Rwanda, 2005). La politique et la loi visent à améliorer la sécurité d’occupation des Rwandais en leur accordant le droit à la location à long terme de leur terre (99 ans, renouvelable) et en stipulant que toutes les terres au Rwanda doivent être enregistrées officiellement. En outre, la loi stipule que les droits fonciers ne peuvent pas être transférés sans le consentement de tous les membres de la famille, y compris le conjoint par mariage et les enfants adultes. (Par ailleurs, la loi rwandaise ne reconnaît à l’heure actuelle que les mariages civils monogames.) Le consentement prend la forme d’un document signé par les membres de la famille devant un officier de l’état civil ou un greffe des titres fonciers.

La recherche réalisée par le Rwanda Women’s Network (2011) visait à déterminer dans quelle mesure ces réformes juridiques ont influé sur les pratiques sur le terrain. Les chercheurs ont retrouvé 50 femmes sur les 147 qui avaient porté des affaires devant la cour et un abunzi. (Le système des abunzi, comités composés de bénévoles de la communauté qui servent de médiateurs pour régler les litiges, existe de longue date.) Les renseignements obtenus lors d’entretiens avec les 50 femmes et des administrateurs fonciers ont révélé que les pratiques successorales coutumières se perpétuent parallèlement aux nouvelles lois. De plus, la plupart des litiges mettant en cause des femmes ont été réglés par les abunzi, qui oeuvrent en dehors des conseils traditionnels.

Nous avons des médiateurs — on les appelle abunzi en kinyarwanda — car nous avions déjà ces personnes, ce groupe de personnes, dans notre culture […] ce groupe composé de personnes âgées qui pouvaient s’asseoir et observer ce qui se passait dans la collectivité. […] C’est donc le système que nous avons dû rétablir. Ces médiateurs ne sont même pas rémunérés: ils travaillent bénévolement. Et ce qui complique leur tâche, c’est qu’ils ne disposent pas du matériel nécessaire, c’est-à-dire les exemplaires des différentes lois s’appliquant aux divers types de conflits qu’ils cherchent à résoudre. Par exemple, ils n’ont pas de copie des lois qui régissent le foncier, les successions, les héritages ou l’enregistrement de titres fonciers. Et malgré cela, ils essaient de régler des litiges. Et nous avons constaté qu’on dirait que [les femmes] pensent que l’accès à la terre est une faveur et non pas un droit. Odeth Kantengwa, Rwanda Women’s Network

Les femmes optent pour l’abunzi, car elles estiment que les autres options prévues par les lois des conseils de famille et celles du village sont empreintes de parti pris et susceptibles de corruption. À leur avis, l’abunzi suit généralement la loi, ce qui n’est pas le cas des autres institutions. Les femmes sont de plus en plus au fait de leurs droits fonciers, mais elles font face à un certain nombre de problèmes et n’ont pas l’aide nécessaire pour faire valoir et défendre ces droits.

Approches informelles (non juridiques)

L’initiative de GROOTS au Kenya représente une autre innovation introduite par un organisme de la société civile pour prendre en main les problèmes, fonciers et autres, des veuves et des orphelins du sida.

GROOTS Kenya a adopté son approche après avoir observé qu’un grand nombre de veuves séropositives étaient expulsées du domicile conjugal et se faisaient confisquer leur terre après avoir été accusées d’avoir causé la mort de leur mari. À Gatundu, où a été menée la recherche financée par le CRDI, des membres de GROOTS qui donnaient des soins à domicile bénévolement ont rencontré nombre de ces cas.

En réaction à cela, GROOTS a commencé à aider les collectivités à établir des groupes de vigilance concernant les terres et les biens communautaires. Ces groupes dont le mandat est de protéger les droits fonciers des femmes se composent de fournisseurs de soins à domicile, de techniciens juridiques, d’anciens, ainsi que de chefs religieux et de dirigeants des collectivités locales. Les groupes emploient diverses stratégies, dont celles de signaler les cas de dépossession de biens aux chefs de village, d’informer les femmes de leurs droits juridiques, d’assurer une médiation et de les aider à mener à bien leurs revendications foncières. Ils font également pression sur les administrateurs fonciers pour que ces derniers exigent qu’on leur présente des lettres prouvant le consentement du conjoint aux transactions foncières proposées.

Les autorités ont accepté ces groupes de vigilance, dans la mesure où ils sont représentés au sein des tribunes officielles qui se prononcent sur les transactions et les litiges fonciers. La majorité (58,8 %) des cas examinés dans le cadre du projet de recherche de GROOTS (2011) ont été signalés par des femmes, contre 37,6 % de cas signalés par des hommes. Cela pourrait s’expliquer par le fait que la plupart des victimes étaient des femmes ou des enfants (3,6 % des cas signalés n’étaient pas clairs). La figure 1 montre la distribution démographique des victimes d’abus fonciers dans le district de Gatundu.

L’initiative des groupes de vigilance a servi certaines femmes ainsi que l’ensemble de la collectivité. Dans certains cas, l’intervention d’un groupe a même abouti au licenciement de fonctionnaires locaux corrompus qui avaient exploité des femmes. Ces réalisations sont remarquables, mais l’initiative a aussi des limites. En effet, les membres des groupes n’ont pas toujours les connaissances et les compétences nécessaires pour effectuer les tâches très variées que l’on attend d’eux. En outre, le fait que le système soit fondé sur le bénévolat soulève les questions de sa pérennité et de son impartialité, étant donné que les personnes au sein des autres institutions qui sont chargées de ces problèmes sont des professionnels rémunérés.

Figure 1. Portrait démographique des personnes dépossédées de leur terre et de leurs biens, district de Gatunda, Kenya (GROOTS, 2011).

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Comparaison des effets des processus coutumiers et juridiques

À Madagascar, où il existe divers modes d’occupation, les chercheurs ont tenté de comparer l’accès des femmes à la terre en vertu des pratiques coutumières et des nouveaux processus juridiques. Seulement quelque 10 % des terres sont enregistrées et appartiennent à des entités privées conformément au droit français des biens. La plupart des autres terres, bien qu’elles appartiennent à l’État selon la loi, sont en fait occupées par ceux à qui la propriété a été cédée en vertu de processus, légitimés localement, qui découlent de la coutume.

Jusqu’à récemment, peu de Malgaches enregistraient leur terre, car ils se sentaient protégés par les droits coutumiers. En 2005, toutefois, le gouvernement a déclaré que le régime foncier était en crise. On disait que la crise avait des conséquences économiques et sociales sérieuses, et en particulier qu’elle était à l’origine de la réticence du secteur privé et des agriculteurs à investir dans la terre.

Le gouvernement annonça alors une nouvelle politique foncière qui devait favoriser un accès sûr à la terre par la création d’un système de gestion des terres décentralisé, plus efficace que l’ancien. La nouvelle politique reconnaissait juridiquement la propriété découlant de l’occupation et de l’utilisation de la terre. Elle intégrait au processus de reconnaissance les structures traditionnelles locales (les anciens du village) et les structures municipales ayant émané de la décentralisation. On a créé des guichets fonciers locaux chargés d’enregistrer les propriétés privées non titrées et de délivrer des certificats fonciers.

C’est dans ce contexte qu’a été mené un projet de recherche financé par le CRDI (Ramaroson et coll., 2011), lequel visait à comprendre les facteurs influant sur l’accès des femmes aux certificats fonciers. L’importance de la recherche a été accrue par une crise politique survenue vers la fin de 2008 en raison d’une augmentation des ventes de terres, y compris celle de grandes superficies de terres occupées appartenant à l’État à des investisseurs étrangers.

La recherche a été menée à deux endroits, soit Miadanandriana et Sahambavy. À Miadanandriana, les chercheurs ont constaté que les pratiques successorales ont changé. Il ressort des entretiens réalisés et des discussions de groupe que la plupart des gens de cette région ont hérité de la terre de leurs parents. Les hommes et les femmes ayant les mêmes droits, ils reçoivent des terres de taille et de qualité égales. Les chercheurs ont observé que la région, bien que rurale, est située près de la capitale, où il est facile d’avoir accès à des services sociaux (éducation, information, etc.). Les gens de la région ont donc une meilleure connaissance des lois que leurs concitoyens ailleurs au pays, ce qui peut avoir contribué à ce que les chercheurs appellent une « perte d’identité culturelle ».

À Sahambavy, l’héritage est principalement déterminé par les pratiques coutumières. Les femmes peuvent hériter, mais elles reçoivent des terres de taille et de qualité inférieures à celles des hommes. Elles obtiennent en effet une petite part symbolique de la terre laissée en héritage que l’on appelle sotroihinanana (littéralement, « une petite cuillère pour manger »). Le reste de la terre est donné à leurs frères, qui sont responsables de toutes les obligations sociales au village. Toutefois, si elle revient au village natal pour cause de veuvage ou de divorce, une femme peut demander d’y avoir l’accès. Une femme mariée qui achète une terre avec son mari en obtient la moitié en cas de divorce ou de veuvage. Une femme unie à un homme en vertu des pratiques coutumières ne reçoit qu’un tiers de la terre.

Les travaux de recherche ont révélé que le guichet foncier local n’a délivré que huit certificats fonciers sur cinquante-neuf à des femmes. Les femmes ont signalé que les procédures d’obtention de ces certificats sont longues et coûteuses, et qu’elles n’ont ni le temps ni l’argent pour entreprendre de telles démarches. Toutefois, les chercheurs n’ont trouvé aucune corrélation entre richesse et possession d’un certificat foncier. De l’avis de nombreuses femmes, les questions foncières comme l’obtention de titres de propriété et l’enregistrement sont une affaire d’hommes.

Ignorance de la loi

À Madagascar, comme dans plusieurs des autres pays, les chercheurs soulignent le niveau élevé d’ignorance des textes et des réformes législatifs. Plusieurs des recherches ont relevé que ce ne sont pas que les femmes, bénéficiaires potentielles de ces lois et réformes, qui sont dans l’ignorance. La recherche au Rwanda met en évidence une ignorance similaire ainsi que l’absence d’accès aux documents nécessaires chez les abunzi, lesquels arbitrent encore de nombreux litiges fonciers. Au Malawi, une table ronde avec des chefs a révélé que la plupart d’entre eux n’ont pas une connaissance suffisante des dispositions du droit foncier. Cela entraîne le recours aux lois coutumières, qui sont appliquées « depuis toujours ». En Ouganda, la recherche sur la décentralisation a révélé que même les responsables du district n’ont pas une connaissance exhaustive de la législation foncière.

Ces constatations semblent donner du poids aux propositions et recommandations en matière de politiques formulées dans certains rapports de recherche visant « l’éducation » des femmes et d’autres acteurs. Cependant, les données indiquent que le degré d’instruction ne semble pas avoir une influence majeure. À Madagascar, par exemple, le degré d’instruction des femmes ne semble pas influer sur le fait qu’elles visitent ou non le guichet foncier local à Miadanandriana. Au Rwanda, 20 des 50 femmes interrogées ne savent lire ni l’une ni l’autre des deux langues officielles (le français et le kinyarwanda); néanmoins, ces femmes ont revendiqué leurs droits fonciers par l’intermédiaire d’institutions officielles.

Tsikata (2010) pose la question de savoir ce que même une formation juridique et parajuridique ciblée peut accomplir. Elle relève le temps et les ressources qui ont été consacrés à ces activités au cours des dernières années: « Certaines femmes ont sans doute été habilitées à lutter pour leurs droits parce qu’elles étaient conscientes des lois adoptées. Toutefois, l’accent mis sur la formation juridique détourne des questions de pouvoir qui sont au coeur des inégalités ».

Coût d’un recours en justice

Même lorsque les femmes sont au courant des lois progressistes, le coût d’un recours en justice est souvent prohibitif, en termes de temps aussi bien que d’argent. Au Kenya, où toutes les terres doivent être enregistrées, de nombreuses veuves ont du mal à réunir les fonds nécessaires pour retracer les documents se rapportant à leur propriété au registre des actes (GROOTS, 2011). Les femmes doivent aussi payer des frais d’ouverture de dossier et des dépens.

Le processus initial du gel de toute transaction foncière exige aussi le paiement d’une caution spéciale. De plus, même si les règles prévoient la possibilité de dispenser les demandeurs à faible revenu des frais judiciaires, la demande d’une telle dispense comporte elle aussi des frais ! En ce qui concerne le temps, l’une des dirigeantes a indiqué qu’elle avait fait trois heures de marche pour se rendre au tribunal local, où elle constatait parfois que l’affaire n’était pas allée de l’avant.

En Ouganda, les membres de conseils locaux de deuxième niveau ne sont pas rémunérés. C’est pourquoi ces conseils, qui sont le premier recours pour les litiges fonciers, considèrent en général ces frais judiciaires comme une source de revenu.

Au Rwanda, où les femmes font également face à un processus juridique compliqué, 21 des participantes à l’étude ont indiqué que leur connaissance des lois est limitée. Il leur est particulièrement difficile de consacrer le temps nécessaire à un recours en justice étant donné leurs nombreuses responsabilités, ménagères et autres. Dans le cas de 25 femmes sur 50, ces difficultés étaient exacerbées par la peur de subir des violences physiques de la part de membres de la famille.

Revendications des femmes et développement économique

Dans l’ensemble, les recherches financées par le CRDI se sont centrées sur l’accès à la terre et sa propriété. Plusieurs autres questions de recherche importantes qui n’ont pas été étudiées en détail pourraient faire l’objet de recherches futures. Par exemple, quelles utilisations particulières a-t-on faites de la terre, et comment cela a-t-il contribué au développement économique ? Comment l’évolution de la situation, notamment macroéconomique, a-t-elle contribué à l’actuel contexte social de lutte des femmes pour l’accès à la terre ?

Rares sont les projets qui se sont penchés sur ce genre de préoccupations qui concernent le cadre économique et politique global dans lequel s’insère cette lutte. Au Cameroun, par exemple, les chercheurs ont fait certaines comparaisons instructives entre la conjoncture économique du pays et la situation économique historique. Ils indiquent que la concurrence féroce dont fait l’objet la terre a compliqué les perspectives des femmes cherchant à y accéder. De nos jours, en raison des politiques foncières libérales associées à un système patriarcal qui ne reconnaît pas le rôle des femmes comme agricultrices ou comme propriétaires terriennes, la situation des femmes est pire qu’à l’époque précoloniale. Si le régime foncier communautaire qui existait à l’époque précoloniale subvenait aux besoins des femmes — considérées comme des membres à part entière de la collectivité — et leur garantissait un rôle important, aujourd’hui, elles sont plus susceptibles d’être dépossédées de la terre.

En outre, la popularité croissante de la culture du café et le passage d’une agriculture de subsistance à la culture commerciale promue par la révolution verte des années 1970 ont nui aux femmes. Ces deux facteurs ont augmenté la valeur vénale de la terre, incitant parfois les hommes à « confisquer » les terres fertiles sous le contrôle de leur femme ou de leurs soeurs.

Les chercheurs du Mozambique ont aussi étudié de façon globale le conflit entre l’agriculture commerciale et l’agriculture de subsistance à petite échelle (Andrade et coll., 2009). La recherche a été menée dans la collectivité de Maragra, près du village de Manhiça, auprès de quelque 50 femmes, dont la plupart étaient des employées saisonnières dans les plantations de canne à sucre d’une puissante compagnie sucrière. La plupart d’entre elles avaient migré de la province de Cabo-Delgado et devaient donc louer des terres à des villageois du coin pour les cultiver et subvenir à leurs besoins.

Ces femmes — dont le sexe, la classe sociale et la provenance géographique les désavantageaient — se sont employées à améliorer leur sort en créant une coopérative composée de fermes individuelles et d’une ferme collective. À partir de là, elles essaient de revendiquer des droits, ainsi que l’accès à des tracteurs et à d’autres intrants nécessaires à leur entreprise d’agriculture de subsistance.

Mode d’utilisation de la terre: un exemple local

À Madagascar (Ramaroson et coll., 2011), les chercheurs ont fait appel à diverses méthodes, y compris une évaluation rurale participative, pour examiner les différents rôles joués par les femmes et les hommes en agriculture. L’équipe a soigneusement distingué les activités des ménages pauvres, à revenus moyens et riches et fait ressortir les différences en ce qui a trait aux tâches de même qu’au pouvoir relatif des femmes et des hommes de ces trois groupes.

Le tableau 2 montre que les femmes pauvres ont accès à la terre, mais que le contrôle qu’elles exercent est très limité. Les hommes prennent les décisions relatives aux cultures même si les femmes font une bonne partie du travail. Les femmes peuvent décider de l’utilisation des produits tirés du potager, du bahiboho ou des basses terres (mais seulement en ce qui concerne la culture forcée): les vendre ou s’en servir aux fins de la consommation domestique. Ce sont toutefois les hommes qui décident de l’utilisation de l’argent tiré de la vente des récoltes. Les femmes pauvres travaillent par ailleurs comme ouvrières agricoles sur les terrains des autres afin de gagner un revenu.

Tableau 2. Comparaison de l’accès des femmes à la terre selon qu’elles appartiennent à un ménage pauvre ou à un ménage riche

Culture

Eucalyptus (forêt)

Patate douce (jardin potager)

Manioc (hautes terres)

Légumineuses (bahiboho)

Riz (basses terres)

Pomme de terre, fève (basses terres, culture forcée)

Ménages pauvres

Activités

Collecte de bois de chauffage

Plantation, désherbage, récolte

Plantation, désherbage

Désherbage, récolte

Désherbage, stockage du produit

Toutes les activités sauf la préparation de la terre

Mode d’accès à la terre

Acceptation par la communauté

Héritée par le mari

Héritée par le mari

Héritée par le mari

Héritée par le mari

Héritée par le mari

Contrôle sur le produit

+++ (utilisation domestique)

++

Consommation domestique

+

Vente par les hommes. Consommation domestique en ce qui concerne les femmes

+

Ménages riches

Activités

Sans objet: on achète du charbon ou du bois de chauffage

Récolte

Désherbage, récolte

Recours à la maind’oeuvre externe et entraide

Recours à la maind’oeuvre externe et entraide

Mode d’accès à la terre

Héritée par le mari

Héritée par le mari

Héritée par le mari et achetée par le couple

Héritée par le mari et achetée par le couple

Contrôle sur le produit

+++

++

+++

++ (couple)

++ (couple)

Légende: +, faible contrôle; ++, contrôle moyen; +++, contrôle élevé

En revanche, les femmes riches ont plus de contrôle sur la terre qu’elles utilisent. Elles travaillent moins que les femmes des autres classes sociales et participent davantage à la prise de décision. En fait, leur mari les consulte souvent s’agissant de déterminer ce qu’on fera des récoltes. La production de ces familles est suffisante pour leur permettre d’en vendre une partie, qui n’est pas consommée par le ménage. Ces familles ont aussi plus d’argent, et donc les moyens d’acheter des rizières ou d’autres types de terrains. Les droits fonciers de ces femmes sont supérieurs, car une bonne partie des terres ne sont pas héritées de la famille du mari.

Les chercheurs ont constaté que le droit des femmes pauvres ou à revenus moyens de ramasser du bois de chauffage dans la forêt est reconnu, même si le terrain forestier ne leur appartient pas, à elles ou à leur famille.

Au Zimbabwe (Mazhawidza et Manjenwa, 2011), les chercheurs ont voulu dépasser la question d’accès à la terre pour examiner si les femmes qui y avaient accédé par l’intermédiaire du programme éclair de réforme agraire lancé en 2000 la cultivaient toujours huit ans plus tard. Lors d’une des réunions de planification, le chef d’équipe a expliqué que cela était nécessaire puisque les femmes ont de la difficulté à obtenir l’équipement agricole et d’autres intrants essentiels à l’utilisation de la terre.

Les résultats de la recherche ont confirmé des rapports antérieurs selon lesquels de nombreuses femmes qui avaient participé au jambanja (occupations illégales de terres) de 1999-2000 n’ont pas eu accès à des terres. (Jambanja est un terme zimbabwéen qui désigne le désordre ou le chaos régnant à l’époque.) De plus, de nombreuses femmes font partie des personnes ayant perdu leur emploi permanent ou occasionnel à une ferme commerciale, voire leur domicile. Les chercheurs ont aussi relevé que le programme de réforme agraire accéléré a entraîné une moindre disponibilité de bois de chauffage, ce qui oblige les femmes à aller en chercher plus loin et donc à consacrer un plus grand nombre d’heures à la collecte de combustibles.

Le chef d’équipe a fait valoir à cet égard qu’il n’est pas utile de mettre en cause la politique, huit ans plus tard, l’attribution des terres étant « chose faite ». En outre, la propriété des terres étant l’une des questions les plus politisées au pays, il serait risqué de remettre en question leur attribution. La recherche a donc plutôt porté sur les cas de femmes qui avaient réussi à obtenir des terres de réinstallation grâce à l’attribution de terrains par l’administrateur de district du ministère des Terres.

Le rapport indique qu’au moment de la redistribution, le mécanisme national pour les femmes a demandé que 20 % des terres soient attribuées aux femmes. Le comité présidentiel de révision foncière mis sur pied en 2003 a constaté que 18 % des terres de type A1 (les terres appartenant au village et exploitées par celuici, plutôt que des terres commerciales) sont attribuées à des femmes en propre. Les chercheurs soulignent le contraste entre cette donnée et le fait que les femmes représentent quelque 65 % de la population rurale, tout en reconnaissant que beaucoup de ces femmes ont obtenu des terres en se mariant. La recherche de suivi financée par le CRDI visait à enquêter sur les aspects sociaux, économiques et politiques concernant les femmes à qui des terres avaient été attribuées en propre.

Si l’échantillon est bien trop petit pour en tirer des conclusions représentatives au niveau national, les commentaires de plusieurs des participantes indiquent toutefois que l’importance de la terre dépasse le cadre économique. « La terre nous nourrit, la terre nous procure un sentiment de dignité, la terre est une source de pouvoir économique », a affirmé une femme. Une autre a déclaré ceci: « Au moins, maintenant, j’ai un endroit où me faire enterrer. Si on me cherche, on saura où me trouver. »

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Chapitre 4
Leçons apprises

Leçons sur la recherche

Des méthodes de recherche très variées ont été utilisées dans le cadre des études effectuées dans les divers pays. La recherche en Afrique du Sud comportait une enquête standardisée qui a été menée auprès d’un échantillon aléatoire de 3 000 femmes adultes en trois endroits, accompagnée de discussions de groupe à chaque endroit, avant et après sa réalisation. De même, la recherche au Cameroun comprenait une enquête de grande envergure menée auprès de personnes des deux sexes, ainsi que des entretiens et des groupes de discussion. Les chercheurs se sont entretenus avec des personnes de tous les groupes socioéconomiques, politiques, démographiques et ethniques dans la région à l’étude.

Un grand nombre des autres projets de recherche, surtout ceux dont les subventions étaient peu importantes, se sont largement appuyés sur des méthodes qualitatives, comme les groupes de discussion et les entretiens approfondis. Certains projets comprenaient des enquêtes, mais celles-ci étaient généralement réalisées auprès d’un échantillon de petite taille.

Plusieurs des projets se sont fondés sur des méthodes de recherche non classiques. Par exemple, l’équipe de Madagascar s’est servie de techniques d’évaluation rurale participative. Dans le cadre de sa recherche, l’Uganda Rural Development and Training Program a utilisé une démarche encore plus inusitée, « l’analyse positive ». Cette méthode — conforme à l’approche « visionnaire » du développement rural qu’a le progamme — consiste à tenter d’aider les femmes à examiner de façon critique et à faire évoluer leurs propres aspirations par rapport à la terre ainsi que celles de la collectivité.

Quiconque a une définition étroite de la recherche « en bonne et due forme » pourrait être préoccupé par l’éventualité que ces méthodes non classiques faussent les constatations. L’avantage manifeste de ces méthodes de recherche axées sur la participation est qu’elles sont plus susceptibles que d’autres de donner des résultats immédiats. Par exemple, dans le cas de l’Ouganda, les participantes aux ateliers de visualisation ont par la suite organisé un groupe d’épargne et lancé d’autres initiatives collectives pour s’attaquer aux problèmes dont elles avaient discuté. De même, au Mozambique, la recherche a contribué à l’établissement d’un programme dans le cadre duquel un organisme communautaire fournit une aide juridique aux femmes victimes de violence familiale ou dont les droits ont été violés, notamment dans le cadre de conflits familiaux ou fonciers. Des femmes ont aussi créé une coopérative pour essayer d’empêcher la culture de la canne à sucre sur leurs terrains ou sur les terres collectives.

Le rapport de recherche du Malawi relève que les « pratiques novatrices » suivantes ont été utilisées au cours ou à la suite de la recherche.

• Collaboration avec les chefs coutumiers dans la société patrilinéaire de Mzimba, ce qui a incité ces derniers à dénoncer la dépossession des veuves de leur terre.

• Création de groupes de défense des femmes qui soutiennent l’action de ces dernières. Les groupes qui ont été établis à Mzimba ont collaboré avec la Coalition des agricultrices. Grâce à l’aide organisationnelle obtenue de l’ONG Action Aid, ces groupes ont noué un dialogue avec les chefs coutumiers afin de revendiquer des droits fonciers.

L’une des difficultés que présente la participation d’organisations militantes à la recherche est de trouver un juste équilibre entre documentation, militantisme et recherche. Parfois, les chercheurs qui adoptent l’approche participative peuvent sembler se soucier davantage de réaliser des progrès concrets que de produire de nouvelles connaissances. Cependant, comme l’indique Sabine Pallas de l’ILC, le succès et la poursuite des recherches auxquelles participent des personnes désavantagées dépendent de la possibilité de ces dernières de réaliser des gains concrets:

Il est très difficile pour les personnes qui font la recherche et celles qui vivent ce genre de situation au quotidien d’établir un lien, car elles parlent des langues différentes, emploient différents registres de langue... Nous avons commencé à établir des rapports par l’intermédiaire de ce projet, qui nous a permis de nouer de nombreuses relations [...] autrement, on risque d’avoir une recherche très rigoureuse et de grande qualité, publiable dans une revue savante mais pas nécessairement utile sur le plan pratique.

Conclusions en ce qui concerne les politiques

Pratiquement toutes les études financées par le CRDI portaient sur des régions données de certains pays. Vu la diversité des situations locales, nous ne devrions pas en tirer des leçons générales sans faire preuve de prudence. Un point qui ressort toutefois clairement des divers travaux de recherche est l’augmentation du nombre de femmes qui semblent accéder à la terre. Cette constatation soulève la question de savoir s’il s’agit d’une évolution entièrement positive ou si au moins une partie de ces gains ne refléterait pas l’augmentation du nombre d’hommes migrant vers les villes en quête d’une vie meilleure et laissant aux femmes l’accès à une ressource moins utile. Les résultats des études du Cameroun et de l’Afrique du Sud pourraient aller dans ce sens.

Les recherches ont mis en évidence diverses réformes, y compris juridiques, qui visent notamment à promouvoir l’égalité des sexes. Dans la plupart des cas, ces réformes ont toutefois été appliquées partiellement ou ont eu un effet limité. L’adoption de lois est peu efficace si les ressources nécessaires pour leur application ne sont pas fournies, si l’on n’informe pas toutes les parties prenantes de leurs dispositions, si l’on ne surveille pas les réformes et si l’on ne prévoit pas de sanctions efficaces en cas de non-application. De plus, les réformes doivent être élaborées de façon plus réfléchie et leur application doit être surveillée. Comme nous met en garde Tsikata (2010), l’efficacité des « solutions » parfois simplistes insérées dans les lois à ce jour — tels que les titres fonciers établis au nom des deux conjoints ou la représentation des femmes au sein des structures d’administration foncière — s’avère limitée.

Les recherches financées par le CRDI, lesquelles accordent une place importante aux récits des femmes sur le terrain, soulignent l’importance de consulter ces dernières et d’obtenir leur participation à l’élaboration des réformes et à la surveillance de leur application. Par ailleurs, la surveillance sera plus efficace si l’on se fonde sur l’expérience réelle des femmes au lieu de se limiter à consulter des dossiers administratifs ou à réaliser des entretiens avec des fonctionnaires.

Le simple fait d’être dans les collectivités me permet d’actualiser ma conception du droit parce que c’est tellement facile, comme avocate, de parler de ce que sont les droits. Mais souvent, lorsqu’on fait ce genre de recherche, on arrête et on se dit: minute, le problème de ces femmes n’est pas le droit qui leur est conféré par la loi, mais plutôt le besoin d’assurer qu’il y a de la nourriture sur la table. Il faut donc faire le lien entre les questions qui relèvent des politiques et les questions juridiques, d’une part, et les aspects très pratiques de la vie de tous les jours, d’autre part. Patricia Kameri-Mbote, Université de Nairobi

Dans tous les pays, la recherche confirme que l’accès des femmes à la terre ne repose pas simplement sur un choix entre des systèmes coutumier et législatif. La question qui se pose est plus complexe et concerne la manière dont les deux systèmes interagissent et sont utilisés par différents groupes de femmes et d’hommes. La recherche souligne la « souplesse » des lois et pratiques coutumières.

Les rapports mettent en évidence des aspects aussi bien négatifs que positifs. Du côté négatif, les recherches montrent que la coutume peut servir à miner des dispositions législatives bien intentionnées, et constatent la difficulté persistante à appliquer la loi. Du côté positif, il est clair que, dans certains pays, on a bien adapté les coutumes pour tenir compte de l’évolution des situations. Les recherches soulignent ainsi la nécessité de commencer à considérer le droit coutumier comme un système « vivant » qui évolue, plutôt que comme une chose qui a été coulée dans le béton au moment où des administrateurs coloniaux et des anthropologues l’ont autrefois mise par écrit ou codifiée.

Politisation du foncier

Enfin, il est important de reconnaître la nature très épineuse des questions foncières dans de nombreuses régions d’Afrique. Les chercheurs d’un organisme ont souligné ce point; ils ont en effet prévenu le lecteur que si l’on utilisait les résultats de leur recherche pour discréditer le gouvernement aux yeux des bailleurs de fonds internationaux, cela pourrait compromettre le travail de leur organisme, voire menacer son existence.

Deux des équipes de recherche ougandaises ont fait état de difficultés accrues à effectuer la recherche à l’échelle locale en raison de la délicatesse des questions foncières. L’Uganda Rural Development and Training Program (2011) a indiqué qu’il avait amorcé sa recherche par une réunion avec les conseillers locaux (au niveau des villages et des sous-comtés). Lors de cette réunion, les conseillers avaient recommandé que les femmes n’ayant pas de rôle politique proposent le nom d’autres femmes qui pourraient participer à la recherche. Un représentant du conseil local, souvent le vice-président, assistait à chacune des réunions tenues pour choisir les personnes qui participeraient à la recherche.

Le rapport de la Foundation for Human Rights Initiative (Kabugo et coll., 2011) signale que, vu la délicatesse des questions foncières — ainsi que la croyance répandue en Afrique que toutes les affaires domestiques doivent demeurer privées —, certaines des femmes dont les chercheurs devaient recueillir le récit ont refusé de parler de leur expérience, tandis que certaines autres n’ont pas donné d’informations concrètes. Ces femmes ont dit que si elles dénonçaient leur mari, cela pourrait lui valoir « des ennuis », voire la prison. Elles étaient d’avis que cela leur nuirait, le mari étant dans la plupart des cas la seule source de revenu du ménage.

Chapitre 5
Perspectives d’avenir

Dans ce livre, nous avons examiné des questions fondamentales sur les droits et l’accès des femmes à la terre, ainsi que sur son contrôle et son utilisation. Il est clair qu’il reste encore beaucoup à faire, et le CRDI continue d’ailleurs de financer la recherche dans ce domaine. Ce dernier chapitre présente certaines questions qui méritent d’être examinées à l’avenir.

Action concertée des femmes

Les femmes reçoivent très peu d’appui pour prendre en main leurs revendications foncières, et les efforts visant à résoudre les questions liées à la terre et à la propriété sont généralement isolés et mal coordonnés. L’action concertée des femmes représente toutefois une force politique et économique importante. L’établissement d’alliances et de partenariats ainsi que le renforcement des mouvements féministes permettront de mieux défendre l’accès sûr des femmes à la terre. Cela permettra d’accroître les moyens des femmes en favorisant l’échange d’informations sur les systèmes d’administration des terres et sur d’autres aspects concrets influant sur leurs droits fonciers.

Sensibilisation et vigilance

Diverses approches passant par la simplification et la refonte des nombreuses lois foncières dans un pays donné sont nécessaires à la lutte contre les injustices foncières. De plus, il est vital d’établir et de maintenir des liens entre la recherche, les politiques, les pratiques et la population.

Un recours en justice est chronophage et requiert souvent la mobilisation de ressources importantes. La nécessité de former et de soutenir divers intervenants est flagrante. Ainsi, il est essentiel de former plus de techniciens juridiques aux questions foncières pour qu’ils puissent les interpréter et représenter les femmes efficacement lorsqu’elles revendiquent leurs droits. Il importe également de sensibiliser les femmes et d’améliorer leur compréhension des lois et des politiques pour qu’elles sachent quand leurs droits sont violés et quels sont les recours dont elles disposent. La formation de journalistes à la problématique foncière des femmes pourrait aussi permettre de susciter l’adhésion de la population au changement. L’échange de connaissances entre pays en développement et entre régions permettrait enfin aux femmes de partager leurs expériences et stratégies de protection des droits fonciers.

Efforts à l’échelle du continent africain

En septembre 2010, à l’occasion d’un colloque organisé par le CRDI à Nairobi sur le thème L’accès à la terre en Afrique: un terrain miné pour les femmes, des chercheurs de partout sur le continent ont pu communiquer leurs constatations et leurs recommandations en matière de politiques, dialoguer avec des responsables des politiques et promouvoir l’établissement de réseaux sous-régionaux. Plus de 140 personnes provenant de 17 pays africains ainsi que d’organisations internationales et d’organismes bailleurs de fonds ont participé à la rencontre.

Pourtant, malgré cette participation remarquable, l’absence de représentation de certaines régions du continent, notamment l’Afrique du Nord et l’Afrique centrale, saute aux yeux. En fait, la recherche sur les femmes et la terre en est encore à ses débuts. De nombreuses sous-régions ont à peine été étudiées à ce jour. Les études publiées jusqu’à présent doivent faire l’objet d’une analyse plus approfondie, et il faut déterminer les priorités de recherche que recèlent les contextes peu étudiés.

Création d’un réseau

Le colloque de Nairobi a été organisé en partie pour répondre à la nécessité que les chercheurs et d’autres acteurs nouent des relations avec d’autres personnes oeuvrant dans le domaine, et pour offrir un lieu d’échange sur les méthodes, expériences et constatations de recherche. La prochaine étape consiste à déterminer la meilleure façon d’établir un réseau informel efficace et de le soutenir. Le succès d’un tel réseau dépendra de sa capacité de répondre aux besoins des participants, d’évoluer à mesure de l’évolution de ces besoins et d’établir des relations de collaboration avec d’autres réseaux.

Intégration aux politiques

Même si des recommandations en vue de voir la recherche se répercuter sur les politiques et les pratiques ont été formulées dans le cadre des projets, les participants au colloque ont eux aussi formulé des recommandations en matière de politiques et d’interventions. Le document présente aux responsables de politiques et aux praticiens une autre occasion d’engager des discussions, et encourage une réflexion nouvelle sur les femmes et la terre. Les partenaires de projet ont du pain sur la planche en ce qui concerne la diffusion et les stratégies de mise en application.

Aspects méritant une recherche plus poussée

Voici quelques-uns des aspects des droits et de l’accès des femmes à la terre sur lesquels on pourrait envisager d’effectuer des recherches.

Femmes, droits de propriété et violence

Les études préliminaires réalisées par le CRDI ont soulevé des préoccupations quant à la possibilité que les progrès réalisés par les femmes sur le plan du contrôle des biens incitent les hommes à la violence. Elles indiquent qu’en raison de l’évolution des responsabilités et de la conjoncture politique et économique, les hommes sentent leur pouvoir diminuer; dans certaines situations, ils essaient d’asseoir leur autorité par des comportements (sexuels) agressifs. Dans les cas où la propriété est commune et où le consentement de la femme peut être nécessaire à la location de la terre ou à sa vente, on a signalé que le mari obtient parfois ce « consentement » par la force. Le rapport entre l’appartenance à l’un ou l’autre sexe, la violence et les droits fonciers est un aspect essentiel qui justifie qu’on s’y attarde davantage.

Les enfants et l’accès à la terre

On a jusqu’à présent peu étudié comment la présence d’enfants et la relation aux enfants influent sur les droits et l’accès des femmes à la terre. La recherche sur cette question pourrait contribuer à la planification et à l’élaboration de politiques en ce qui concerne les revendications foncières et l’utilisation des terres, aux échelons national et local. Dans certains systèmes coutumiers, les droits fonciers d’une femme célibataire ou d’une veuve peuvent dépendre du fait qu’elle ait des enfants à sa charge ou, plus précisément, de l’existence d’enfants mâles.

Accaparement des terres

De nouveaux enjeux compliquent les choses, mais devraient aussi susciter un intérêt renouvelé pour la question des femmes et de la terre: crises alimentaire et énergétique, accaparement des terres de la part de gouvernements étrangers et d’entités transnationales, et projets d’infrastructure d’envergure. De plus amples recherches s’imposent pour déterminer le rapport entre ces questions, les droits des femmes et l’administration des terres, et pour dégager les points communs et les différences entre pays et régions.

Priorités de santé des femmes travaillant et vivant dans des agroécosystèmes

Comprendre les rapports entre les priorités de santé des femmes, leurs préoccupations environnementales, et l’accès à la terre ainsi que l’utilisation qu’elles en font a des incidences sur les politiques de santé des femmes comme sur la pérennité des agroécosystèmes. Les incidences de la pauvreté sur la santé dans les régions rurales comprennent une vaste gamme de problèmes liés à l’environnement: malnutrition, problèmes de santé reproductive, VIH/sida, autres maladies infectieuses, et risques chimiques et physiques. De plus, les discussions sur la sécurité alimentaire doivent tenir compte des incidences du choix des cultures, de l’utilisation d’engrais, de l’eau, des récoltes et de la commercialisation sur la santé des femmes.

Une nouvelle génération de dirigeantes africaines

Enfin, on ne saurait trop insister sur l’importance de fournir enseignement et formation dans diverses disciplines aux jeunes Africaines.

Les projets de recherche financés par le CRDI ont employé plusieurs méthodes pour garantir la participation des jeunes femmes à divers aspects de leur conception, de leur gestion et de leur exécution, y compris à d’importants travaux sur la théorie et les méthodes de recherche. Certains projets sont allés plus loin, et ont permis à de jeunes dirigeantes d’organismes communautaires de diriger des processus de recherche à l’échelle locale comme nationale, ainsi que de présenter leurs travaux sur destribunes internationales.

Nous espérons que de telles méthodes continueront d’être utilisées dans le cadre de toutes les initiatives dans ce domaine. Nous estimons que cette approche peut contribuer à la création d’une nouvelle génération de chercheures et de dirigeantes africaines qui sauront faire avancer des programmes de politiques susceptibles de profiter à l’ensemble de la population.

Sources et ressources

Ce livre, qui porte sur les recherches financées par le CRDI dans le domaine des droits et de l’accès des femmes à la terre, fait partie intégrante du pages Web du Centre consacré à ce thème (www.crdi.ca/un_focus_lesfemmesetlaterre). Le texte intégral du livre est disponible en ligne et oriente le lecteur vers une riche bibliothèque comprenant études préliminaires, résultats de tous les projets, vidéos et rapports de conférences.

Il existe de très nombreuses publications sur les femmes, leurs droits à la terre et le régime foncier en général. Cette annexe en présente une petite sélection à ceux qui veulent approfondir leur étude du domaine.

 

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Partenariats

Dans le cadre de l’appui accordé à ces recherches, le CRDI a collaboré avec plusieurs organisations internationales et bailleurs de fonds partenaires qui travaillent également sur les questions de régime foncier. Le lecteur est invité à consulter leurs documents sur les droits et l’accès à la terre dans les sites Web indiqués ci-dessous.

Agence canadienne de développement international

www.acdi-cida.gc.ca

Agence suédoise de coopération internationale au développement

www.sida.se

Banque mondiale

www.worldbank.org

Coalition internationale pour l’accès à la terre (ILC)

www.landcoalition.org

Commission Huairou

www.huairou.org

Fondation Ford

www.fordfoundation.org

Fonds international de développement agricole (FIDA)

www.ifad.org

Institut international pour l’environnement et le développement (IIED)

www.iied.org

Norwegian People’s Aid

www.npaid.org

Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO)

www.fao.org/index_fr.htm

Programme des Nations Unies pour les établissements humains (ONU-Habitat)

www.unhabitat.org

Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD)

www.undp.org

Organismes soutenus par le CRDI

Avocats sans frontières, Rwanda

http://www.asf.be/fr/asf-au-rwanda www.lawyerswithoutborders.org

Centre for Basic Research, Ouganda

www.cbr-ug.org

Centre national de la recherche appliquée au développement rural (FOFIFA), Madagascar

www.fofifa.mg

Community Agency for Social Enquiry, Afrique du Sud

www.case.org.za

Fédération des femmes rurales (FVTM), Madagascar

Fórum Mulher, Mozambique

www.forumulher.org.mz

Foundation for Human Rights Initiative, Ouganda

www.fhri.or.ug

GROOTS Kenya

www.groots.org

Harmonisation des actions pour la réalisation d’un développement intégré (HARDI), Madagascar

www.hardi-madagascar.org

Institute for Poverty, Land and Agrarian Studies (PLAAS), University of the Western Cape, Afrique du Sud

www.plaas.org.za

Makerere Institute for Social Research, Ouganda

misr.mak.ac.ug

Réseau syndical des organisations agricoles (Réseau SOA), Madagascar

Rwanda Women’s Network

www.rwandawomennetwork.org

Solidarité des intervenants sur le foncier (SIF), Madagascar

www.sif-mada.com

Uganda Land Alliance

www.ulaug.org

Uganda Rural Development and Training Program

 

University of Buea, Cameroun

www.ubuea.net

University of Ghana

www.ug.edu.gh

University of Nairobi (Institute of Development Studies and Faculty of Law), Kenya

www.uonbi.ac.ke

University of Zimbabwe

www.uz.ac.zw

Women Farmers Association, Zimbabwe

Women’s Legal Resources Centre, Malawi

Young Widows Advancement Program, Kenya

www.youngwidowskenya.org