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La cogestion des Ressources naturelles

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Les questions d'actualité les plus pressantes qui influent sur le développement durable, voilà à quoi s'attaque la collection un_focus du CRDI. Chaque fascicule distille les recherches du CRDI pour en tirer les enseignements les plus importants ainsi que les observations et les recommandations les plus pertinentes pour les décideurs et les analystes des politiques. Chaque ouvrage constitue en outre un point de convergence vers un site Web où le CRDI étudie ces questions plus en profondeur et présente toute l'information que souhaitent obtenir les lecteurs et internautes de divers horizons. La liste de tous les sites un_focus se trouve à www.crdi.ca/un_focus. On peut aussi parcourir et commander les titres de la collection à www.crdi.ca/livres.

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La cogestion des Ressources naturelles

RÉDUIRE LA PAUVRETÉ PAR L'APPRENTISSAGE LOCAL

par Stephen R. Tyler

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Publié par le Centre de recherches pour le développement international
BP 8500, Ottawa (Ontario), Canada K1G 3H9
www.crdi.ca

© Centre de recherches pour le développement international 2006

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada

Tyler, Stephen R
La cogestion des ressources naturelles : réduire la pauvreté par
l'apprentissage local / par Stephen R. Tyler.

Publ. aussi en anglais sous le titre: Comanagement of natural resources.
Comprend des réf. bibliogr.
ISBN 1-55250-329-1

1. Cogestion des ressources naturelles—Pays en voie de développement—Cas, Études de. 2. Conservation des ressources naturelles—Pays en voie de développement—Cas, Études de. 3. Gestion des conflits—Pays en voie de développement— Cas, Études de. 4. Développement durable—Pays en voie de développement—Cas, Études de. 5. Développement rural—Pays en voie de développement—Cas, Études de. I. Centre de recherches pour le développement international (Canada).

HD75.6.T9414              2006 333.7              C2006-980261-0

Tous droits réservés. Toute reproduction, stockage dans un système d'extraction ou transmission en tout ou en partie de cette publication, sous quelque forme ou par quelque moyen que ce soit — support électronique ou mécanique, photographie ou autre — est interdit sans l'autorisation expresse du Centre de recherches pour le développement international. Tous les noms de spécialité mentionnés dans la présente publication ne sont donnés qu'à titre d'information et le fait qu'ils soient mentionnés ne signifie pas que le Centre les approuve. Les frontières et les noms géographiques figurant sur les cartes reproduites dans la présente publication ne doivent pas laisser croire que le Centre de recherches pour le développement international les approuve ou les accepte de quelque manière que ce soit. Afin de faciliter la lecture du texte, le masculin est utilisé dans la présente publication pour désigner à la fois les femmes et les hommes.

Les Éditions du CRDI s'appliquent à produire des publications qui respectent l'environnement. Le papier utilisé est recyclé et recyclable; l'encre et les enduits sont d'origine végétale.

Ce livre, dont le texte intégral est disponible en ligne à < www.crdi.ca/livres >, sert également de référence au site Web du CRDI sur la gestion des ressources naturelles: < www.crdi.ca/un_focus_cogestion >.

Table des matières

Préface — Robert Chambers Image

vii

Avant-propos Image

xi

Chapitre premier. L'enjeu et le contexte de la recherche Image

1

Des ressources fragiles, des gens oubliés

1

Petite histoire, grande complexité

5

À ressources différentes, droits différents

8

Le dialogue, source de liberté d'action pour les utilisateurs locaux

15

L'équité sociale et l'environnement

17

Trouver la bonne démarche de recherche

19

Chapitre 2. La recherche au service de la cogestion Image

25

Une gamme d'options pour le partage du pouvoir

25

Au-delà de la théorie, la recherche-action

29

L'élaboration de nouvelles méthodologies

30

L'apprentissage par la pratique ou l'interaction de l'urgence et de la prudence

31

Apprendre à apprendre ensemble

33

Le leadership local

34

La diffusion, gage de changement

35

Chapitre 3. Les expériences sur le terrain Image

37

Le Cambodge — les conflits sur les ressources et la propriété collective

38

Le Viet Nam — la mise en commun des ressources à la lagune de Tam Giang

44

L'Équateur — les conflits sur les ressources hydriques et la conservation dans un bassin hydrographique des Andes

52

Le Bhoutan – la gestion du bassin hydrographique et la réforme politique

58

La Chine — la réduction de la pauvreté rurale passe par la recherche participative dans la province du Guizhou

64

Le Liban — les conflits sur les ressources et la modification des moyens de subsistance à Arsaal

70

Inspirés par la tradition

74

Chapitre 4. Résultats, leçons, défis Image

79

Les résultats de recherche

79

Les leçons tirées de l'expérience

85

Les défis

90

Annexe 1. Glossaire Image

95

Annexe 2. Sources et ressources Image

99

Préface

Au cours des deux dernières décennies, la conception de la gestion équitable et durable des ressources naturelles a connu bien des métamorphoses. Des transformations inspirées et confortées par l'innovation et la recherche, notamment celle qu'a parrainée le Centre de recherches pour le développement international (CRDI) du Canada. Les vieilles idées de domination et de contrôle, d'imputer aux pauvres la mauvaise gestion de leurs ressources, ont été mises au rencart. Comme ce livre l'illustre, les résultats sont véritablement admirables.

Les chercheurs et d'autres intervenants de l'extérieur ont changé leur tournure d'esprit, leurs comportements, leurs attitudes et leur perception de leur rôle. Ils sont devenus aussi animateurs, facilitateurs, négociateurs, défenseurs. Quant aux membres des collectivités locales, ce sont désormais les principaux acteurs, les apprenants, les gestionnaires; ils se sont approprié le processus du changement. Assurer l'égalité des populations qui vivent en marge ainsi que la gestion durable des ressources sont des objectifs que l'on n'aborde plus sous l'angle des ressources, mais que l'on atteint en se préoccupant des gens, en leur donnant les moyens de se prendre en charge et en veillant à l'évolution parallèle des systèmes de cogestion.

Les cas dont cet ouvrage fait état témoignent éloquemment de la réussite de cette approche. Les enseignements pratiques qui en résultent sont empiriques. Ils ne sont pas le fruit de l'imagination d'idéalistes exaltés, mais de constatations vérifiées découlant de l'expérience. Les résultats, les leçons et les répercussions concrètes sont clairement et succinctement résumés.

Ces constatations posent un défi qu'il ne faut pas sous-estimer. Elles bousculent les croyances et éliminent les réflexes de bon nombre de professionnels toujours en place et en position de pouvoir. Le danger, c'est que ces enseignements soient rejetés par une arrière-garde bien intentionnée, mais qui est dépassée et coupée des réalités. Car elles contredisent la séduisante illusion des démarches précédentes, plus simples, plus usuelles et plus hiérarchisées. Le journaliste et satiriste américain H.L. Mencken a écrit que « pour tout problème humain complexe, il existe une solution simple et claire, mais ce n'est pas la bonne ». La gestion des biens axée sur le contrôle était simple et claire, et il s'est avéré que ce n'était pas la solution qu'il fallait aux problèmes locaux. En revanche, la cogestion dont il est question ici est complexe, évolutionniste et avantageuse pour tous, les perdants étant les exploitants éventuels des ressources naturelles venant de l'extérieur. La cogestion concilie la réforme des politiques, les nouvelles institutions créées pour la gestion et le mode de jouissance des ressources locales, la sécurité et l'égalité d'accès aux ressources, et l'innovation technologique en vue d'accroître la productivité. La cogestion porte fruits parce qu'elle place les gens au centre de l'action, parce qu'elle procède du leadership émergent, parce qu'elle est adaptée aux besoins locaux et que les populations locales peuvent se l'approprier, et parce qu'elle ne suit pas un plan directeur unique, mais un programme différent selon le cas et le contexte, témoignant ainsi d'une diversité créatrice, harmonisée aux conditions locales.

Ce fascicule mérite de figurer en bonne place dans la bibliothèque de tout responsable des politiques, praticien, enseignant et formateur qui s'intéresse de près au développement humain et à la gestion des ressources naturelles. Mais il ne suffit pas de le ranger sur une tablette. Ce livre doit être lu, assimilé; et il faut y donner suite. Nous, professionnels du développement, sommes privilégiés d'avoir à notre portée une contribution à l'apprentissage et aux changements aussi bien documentée et qui fasse autorité. Cet ouvrage nous tient au courant des derniers développements et nous place à la frontière de l'action et de l'apprentissage. Souhaitons qu'il s'ensuive maintes actions salutaires, l'amélioration de l'équité et de la durabilité, et des avantages pour un grand nombre de pauvres et de marginaux qui doivent assurer leur subsistance dans les régions fragiles et vulnérables de notre planète.

Robert Chambers
Juin 2006

Robert Chambers, spécialiste du développement international, est connu pour être un artisan de la première heure des méthodes participatives offrant aux pauvres une plus grande liberté d'action. Depuis 1972, il est associé à l'Institute of Development Studies, à l'Université du Sussex, à Brighton, au Royaume-Uni, où il occupe présentement un poste d'attaché de recherche au sein du Participation Group. L'auteur de l'incontournable Rural Development: Putting the Last First, paru en 1983, a publié également Ideas for Development, chez Earthscan, en 2005.

Ce blanc intentionnellement laissé de page

Avant-propos

L'eau, le sol, les nutriments, la lumière du soleil — ce sont des choses de la vie. Et l'extraordinaire diversité des espèces vivantes, unies par des liens que souvent nous comprenons à peine, voilà de quoi dépend l'existence même des populations de la terre. Mais il suffit de jeter un bref coup d'oeil à presque n'importe quel quotidien pour comprendre que, partout dans le monde, une menace pèse sur les ressources naturelles et les populations qui en sont tributaires. Sécheresses, inondations, érosion, déboisement, épuisement des sols, perte de l'habitat, surexploitation — l'altération de l'environnement progresse à un rythme alarmant, en raison d'une foule de facteurs, dont le climat planétaire. Mais les mesures tangibles prises pour faire face à ces enjeux ne sont pas aussi remarquables. Cet ouvrage attire l'attention sur les innovations locales qui permettent de mieux gérer les écosystèmes, indispensables aux femmes et aux hommes des régions rurales les plus pauvres du globe.

Les résultats et les leçons dont nous faisons état dans ce livre découlent de la recherche appliquée, parrainée par le Centre de recherches pour le développement international (CRDI) du Canada dans diverses régions en développement. En accordant ce soutien financier, le CRDI a pour objet d'aider les chercheurs locaux à trouver des solutions aux problèmes sociaux, économiques et environnementaux auxquels ils font face. Depuis sa création en 1970, le CRDI a financé des projets portant sur un grand nombre de thèmes, dans de nombreux domaines, notamment dans ceux de l'agriculture et des ressources naturelles. Mais, vers le milieu des années 1990, il est apparu clairement que, malgré le renforcement des capacités techniques et l'augmentation de la productivité, les pauvres ne jouissaient pas des avantages que procurait la recherche autant qu'on l'avait escompté. Les écosystèmes dont ils dépendaient pour se nourrir et en extraire des produits commerciaux continuaient à se dégrader. Les ressources qu'ils utilisaient depuis des siècles étaient convoitées par des gens de l'extérieur. Les mécanismes traditionnels d'octroi de l'accès aux ressources n'ont pas résisté aux pressions démographiques ni à celles du marché. Les groupes sociaux les plus fortunés se sont emparés des nouvelles technologies de production, évinçant ainsi les pauvres. Le CRDI et ses partenaires ont conclu que, pour être efficace, la recherche visant à réduire la dégradation de l'environnement et à améliorer les moyens de subsistance des moins nantis devait s'appuyer sur une approche différente. Certains des résultats obtenus grâce à cette nouvelle approche sont exposés dans les pages qui suivent.

Les comptes rendus présentés dans cet ouvrage donnent un aperçu d'un ensemble beaucoup plus vaste de recherches amorcées à la fin des années 1990. Ils ont été choisis pour illustrer une grande diversité de contextes politiques, économiques et écologiques. Le capital-ressources diffère dans chaque cas, les problèmes varient et les solutions sont propres à chacun des contextes. Certains cas portent principalement sur la gestion des forêts, d'autres sur l'agriculture, l'eau, les pêches ou les parcours. Mais ils sont faciles à comparer parce qu'ils reposent tous sur un cadre de recherche commun, fondé sur l'action participative et sur « l'apprentissage par la pratique ». Il s'avère que l'élaboration et la mise à l'essai de ce cadre commun ont permis de dégager plusieurs des plus importantes leçons tirées des travaux sur le terrain. Ce sont des leçons résultant non seulement de la recherche, mais surtout de la pratique. Trop sou-vent, les praticiens du développement, qu'ils travaillent dans leur collectivité ou qu'ils soient expatriés, estiment que seuls les professionnels hautement spécialisés peuvent jeter une lumière nouvelle sur les problèmes complexes associés à la gestion des ressources locales. Les études de cas présentent des solutions de rechange pratiques, où l'expertise technique provenant de l'extérieur met en valeur le savoir local, inspire l'action locale et favorise les initiatives menées par les collectivités locales. Elles montrent également que la gestion adaptative des ressources exige que tous les intervenants — et non uniquement les chercheurs — s'engagent à apprendre.

Tous ces cas illustrent comment l'ingéniosité et l'innovation des collectivités locales ont réussi à conjuguer la conservation des ressources avec l'amélioration des moyens de subsistance. Mais en accordant leur appui à ces initiatives locales, les chercheurs n'ont pas tourné le dos à l'État. À vrai dire, le rôle crucial des gouvernements est manifeste dans tous les exemples, qu'il se soit agi de créer des conditions propices aux innovations, de fournir le soutien technique voulu, de faire respecter les règles de gestion locale ou, à tout le moins, de prévenir de nouveaux conflits sur les ressources et une dégradation accrue de l'environnement. Voilà pourquoi le livre porte pour titre la « cogestion », c'est-à-dire le partage des responsabilités de la gestion entre les utilisateurs locaux et les gouvernements. Le plus difficile consiste à déterminer comment renforcer les capacités locales, amener les chercheurs à faire l'essai de nouvelles démarches avec les utilisateurs des ressources et améliorer la subsistance des pauvres. Il faut en outre faire en sorte que les autorités gouvernementales saisissent suffisamment la situation pour tirer les conclusions qui s'imposent en vue de procéder à une réforme stratégique et ce, simultanément ! Les études de cas en donnent des exemples concrets.

Ce livre parle aussi des agriculteurs et des pêcheurs pauvres, des hommes et des femmes si souvent considérés comme étant tout au bas de l'échelle sociale. C'est un livre qui parle autant de leur créativité, de leurs initiatives et de leur engagement que de ceux des chercheurs. Leur histoire ouvre la porte à l'optimisme: si on leur donne l'occasion, le savoir et l'accès aux ressources, les gens jugeront bon d'investir dans l'action collective afin de conserver leur patrimoine et d'assurer leur subsistance.

La rédaction de ce livre n'a été possible que grâce aux efforts de dizaines de chercheurs des six équipes de projet travaillant sur le terrain. Je ne saurais rendre justice à leur travail ardu, à leur profonde compréhension dans un aussi mince ouvrage. Wendy Manchur et Richard Bruneau m'ont été d'une aide précieuse pour choisir les études de cas et organiser la documentation. Gerry Toomey et Bob Stanley m'ont prodigué leurs compétents services de rédacteurs-réviseurs, alors que Bill Carman de la Division des communications du CRDI m'a assisté de ses conseils professionnels et a coordonné la production de cette publication. Je remercie chacun d'eux de leur contribution au parachèvement et à la consolidation de ce livre, mais j'assume la responsabilité de toute erreur ou omission.

Stephen R. Tyler
Juin 2006

Stephen Tyler est président d'Adaptive Resource Management Ltd, cabinet d'experts-conseils et de recherches établi à Victoria (Canada). Il est en outre directeur de la publication de Communities, Livelihoods, and Natural Resources: Action Research and Policy Change in Asia, ouvrage publié par ITDG Publishing et le CRDI en 2006. M. Tyler était auparavant chef d'équipe du programme Gestion communautaire des ressources naturelles du CRDI en Asie. Dans ces fonctions, il a administré pendant plus de sept ans un portefeuille de plus de 75 projets dans 12 pays. Il détient un doctorat en aménagement urbain et régional décerné par l'Université de Californie à Berkeley et a à son actif une expérience d'une trentaine d'années consacrées à l'étude des questions de gestion des ressources et de l'environnement au Canada et dans d'autres pays.

Chapitre premier
L'enjeu et le contexte de la recherche

Des ressources fragiles, des gens oubliés

Montagnes escarpées, confins du désert, villages côtiers éloignés — voilà les points chauds du monde en développement caractérisés par la pauvreté rurale. Ce sont aussi des lieux où les ressources naturelles1, bien qu'elles soient essentielles à la subsistance des êtres humains, sont habituellement rares et fragiles.

Nombreux sont ceux qui, pour survivre, se voient forcés d'exploiter des terres abruptes, rocailleuses, arides ou salines. Souvent, ils vivent près de cours d'eau où la pêche est de plus en plus maigre.

 

1 Dans cet ouvrage, le terme « ressources naturelles » se rapporte aux ressources renouvelables qui composent les écosystèmes vivants. Il peut également comprendre les ressources minérales non renouvelables, mais elles n'entrent pas dans notre propos.

Ces agriculteurs et ces pêcheurs sont loin des marchés achalandés, loin des capitales, loin de la pensée et de la réalité des gens de pouvoir. Ils sont tributaires d'écosystèmes dépourvus de nutriments et dépouillés de leur diversité biologique. Et le droit de regard qu'ils conservent sur les précieuses ressources qui restent est contesté, parfois violemment.

Nombre de pays en développement ont officiellement adopté une stratégie nationale de réduction de la pauvreté. Les bailleurs de fonds internationaux aussi se sont fixé des cibles, en phase avec les objectifs du Millénaire pour le développement établis par les Nations Unies en vue de réduire la pauvreté et d'améliorer les conditions de vie d'ici à 2015. Toutefois, les stratégies de lutte contre la pauvreté sont généralement axées sur de vastes réformes ou sur la prestation de services qui n'atteignent pas les collectivités les plus pauvres et les plus marginales qui dépendent si fortement des ressources naturelles.

Ainsi, les programmes de lutte contre la pauvreté recommandent souvent la réforme des marchés agricoles et des mécanismes d'octroi des titres de propriété. Faut-il y voir de louables efforts de la part des instances politiques ? Certes, mais les mesures incitatives ne sont pas conçues pour profiter à ceux qui vivent loin des marchés d'intrants et de produits agricoles, qui n'ont rien à offrir en garantie ou n'ont pas les compétences voulues pour pratiquer des cultures rentables. (Nous songeons, par exemple, au crédit à faible taux d'intérêt destiné à l'achat de semences et d'engrais en vue de la production de cultures commerciales.) Pis encore, la réforme des mécanismes d'octroi des titres de propriété peut donner lieu à l'enclosure et à la privatisation des ressources restantes dont ces gens sont tributaires — ces ressources dites communes que sont l'eau, les pêches et les forêts. Bien que les variétés végé-tales à haut rendement aient considérablement augmenté la production céréalière et aient enfin permis aux agriculteurs des basses terres d'avoir accès à l'irrigation, leur culture s'avère sou-vent infructueuse dans les régions marginales où les conditions du sol, de l'eau et du climat sont plus variables. Ou bien elles exigent d'écosystèmes déjà dégradés un apport encore plus important en eau et en nutriments.

Ce sont les populations les plus pauvres de la planète qui vivent dans ces zones rurales marginales. Selon les estimations internationales, de 600 à 900 millions de paysans pauvres habitent encore ces régions, soit de 9 % à 14 % de la population mondiale. Sans moyens de subsistance, ils se voient forcés de migrer vers les villes, de devenir réfugiés ou pire. Les objectifs de réduction de la pauvreté n'auront de sens que dans la mesure où l'on accordera à la situation de ces gens l'attention particulière qu'elle mérite.

Selon les estimations internationales, de 600 à 900 millions de paysans pauvres habitent encore ces régions marginales, soit de 9 % à 14 % de la population mondiale. Sans moyens de subsistance, ils se voient forcés de migrer vers les villes, de devenir réfugiés ou pire.

Comment améliorer la subsistance des populations défavorisées sans porter davantage préjudice au capital-ressources sousjacent ? Comment faire pour que les objectifs mondiaux de réduction de la pauvreté et de pérennité de l'environnement se complètent au lieu de s'opposer ?

Le présent ouvrage décrit la recherche, financée par le Centre de recherches pour le développement international (CRDI) du Canada, qui a mené à des démarches novatrices en matière de gestion des ressources naturelles (GRN) assurant l'équilibre entre ces deux objectifs. En s'appuyant sur six études de cas menées en Asie, au Moyen-Orient et en Amérique latine, il tire des leçons qui profiteront aux praticiens du développement, aux responsables des politiques et aux chercheurs.

La recherche a grandement mis à profit les connaissances et l'expérience des populations locales. Ce sont elles, beaucoup plus que les chercheurs, qui ont été les principaux agents d'apprentissage et de changement. Ainsi, les problèmes de gestion de ressources naturelles ont trouvé leur solution dans la « cogestion », un dénominateur commun à ces projets. On entend par cogestion des arrangements, conclus dans des accords intervenus avec les autorités gouvernementales, en vertu desquels les populations locales et leurs organisations acquièrent la responsabilité de prendre des décisions relatives à l'accès aux ressources naturelles et à leur utilisation, en échange d'avantages assurés.

La cogestion porte sur toute une gamme d'arrangements — des accords juridiques officiels négociés par les instances politiques aux transactions pragmatiques non officielles. L'utilisation locale durable des ressources naturelles est la raison d'être de la cogestion. Mais comme la recherche parrainée par le CRDI le révèle, les principales difficultés ne tiennent pas tant aux interventions techniques qu'à la gestion des relations entre les gens (voir la figure 1). Ce n'est pas sans conséquences pour les chercheurs, qui doivent en tenir compte dans leurs rapports avec les utilisateurs de ressources pauvres et dans leur attitude à l'égard de ceux-ci, ainsi que pour les praticiens du développement et les autorités gouvernementales.

L'utilisation locale durable des ressources naturelles est la raison d'être de la cogestion. Mais les principales difficultés ne tiennent pas tant aux interventions techniques qu'à la gestion des relations entre les gens.

Le message que livrent les études de cas est simple: la manière la plus efficace d'instaurer la cogestion des ressources naturelles consiste à inciter les utilisateurs des ressources et d'autres intervenants locaux à prendre part à l'apprentissage et à l'innovation, et à consolider ainsi leurs moyens de subsistance. Les connaissances, l'expérience et les traditions locales de la GRN sont de précieux atouts si elles sont mobilisées aux fins de la recherche et de l'action. Comprendre ces atouts et les mettre à profit donne lieu à des innovations plus fructueuses que lorsque les utilisateurs locaux sont traités comme des spectateurs non informés à qui des

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Figure 1. Éléments constitutifs de la GCRN

« experts » proposent des solutions techniques et à qui les gouvernements présentent des plans de réglementation tout faits d'avance. Ce processus de recherche-action participative peut être un puissant outil d'innovation en matière de cogestion.

Petite histoire, grande complexité

En 1987, le rapport Brundtland, Notre avenir à tous (CMED, 1987), a attiré l'attention mondiale sur les problèmes que comportaient pour les pauvres la poursuite du progrès économique et la protection de l'environnement. Puis, en 1992, ces questions ont fait l'objet de débats entre les dirigeants mondiaux lors de la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement à Rio de Janeiro, mieux connue sous le nom de Sommet de la Terre. Le rapport de la conférence, Action 21, qui présentait des centaines de recommandations aux fins d'étude et d'action pour faire face à ces défis, a mobilisé l'attention internationale et les engagements financiers. Pourtant, aucune mesure précise n'a encore été prise pour donner suite à ces recommandations à l'échelle locale. Pourquoi ?

Bien que la pauvreté et la dégradation de l'environnement soient liées, la relation de cause à effet qui existe entre les deux phénomènes est tout sauf simple. Notre compréhension de la nature est loin d'être parfaite, et l'étonnement est une de nos rares certitudes lorsqu'il s'agit de gérer les milieux naturels, qui sont complexes et dynamiques.

À cela s'ajoute la difficulté de prévoir le comportement des êtres humains qui utilisent les ressources. Les interactions des systèmes socioéconomiques avec l'environnement naturel s'accompagnent toujours d'imprévus — signe de la variabilité des incitations offertes par les marchés et d'autres institutions, et de la dynamique des écosystèmes mêmes. Par exemple, les efforts visant à favoriser l'aquaculture de la crevette dans tous les pays d'Asie ont permis d'accroître les recettes d'exportation, mais ils ont aussi causé de graves dommages écologiques dans les zones littorales. Nombre des premiers sites de production ont été abandonnés à cause de l'apparition de maladies chez la crevette ou de la contamination du sol. Les avantages découlant des marchés ont profité surtout aux investisseurs de l'extérieur, alors que, pour la population locale, le capital-ressources était devenu inutilisable en raison des maladies des crevettes et de la dégradation du milieu ambiant (Flaherty et coll., 1999).

Les interactions de systèmes complexes qui dégradent des ressources fondamentales peuvent avoir des retentissements même très lointains. Ainsi, l'abattage de forêts ou le défrichement de nouvelles terres pour l'agriculture dans les eaux d'amont d'un bassin hydrographique peut influer sur le débit et la qualité de l'eau en aval. La perte d'habitat essentiel au cycle de vie des espèces commerciales de poissons peut entraîner l'épuisement des réserves régionales. L'assainissement des marécages peut nuire à la qualité de l'eau de surface ou de l'eau souterraine dont dépen-dent des milliers d'utilisateurs, et détruire les habitats fauniques. Le surpâturage peut accélérer la désertification, mettant en péril les voies de transport et d'autres infrastructures. Si la dégradation des ressources se généralise, elle peut contribuer à la transformation des régions, voire de la planète. En revanche, la protection et la reconstruction d'écosystèmes sains, par la gestion locale, profite non seulement aux utilisateurs de ressources à proximité, mais aussi aux gens d'autres régions et d'autres pays. En bref, la gestion locale est source de biens publics.

La protection et la reconstruction d'écosystèmes sains, par la gestion locale, profite non seulement aux utilisateurs de ressources à proximité, mais aussi aux gens d'autres régions et d'autres pays. En bref, la gestion locale est source de biens publics.

Les pauvres sont particulièrement vulnérables à la dégradation et à la surexploitation des ressources. Qu'ils soient déplacés par la rivalité pour l'obtention de ressources vitales ou qu'ils subissent les conséquences de l'affaissement de la nappe phréatique résultant de l'action d'autres utilisateurs d'eau, les pauvres ont, en règle générale, très peu d'options et de ressources d'appoint leur permettant de faire face à des impératifs inattendus. Plusieurs études menées en Asie du Sud montrent comment l'intensification de l'agriculture a éliminé les diverses possibilités qui s'offraient auparavant aux pauvres — cueillette des graminées envahissantes en bordure des champs, glanage des noix et des fruits délaissés, utilisation des pâturages communautaires. Ces options ont disparu avec l'expansion des terres privées cultivées et l'essor de l'agriculture commerciale (Beck et Nesmith, 2001).

Outre la disparition de l'accès à ces ressources, les pauvres ont peu d'occasions d'exprimer leur indignation ou de décrire les contrecoups qu'ils subissent. Généralement, les femmes n'ont guère d'influence sur la prise de décisions au sein du gouvernement local ou du ménage; pourtant, ce sont elles qui doivent en premier lieu surmonter les difficultés que posent la dégradation des ressources, l'inconstance des systèmes de production et les problèmes d'accès aux marchés (Vernooy, 2006). À titre de membres de minorités ethniques, de groupes autochtones et de basses castes, les pauvres sont souvent victimes de discrimination tant dans leurs rapports avec les autorités que de manière non officielle. Leur accès aux décrets et aux services gouvernementaux est ainsi limité, en particulier lorsqu'ils sont offerts uniquement dans la langue de la culture dominante. Les paysans pauvres sont marginalisés non seulement au point de vue géographique, mais aussi sur le plan politique et social. Comment peuvent-ils donc en arriver à jouer un plus grand rôle dans la gestion des ressources ?

À ressources différentes, droits différents

Les options en matière de cogestion dans les régions peu productives et défavorisées dépendent de plusieurs facteurs. Elles sont aussi fonction du rapport réciproque de ces éléments, à savoir la nature des ressources qu'il faut gérer, les droits des populations sur ces ressources, les institutions qui régissent ces droits et prennent des décisions, et la manière dont ces ressources sont exploitées.

Certaines ressources, comme les terres cultivées, peuvent être explicitement définies et facilement délimitées. Habituellement, les droits d'accès, d'utilisation et de gestion sont privés et détenus par un seul ménage. Celui-ci peut être propriétaire de la terre, l'occuper en vertu d'un bail à long terme ou d'une entente officielle, ou en être locataire. Ces droits privés sont clairement définis et étroitement liés aux pratiques de la gestion des terres. Ainsi, il est peu probable que des agriculteurs investissent dans des améliorations coûteuses comme la construction de terrasses, à moins qu'ils n'en aient acquis les titres de propriété, s'assurant ainsi d'en tirer profit à long terme. Des institutions (traditionnelles ou sanctionnées par l'État) offrent le cadre juridique ou coutumier qui reconnaît ces droits privés. De plus, elles établissent les règlements relatifs à l'utilisation ou à l'échange des ressources. L'octroi des titres de propriété en est un exemple.

Si le système de droits, les institutions et les pratiques de gestion sont explicites en ce qui a trait aux terres agricoles, ils sont beau-coup moins précis relativement à d'autres ressources. En raison de leurs caractéristiques écologiques, un grand nombre de ces précieuses ressources sont très difficiles ou coûteuses à gérer par une seule personne. Elles peuvent être extrêmement mobiles (les pêches, par exemple), il peut s'agir de ressources gérables uniquement sur une grande échelle (les bassins hydrographiques) ou elles peuvent comporter une variété d'éléments utilisés par différentes personnes (c'est le cas des forêts). Il peut parfois être irréaliste de tenter d'empêcher un particulier d'utiliser une ressource donnée, même si cette utilisation réduit les profits que d'autres peuvent en tirer (pâturages partagés). Les ressources qui ont ces caractéristiques sont qualifiées de ressources communes (Ostrom, 1990; Pinkerton et Weinstein, 1995).

On entend par droits de jouissance ou d'utilisation des ressources (aussi désignés par « mode de propriété » et « mode de fairevaloir »), la revendication de ressources faite par une personne ou un groupe et dont d'autres individus ou groupes reconnaissent la légitimité et le caractère exécutoire. Ils peuvent prendre diverses formes et porter sur une grande variété de droits, selon la nature des ressources, les relations sociales qui existent entre les parties prenantes et le coût de l'exécution des réclamations, dont la complexité varie. Ils peuvent être considérés comme un ensemble de droits, comprenant n'importe lequel ou plusieurs des suivants: accès aux ressources, utilisation sur les lieux, cueillette et extraction, ainsi que le droit d'exclure d'autres utilisateurs, d'établir des règlements relatifs à l'utilisation des ressources, d'améliorer les ressources (culture, fertilisation) et de transférer à d'autres un de ces droits ou chacun d'eux. Le mode le plus exhaustif est la propriété absolue, qui englobe tous les droits énumérés. Mais il existe beaucoup d'autres formes de faire-valoir qui, avec le temps ou sur un territoire donné, peuvent se chevaucher ou entrer en conflit. Ainsi, un seul arbre d'une forêt peut fournir des fruits, du bois de chauffage, du fourrage et de l'ombrage; constituer un stabilisateur du sol et un habitat faunique et représenter un lien avec l'identité ancestrale. Différentes personnes ou différents groupes peuvent détenir à divers moments les droits sur ces différentes ressources (Vandergeest, 1997).

Les problèmes d'accès aux ressources et de gestion de celles-ci par les pauvres sont souvent centrés sur les ressources communes et sur le système de droits d'utilisation ou de jouissance qui y est associé. Dans certaines conditions, les systèmes de droits collectifs seront définis par des groupes qui peuvent réglementer l'accès aux ressources communes afin d'accroître leurs profits et de réduire la dégradation des ressources (Schlager et Ostrom, 1992). Par exemple, les forêts tropicales peuvent faire l'objet d'une exploitation intensive par différents utilisateurs à différentes époques. Même si aucun arbre n'est abattu, animaux sauvages, fruits, plantes médicinales et matériaux de construction sont les principaux produits récoltés. Les parcours naturels nécessitent une gestion collective afin de permettre aux divers utilisateurs de mener paître leurs troupeaux à tour de rôle selon un horaire dont tous conviennent. Même si les ressources sont utilisées par des individus, leurs caractéristiques écologiques exigent qu'elles soient gérées collectivement pour en assurer la productivité. Le cadre élaboré par un groupe particulier afin d'assurer la gestion durable des ressources communes est souvent désigné par la gestion des ressources en copropriété.

Il n'est pas rare que les ressources communes soient mal gérées ou qu'elles ne le soient pas du tout, si bien qu'elles s'épuisent peu à peu sous l'effet de l'exploitation continue par de nombreux utilisateurs. C'est ce qu'on appelle le libre accès. L'utilisateur individuel n'est pas porté à conserver ou à gérer les ressources puisque d'autres utilisateurs retireraient les profits de son action sans en payer le prix. Ainsi, au XIXe siècle, la chasse au bison des plaines en Amérique du Nord a amené l'espèce pratiquement au bord de l'extinction. Ailleurs dans le monde, de nombreuses zones de pêche locales et régionales sont en péril pour les mêmes raisons.

Les choses se compliquent encore parce que différents groupes, se prévalant des mêmes droits privés ou communs, peuvent revendiquer l'accès aux mêmes ressources au même moment. Et, comme les droits d'utilisation des ressources et les systèmes de gestion changent, les ressources peuvent passer d'une catégorie à une autre. Les forêts du Népal en offrent un bon exemple. À la fin des années 1950, le gouvernement a nationalisé les forêts qui avaient toujours été gérées localement par des propriétaires fonciers. Les droits locaux coutumiers, associés aux obligations d'inféodation et qui donnaient accès aux forêts, sont ainsi disparus. Mais le gouvernement ne possédait pas le personnel ou les connaissances voulues pour faire respecter les nouveaux droits de gestion, et les collectivités n'étaient plus liées par un engagement à long terme envers un propriétaire foncier. En effet, ce changement a donné libre accès à l'exploitation forestière et entraîné une déforestation démesurée. Dans les années 1980, après l'instauration officielle du mode de faire-valoir des forêts communautaires, les groupes d'utilisateurs des forêts locales ont obtenu le droit d'exclure d'autres utilisateurs et de retirer les profits de la gestion à long terme des ressources forestières. L'état des forêts s'est considérablement amélioré dans les collectivités en mesure d'établir des institutions efficaces de gestion des ressources communes (Varughese, 2000).

Dans les régions où l'homme est établi depuis longtemps, les collectivités tributaires de précieuses ressources communes comprennent parfaitement que la sécurité du capital-ressources passe par la réglementation. De l'Arctique aux tropiques, nombre de cultures ont mis en place des systèmes locaux complexes afin d'avoir accès aux ressources, de partager des profits et de limiter l'extraction des ressources. Ces systèmes n'étaient pas fondés sur des études scientifiques modernes, mais ils tenaient certainement compte de l'expérience et du vaste savoir des collectivités (Berkes, 1989; Ostrom, 1990). Par exemple, dans la vallée d'Arsaal au Liban, les relations sociales traditionnelles déterminaient l'accès des bergers aux pâturages saisonniers. Des décisions collectives ont donné lieu à une gestion plus souple en fonction de l'état des parcours (voir l'étude de cas en page 70).

La possibilité d'innover en matière de gestion des ressources dépend donc en partie des droits des utilisateurs et en partie des caractéristiques de l'écosystème en question. La gestion des ressources est mise en application par le truchement des institutions sociales. Le terme « institution » est pris, ici, dans le sens des règlements et des processus sociaux traditionnels qui régissent la prise de décisions, et non d'organisme ou de structure classique. Les institutions de gestion des ressources reflètent les pratiques politiques et sociales courantes — c'est-à-dire comment les gens s'influencent mutuellement, qui détient le pouvoir et comment en faire une utilisation légitime. Elles peuvent se fonder sur les procédures légales ou judiciaires, sur des croyances religieuses ou sur des pratiques traditionnelles. Les institutions sont des mécanismes par lesquels les sociétés définissent qui peut utiliser les ressources et qui en est exclu, et comment les droits d'accès et les profits sont partagés parmi les détenteurs de ces droits. Elles peuvent également fournir des moyens de résoudre des conflits, de contrôler la qualité des ressources et de cerner les problèmes, de prendre des mesures afin d'améliorer la productivité des ressources et d'assurer le respect des règlements. Ces décisions sont au coeur même de la gestion des ressources. Dans le cas des ressources communes, indispensables aux pauvres, à qui appartient-il de prendre ces décisions ?

Aujourd'hui, la gestion des ressources communes est le plus souvent l'affaire des gouvernements. Dans bien des pays, les cadres juridiques, issus des revendications séculaires des monarques européens, décrètent que toutes ressources non assor-ties de droits de propriété privés appartiennent à l'État. L'avancée du savoir scientifique a mis davantage en lumière la nécessité de la formation technique spécialisée dans la prise de décisions en matière de gestion des ressources. On soutient généralement que la surveillance et l'exercice d'une telle expertise doivent incomber à de vastes organisations technocratiques plutôt qu'à des utilisateurs de ressources locales non formés. La gestion des ressources est considérée comme un service devant être rendu par l'État — parce qu'il fournit des biens publics et parce que les ressources d'un pays, sa richesse en quelque sorte, font partie du patrimoine national, et n'appartiennent pas en propre à des individus.

Néanmoins, au cours des deux dernières décennies, les politiques d'ajustement structurel et de restriction budgétaire ont donné lieu à d'importantes réductions des services gouvernementaux. Les compressions budgétaires ainsi que la prépondérance accordée aux investissements privés et à l'exploitation des ressources ont affaibli la GRN centralisée. Parallèlement, toutefois, les changements culturels et les institutions juridiques de l'État-nation moderne ont érodé les systèmes locaux traditionnels de gestion des ressources communes.

Comme les gestionnaires des organismes centraux manquent souvent de données essentielles, ils ne comprennent peut-être pas les pratiques locales ou les liens qui existent entre la dégradation des ressources, les droits d'utilisation et les relations de pouvoir.

Même là où les organismes centraux de gestion des ressources ont été renforcés, les résultats locaux ont été souvent décevants. En règle générale, les gestionnaires des organismes centraux manquent de données essentielles et ne comprennent peut-être pas les pratiques locales ou les liens qui existent entre la dégradation des ressources, les droits d'utilisation et les relations de pouvoir. Combien de fois des mesures de gestion fondées sur des hypothèses très répandues au sujet du capital-ressources se sont avérées inappropriées ! De nouvelles conditions enlèvent toute pertinence à des règlements pourtant bien ciblés. Ainsi, dans le bassin hydrologique d'El Angel en Équateur, la répartition des ressources en eau reposait sur des suppositions erronées à propos des réserves et des débits d'eau (voir l'étude de cas en page 52).

Dans bien des cas, le système public de gestion moderne a supplanté l'administration des terres qui datait de l'époque coloniale. Du coup, les pratiques traditionnelles de gestion des ressources, dont certaines perduraient dans des régions éloignées, ont été délaissées elles aussi. Il est rare que les frontières administratives coïncident avec les territoires traditionnels ou des zones écologiques, telles que les bassins versants.

Il est sans doute difficile aux utilisateurs des ressources locales de comprendre ou d'accepter les politiques juridiques et les principes économiques sur lesquels l'État se fonde pour autoriser l'extraction commerciale intensive des ressources. Les droits d'accès à de précieuses ressources peuvent donc être injustement accordés en vue de servir de puissants intérêts politiques. Et il s'ensuit que les droits d'utilisation et de gestion des ressources sont contestés auprès de l'État, le gestionnaire juridique se trouvant parfois en opposition aux intérêts de la population locale. Les pauvres, provenant souvent de minorités ethniques et de groupes autoch-tones, sont habituellement les perdants de ces affrontements. Dans les hautes terres du nord-est du Cambodge, par exemple, l'octroi de concessions forestières nationales à des intérêts commerciaux extérieurs a directement mené à des conflits avec les collectivités autochtones locales, tributaires des forêts (voir l'étude de cas en page 38).

Il est monnaie courante que les relations entre les utilisateurs des ressources locales et les organismes publics chargés de leur gestion soient tendues et leurs communications, limitées. Souvent aussi, les hypothèses relatives au comportement et à la motivation de l'autre partie en cause sont erronées. Mais, en l'absence de mécanismes de coopération, les deux parties continuent de se reprocher mutuellement la dégradation des ressources. La cogestion ne peut réussir sans un minimum de communication, de collaboration et de confiance entre les utilisateurs locaux et les gouvernements.

Le dialogue, source de liberté d'action pour les utilisateurs locaux

Prenons un exemple. Aux Philippines, selon les estimations, des décennies d'exploitation commerciale ont réduit le couvert forestier de 70 % du territoire qu'il était en 1900 à 18 % cent ans plus tard. Dans les années 1990, une interdiction de l'exploitation forestière a été imposée, et une loi sur la foresterie communautaire a été approuvée afin d'inciter la population à chercher d'autres activités lucratives et de favoriser l'utilisation rationnelle des forêts locales.

Malgré la mise en oeuvre de divers projets à l'appui de la foresterie communautaire, peu de collectivités ont été officiellement autorisées à couper du bois en vertu de la nouvelle loi. Les chercheurs de l'International Institute of Rural Reconstruction (IIRR) ont entrepris une recherche-action afin de renforcer les capacités de gestion communautaire des forêts dans cette région. Mais ils ont dû revoir leurs hypothèses après avoir obtenu de la collectivité sa participation au projet.

Celle-ci était convaincue que le problème ne tenait pas à un manque de connaissances ou de compétences en gestion forestière. Pas plus d'ailleurs qu'à une diminution des ressources. De fait, les villageois en imputaient la faute aux fonctionnaires nationaux et locaux qui n'avaient pas su mettre efficacement en oeuvre les politiques forestières.

Au lieu de transférer les compétences en matière de gestion forestière à la collectivité locale en vertu des dispositions de la loi, les autorités gouvernementales ont imposé de rigoureuses exigences et réclamé des évaluations de la gestion et des inventaires détaillés et coûteux. Les collectivités, qui n'avaient pas les moyens de se plier à ces expédients bureaucratiques, ont recouru pour survivre à l'exploitation forestière illégale. Mais elles ont fini par devoir graisser la patte au personnel du service de protection des forêts et à la police de la localité afin de transporter les grumes jusqu'aux scieries. Et, après la livraison du bois, elles n'ont pu en obtenir la juste valeur marchande parce qu'elles ne possédaient pas de documentation officielle.

D'une part, les bûcherons qui abattaient les arbres des terrains forestiers de leur propre collectivité ont dû payer une surcharge financière considérable. L'État a également perdu des droits de coupe et des redevances forestières qu'il aurait perçus si l'exploitation avait été légale. D'autre part, les propriétaires des scieries, certains policiers et certains agents du service de protection des forêts ont personnellement profité de la situation.

Du côté du gouvernement, les forestiers prétendaient qu'on ne pouvait se fier aux collectivités pour gérer efficacement les terrains forestiers. Du côté des collectivités, les ouvriers forestiers se plaignaient que les fonctionnaires se remplissaient les poches et, par conséquent, refusaient de respecter l'intention première de la politique forestière communautaire. Aucune des deux parties n'avait mis en place de moyen de communication directe avec l'autre. Les collectivités ne pouvaient pas se faire entendre des autorités gouvernementales et les collectivités ne faisaient aucunement confiance aux cadres du Service des forêts.

L'IIRR a abandonné sa stratégie de recherche initiale et a décidé de tenter quelque chose de tout à fait différent; il a réuni des cadres du Service des forêts, des représentants des collectivités et d'ONG, et des universitaires dans un environnement bien structuré — un colloque — pour discuter des enjeux. Grâce à une préparation minutieuse, une animation méthodique et une gestion rigoureuse, toutes les parties ont eu des chances égales de faire part de leurs expériences et de leurs frustrations, sans prêter le flanc aux attaques personnelles.

La cogestion ne peut réussir sans un minimum de communication, de collaboration et de confiance entre les utilisateurs locaux et les gouvernements.

Nombre de participants ont été étonnés de ce qu'ils ont entendu. Ils ont commencé à revoir leur position et à la fin du colloque de quatre jours, des groupes multi-intervenants avaient formulé des recommandations positives de changement. Certaines d'entre elles ont été adoptées rapidement dans le cadre de réformes administratives internes ou ont été intégrées aux politiques forestières nationales. Depuis lors, ces moyens novateurs de faciliter des communications constructives entre les autorités gouvernementales et les collectivités tributaires des ressources ont été perfectionnés et l'IIRR en a expliqué le fonctionnement à d'autres organismes (O'Hara, 2006).

L'équité sociale et l'environnement

Les politiques destinées à accroître l'utilisation commerciale des ressources naturelles mettent souvent l'accent sur la propriété privée des ressources. De telles politiques peuvent avoir pour effet d'augmenter globalement les investissements dans l'exploitation des ressources et les gains qui en découlent, sans aider les pauvres pourtant. Les étangs à crevettes et les enceintes destinées à l'aquaculture, par exemple, forcent à se déplacer les paysans pauvres et les pêcheurs artisanaux qui n'ont pas les moyens de se procurer de tels systèmes (voir l'étude de cas sur le Viet Nam en page 44). Les concessions attribuées pour la plantation forestière et l'exploitation forestière commerciale l'ont emporté sur la culture itinérante traditionnelle, appauvrissant davantage les résidants des hautes terres qui, pour la plupart, ne possèdent pas de terres agricoles. L'augmentation globale de la production et du revenu total occulte les effets pervers de pareils changements de la gestion des ressources. Tandis que certains groupes en profitent, la situation d'un grand nombre de paysans pauvres empire. Habituellement, les investissements commerciaux dans les ressources naturelles qui ignorent les processus écologiques et l'équité sociale ne sont pas viables.

Pour reformuler l'objet du débat, donc, un système de gestion des ressources fondé sur la propriété privée est relativement simple. Les individus ou les sociétés dotés de droits d'utilisation de ressources comme les terres et les arbres, même s'ils n'en sont pas propriétaires, peuvent exploiter ces ressources en vertu de dispositions dont toutes les parties sont convenues. Grâce à cette forme de droits d'utilisation des ressources, il est plus facile pour les utilisateurs de réagir aux marchés commerciaux — ce qui explique sans doute pourquoi elle occupe une place aussi importante dans les politiques sur la réforme agraire. Mais elle est souvent inappropriée à des écosystèmes comme les forêts, les parcours et les zones de pêche. Ces écosystèmes sont très difficiles à gérer par une seule personne. En outre, les populations pauvres, dont l'accès aux terres et à d'autres ressources est limité, les utilisent souvent comme source principale ou supplémentaire de nourriture et de revenu. On ne saurait trop insister sur la nécessité d'institutions qui font place aux décisions collectives en matière de gestion afin d'échapper aux écueils de l'accès libre et de la dégradation des ressources, ou d'éviter d'aggraver les conflits.

Ce sont les gouvernements, surtout, qui ont été considérés comme les principaux artisans de l'action collective ou, à l'autre extrême, des pratiques traditionnelles locales. Mais le bilan des organismes gouvernementaux au chapitre de la gestion des ressources communes n'est guère reluisant. Leur méconnaissance des réalités écologiques et leur empressement à favoriser la réalisation de profits commerciaux ont parfois donné lieu au déplacement des pauvres et à la surexploitation. En revanche, les institutions traditionnelles locales, qui ont sans doute une longue expérience de la gestion des ressources, doivent s'adapter aux pressions accrues exercées par la population humaine et à l'exploitation plus intensive des ressources. De nouvelles ententes en vertu desquelles les gouvernements peuvent appuyer les institutions locales et leur faciliter les choses offrent une solution intéressante. À moins de constituer de nouveaux droits de cogestion et de nouvelles institutions, il est fort possible que les pauvres se trouvent exclus par les pressions commerciales et démographiques.

Trouver la bonne démarche de recherche

La pauvreté rurale et la dégradation des ressources dans les régions marginales ne datent pas d'hier. Même si, au fil des ans, les tentatives visant à redresser la situation grâce à la recherche appliquée ont grandement attiré l'attention, il est rare que les résultats aient atteint un grand nombre de paysans pauvres.

Les scientifiques ont consacré beaucoup d'efforts à l'amélioration de variétés d'un petit nombre de cultures vivrières. Les augmentations de rendement qui en ont résulté ont été remarquables et grandement profitables aux paysans des zones agricoles fertiles. Mais les petits agriculteurs des hautes terres et des zones semi-arides n'ont pas connu la productivité observée dans ces régions privilégiées. Cela s'explique en partie parce que les conditions de la production chez les petits agriculteurs sont bien plus variées et en partie parce que les terres dont ces derniers disposent sont si restreintes qu'ils doivent compter entre autres sur les ressources communes, en particulier sur le bétail. Même si les agriculteurs jouissaient de conditions de croissance prévisibles et avaient accès aux engrais, à l'eau et aux sols dont ils ont besoin pour cultiver des variétés à haut rendement, les gains de production qu'ils pourraient réaliser en une seule récolte ne pèseraient pas lourd dans leur revenu global. La recherche ne s'est penchée que récemment sur les problèmes de gestion des ressources communes et sur leurs liens avec les systèmes agricoles (Sayer et Campbell, 2004).

Les chercheurs se sont intéressés plutôt aux politiques favorisant la conservation et l'utilisation plus durable des ressources. Ils ont proposé des réformes stratégiques dans les domaines de l'agriculture, de la foresterie, des pêches et de la gestion de l'environnement. Toutefois, même lorsque la recherche et les plaidoyers donnent lieu à d'importantes modifications de politiques, cellesci ne réussissent pas toujours à entraîner des changements durables sur le terrain. L'exemple des Philippines cité plus haut décrit les problèmes auxquels les collectivités forestières défavorisées font face après l'approbation par le gouvernement national des politiques forestières communautaires. Il est souvent difficile de mettre en oeuvre ou de faire respecter les réformes stratégiques. Elles sont sans doute nécessaires, mais elles ne suffisent pas à elles seules à améliorer les conditions de vie des plus démunis.

Les démarches de recherche ont évolué afin de réagir au peu de progrès réalisé pour atteindre les pauvres. Les scientifiques agricoles reconnaissent de plus en plus que les cultures, les sols, les forêts, l'eau et les gens partagent des liens écologiques et que les solutions fondées sur la recherche doivent tenir compte de cette intégration. Par exemple, les systèmes d'exploitation agricole prennent en considération le fait que les petits agriculteurs adoptent diverses stratégies. Aussi, les chercheurs de pointe ontils, au début des années 1990, régulièrement inclus dans leurs travaux de nouvelles études des techniques de production agroécologique intégrée portant sur le bétail, les cultures, les arbres et même l'aquaculture.

Plus récemment, les chercheurs spécialisés en agriculture et en gestion des ressources naturelles ont conçu et mis en application des outils de modélisation qui prennent en compte les conditions biophysiques et économiques dans les études sur la gestion des ressources. Mais, au même titre que la recherche sur les systèmes d'exploitation agricole, même ces stratégies de recherche intégrées négligent nombre d'enjeux sociaux et institutionnels entourant l'utilisation des ressources communes.

Qui a accès aux ressources communes ? Comment les décisions sur l'utilisation de ces ressources sont-elles prises ? Qu'est-ce qui en justifie l'accès ? Les pratiques traditionnelles ? Les systèmes juridiques modernes ? Comment la gestion et les droits d'utilisation des ressources sont-ils adaptés à l'évolution des tendances démographiques, économiques, sociales et écologiques ? Quel rapport y a-t-il entre les politiques nationales et les pratiques locales qui dégradent les ressources ? La recherche qui omet les contraintes dynamiques liées au contexte politique, institutionnel et social avec lesquelles les populations rurales tributaires des ressources naturelles doivent composer, pourra peut-être proposer de nouvelles techniques de production qui donneront un bon rendement sur les parcelles d'essai. Mais elle ne réussira pas à améliorer la vie des paysans et des pêcheurs pauvres.

La recherche qui omet les contraintes dynamiques liées au contexte politique, institutionnel et social avec lesquelles les populations rurales tributaires des ressources naturelles doivent composer, pourra peut-être proposer de nouvelles techniques de production qui donneront un bon rendement sur les parcelles d'essai. Mais elle ne réussira pas à améliorer la vie des paysans et des pêcheurs pauvres.

Les femmes et les hommes pauvres eux-mêmes sont sans doute l'élément le plus important qui manque à la recherche empirique traditionnelle. La plupart des recherches passent sous silence ou minimise l'importance de leurs capacités, de leurs connaissances ou de leur jugement. Les chercheurs en arrivent peut-être à croire au bout de plusieurs années d'études spécialisées qu'ils n'ont rien à apprendre des paysans et des pêcheurs, pauvres et analphabètes. Ils estiment que ces derniers bénéficient de programmes d'aide et d'éducation, mais qu'ils sont incapables de se sortir sans aide de la pauvreté. Les pauvres eux-mêmes finissent par le croire à force de se l'entendre dire. La pauvreté a plusieurs visages, mais le défaut de reconnaître aux pauvres la capacité d'être les artisans de leur destin les paralyse et les appauvrit davantage.

La recherche biophysique, la recherche sur les marchés et la recherche axée sur les politiques ont offert toute une gamme de possibilités aux paysans pauvres dans diverses conditions. Mais, en règle générale, ces efforts ne vont pas jusqu'à reconnaître que c'est à l'apprentissage des producteurs pauvres, et non à celui des chercheurs, qu'il faut accorder de l'importance. Pour déterminer le succès d'une innovation, il n'est qu'à voir dans quelle mesure les utilisateurs des ressources locales l'adoptent et l'adaptent aux champs, aux forêts ou aux étangs de la collectivité.

Il fallait donc une nouvelle démarche de recherche — une approche qui placerait les populations pauvres au centre du processus de recherche comme participants à part entière, à la fois enseignants et apprenants. Cette démarche intégrerait une meilleure compréhension des systèmes naturels à des interventions en gestion adaptées aux réalités sociales, choisies et éprouvées par les femmes et les hommes de la collectivité locale. En outre, il fallait une stratégie de recherche qui tout à la fois consoliderait les moyens de subsistance des villageois et indiquerait les changements d'orientation qui s'imposent. De 1997 à 2004, le CRDI a mis au point et appuyé divers projets de recherche, dans différentes régions, afin de relever ces défis.

Au milieu des années 1990, la recherche-action participative était à peu près inconnue dans les établissements de recherche agricole des pays en développement. Cependant, comme démarche de recherche dont la valeur méthodologique a été reconnue et qui a acquis ses lettres de noblesse auprès des scientifiques au cours des années précédentes, elle semblait offrir un cadre prometteur pour s'attaquer aux difficultés que pose la gestion des ressources naturelles (Chambers, 1989). Les démarches particulières adoptées par le CRDI et les aspects auxquels il a accordé la place la plus importante dans ses programmes de recherche, ont quelque peu varié selon les régions, tenant compte en cela de la diversité des contextes du développement.

En Amérique latine, au Moyen-Orient et en Afrique, des projets de recherche participative et interdisciplinaire ont été lancés. Mais la majorité des projets explicitement fondés sur la recherche-action participative et axés sur les utilisateurs communautaires se sont déroulés dans les régions pauvres de l'Asie. C'est là que vivent plus des deux tiers des populations les plus pauvres de la planète (les personnes gagnant moins de 1 $US par jour), pour la plupart en milieu rural. Bon nombre de ces projets de recherche portent sur les ressources communes.

Les pages qui suivent présentent quelques cas représentatifs de cette recherche-action participative. Les projets de recherche avaient des objectifs, des contextes et des sites fort différents, mais tous visaient à trouver des moyens d'améliorer la gestion des ressources naturelles dans l'intérêt des populations locales. Dans chaque cas, les chercheurs ont analysé leur expérience afin de tirer les conclusions propres aux problèmes qu'ils ont connus dans les sites où ils ont travaillé. Nous n'avons pas l'intention de passer en revue chacune de ces conclusions, qui sont détaillées dans des rapports de recherche et d'autres publications. Nous entendons plutôt décrire et comparer les ententes de cogestion en montrant comment les projets ont permis aux populations locales de participer davantage à la planification et à la gestion des ressources, et ce qui a contribué à leur succès.

Ce blanc intentionnellement laissé de page

Chapitre 2.
La recherche au service de la cogestion

Une gamme d'options pour le partage du pouvoir

Les ententes de cogestion varient selon la nature des ressources, le contexte politique, l'expertise et les compétences des organismes participants et le degré de confiance mutuelle. La plupart des analystes en conviennent, la gamme des ententes de cogestion est vaste (voir la figure 2). D'une part, l'État détient l'autorité en matière de gestion des ressources naturelles (GRN), mais consulte les collectivités locales sur des questions précises. D'autre part, il y a bien des ententes qui donnent aux collectivités ou à des groupes d'utilisateurs de ressources l'autorité de prendre des

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Figure 2. Gamme des ententes de cogestion des ressources (adaptation de Goetze, 2004).

décisions en matière de gestion, mais elles exigent qu'ils fassent rapport régulièrement à l'organisme gouvernemental responsable.

La situation se complique encore en raison de la myriade de décisions de gestion qu'il y aurait lieu de prendre: élaboration des politiques, planification, établissement de règlements, répartition des récoltes, investissement dans la productivité des ressources, suivi et exécution des règlements, détermination de la composition des groupes d'utilisateurs et arbitrage de conflits. Outre les populations locales et les gouvernements, d'autres intervenants peuvent être en cause dans ces mesures de gestion. Il peut s'agir de sociétés privées intéressées au développement des ressources, d'organismes de conservation ou d'ONG représentant des intérêts de l'extérieur également voués à la protection des ressources locales.

Les collectivités avoisinantes, aussi, peuvent être représentées dans les ententes de cogestion. Il en est ainsi parce que l'utilisation des ressources et les pratiques de gestion dans un endroit donné influent souvent sur d'autres villages en raison des liens entre les écosystèmes et les paysages à grande échelle. Ainsi, la dérivation des eaux en amont à des fins d'irrigation peut avoir de sérieuses conséquences en aval. Les intérêts de ces collectivités périphériques peuvent être représentés soit directement ou par l'entremise de l'État.

Dans les hautes terres du Kenya, comme le mode de vie pastoral qui avait cours depuis toujours a cédé la place à l'agriculture mixte, les terres qui étaient gérées par la commune ont été attribuées aux agriculteurs. Toutefois, les collectivités agricoles se sont vite rendu compte que le bien-être du bétail et l'abondance des récoltes dépendaient des ressources communes, soit l'approvisionnement en eau, les zones forestières vierges et les parcours partagés. Les propriétaires de terres privées ont volontairement organisé de nouvelles associations de GRN qui ont incité les collectivités voisines à prendre part à des consultations sur la gestion des ressources à l'échelle du paysage.

Évidemment, les divers organismes et ordres de gouvernement qui ont soit de l'expertise dans un domaine donné, soit compétence sur des ressources particulières seront représentés dans un projet de cogestion. Dans le cas de la pêche lagunaire du Viet Nam, les chefs de villages étaient parties prenantes aux ententes de cogestion puisque la principale initiative se déroulait dans la commune. Néanmoins, les représentants régionaux du gouvernement, chargés de la gestion des pêches, ont joué un rôle de premier plan dans la mise en oeuvre et la coordination de l'entente avec les municipalités environnantes. L'appui du personnel technique supérieur de la province a également été essentiel (voir l'étude de cas en page 44).

La cogestion comporte deux grandes démarches conceptuelles. La première se fonde sur une entente officielle entre toutes les parties sur les droits, les responsabilités et les procédures, énoncés en détail, relativement aux diverses ressources en question. Les négociations portent sur les éléments particuliers du partage du pouvoir et de la gouvernance. Cette démarche est caractéristique des ententes de cogestion adoptées au Canada entre les Premières nations et les gouvernements fédéral et provinciaux, par exemple (Goetze, 2004). Les questions de compétence et de droit de regard étaient plus urgentes que celle de la dégradation de l'environnement.

La deuxième démarche consiste à adapter les ententes de cogestion afin de répondre aux besoins fonctionnels immédiats de l'écosystème et des utilisateurs de ressources. Le point de départ sera donc l'étude des problèmes d'environnement et de subsistance particuliers qu'il faut résoudre et l'évaluation des intérêts des intervenants en cause. Les diverses parties prenantes sont ainsi rassemblées afin de concevoir les stratégies de gestion susceptibles de régler les problèmes. Les détails de la structure et du partage du pouvoir découlent de l'action et de l'apprentissage, ils ne sont pas l'enjeu fondamental des interventions. On désigne parfois cette démarche par le terme cogestion adaptative (Carlsson et Berkes, 2005).

Au Bouthan, par exemple (voir l'étude de cas en page 58), les pénuries qu'ont connues les collectivités des basses terres dont les récoltes de riz étaient menacées ont été l'élément moteur d'un nouveau projet de gestion de l'eau. Les pressions exercées sur l'environnement et les moyens de subsistance ont poussé les parties en cause à trouver une solution concrète qui satisfasse les besoins de tous les utilisateurs, et ce de manière plus équitable. La réforme des politiques publiques a aidé, mais elle ne comportait pas de nouvelles ententes juridiques.

Les six études de cas présentées dans ce livre mettent en lumière la seconde démarche. Les structures de cogestion qui en ont résulté grâce à la recherche ne provenaient pas de négociations légales sur la gouvernance. De fait, elles découlaient de l'apprentissage, c'est-à-dire comment rendre l'utilisation des ressources plus productive, plus durable et plus équitable. Ces études n'ont pas envisagé les ressources du point de vue de l'État, bien que son rôle soit souvent très important. Les interventions techniques officielles des organismes publics de gestion des ressources naturelles ont fait l'objet d'autres études détaillées et il existe de nombreux modèles internationaux pour leur mise en application.

Ces six études de cas accordent une attention prioritaire aux collectivités au sein du partenariat de cogestion. En règle générale, les groupes communautaires n'exercent pas d'influence politique au même titre que les gouvernements et les investisseurs commerciaux privés. Pourtant, si l'on en juge par les nombreux échecs en matière de gestion des ressources, c'est à l'échelon local que les initiatives de gestion des ressources prennent tout leur sens.

L'apport des populations locales à la prise de décisions en matière de gestion des ressources a trait autant au savoir qu'aux droits d'utilisation. À défaut de tenir compte de ces forces, il faut souvent payer un lourd tribut écologique et social; aussi est-il impératif de trouver des moyens de reconnaître, de mettre en valeur et de ren-forcer les capacités locales de contribuer à la prise de décisions relatives aux ressources. Les études de cas traitent en particulier des innovations qui renforcent les capacités, les institutions et les moyens de subsistance des populations locales grâce à la cogestion efficace des ressources naturelles. Les enseignements qui en découlent aideront les praticiens à répondre à ces besoins sur le terrain.

Au-delà de la théorie, la recherche-action

Les projets de recherche parrainés par le CRDI comportaient plusieurs traits distinctifs adaptés particulièrement à cette toile de fond, faite de relations dictées selon le contexte et les capacités des intervenants. Bien sûr, l'axe thématique de la recherche était la gestion des ressources naturelles. Il fallait donc que les chercheurs des pays en développement non seulement étudient les écosystèmes naturels et les tendances de leur productivité, mais qu'ils proposent aussi des interventions locales concrètes en vue de réduire la dégradation des ressources. La recherche n'avait pas pour objet de faire l'essai d'hypothèses abstraites; elle visait à atteindre des résultats, à améliorer la subsistance des pauvres. D'entrée de jeu, les parties en cause ont reconnu que les innovations uniquement axées sur la conservation des ressources, c'està-dire qui ne tenaient pas compte des acquis communautaires et familiaux ou n'offraient pas de nouveaux débouchés lucratifs, ne seraient probablement pas adoptées par les paysans et les pêcheurs pauvres.

Malgré les grandes différences de cultures, de systèmes de production, de contraintes biophysiques et de politiques entre les divers pays et sites, l'expérience des chercheurs a essaimé, faisant partout des adeptes, à de rares exceptions près. Les points communs étaient nombreux.

L'élaboration de nouvelles méthodologies

L'adoption de nouvelles approches de problèmes locaux épineux a suscité l'enthousiasme des chercheurs. Mais aussi leur appréhension. Bien que, dans les années 1990, les méthodes participatives aient compté d'ardents défenseurs dans les milieux universitaire et du développement, elles étaient peu connues des chercheurs du Sud participant aux projets financés par le CRDI. Rares étaient les pays où l'enseignement de ces méthodes était répandu. Les démarches interdisciplinaires aussi étaient nouvelles. Les chercheurs avaient l'habitude de mener des études dans leur champ de compétences, pas d'organiser des travaux sur le terrain avec des spécialistes d'autres domaines.

Par conséquent, la première étape des projets de recherche en GRN a consisté à déterminer et à étudier de nouvelles méthodologies. Une formation aux outils de la recherche participative et des explorations multidisciplinaires des problèmes cernés sur le terrain, en compagnie des hommes et des femmes des collectivités locales, ont aidé les chercheurs à élargir leurs horizons. De plus, puisque nombre de chercheurs agricoles participant à ces projets avaient aussi une formation en sciences naturelles, des efforts spéciaux ont été faits pour tirer parti des contributions des sciences sociales à la GRN. Il est également apparu que les pratiques traditionnelles de chacun des domaines représentés ne suffisaient pas, qu'il fallait mettre au point de nouveaux outils interdisciplinaires pour répondre à des besoins précis.

Un tel programme de recherche poserait des défis dans n'importe quel milieu. Dans les sites éloignés des pays en développement, marqués par les conflits et les privations, il était irréaliste de s'attendre à ce que des établissements de recherche locaux, ne disposant que de modestes ressources, entreprennent des recherches avec des méthodes très perfectionnées. C'est pourquoi l'approche adoptée par le CRDI avait, entre autres objets, celui de renforcer les capacités de ses organismes partenaires — à la fois pour s'attaquer aux problèmes immédiats et se pencher sur les enjeux à plus long terme. Certes, l'élaboration de la méthodologie et des cours de formation était importante, mais l'accent a été mis surtout sur l'apprentissage actif, plus couramment appelé « l'apprentissage par la pratique ».

L'apprentissage par la pratique ou l'interaction de l'urgence et de la prudence

Les populations locales qui habitent les sites où la recherche a été effectuée faisaient face à d'urgents problèmes. D'une part, elles ne pouvaient pas attendre les résultats d'interminables analyses, ni se conformer aux calendriers des universitaires travaillant auprès de lointains organismes, avant de passer à l'action. D'autre part, elles n'avaient pas les moyens de financer des expériences ratées. Les chercheurs, incertains des résultats probables des interventions recommandées, ont plaidé en faveur d'une démarche circonspecte. À chacun des sites et pour chaque projet, la collaboration entre les utilisateurs des ressources et les chercheurs a donné lieu à une interaction peu commune des forces en présence, l'interaction de l'urgence et de la prudence.

Les problèmes immédiats ont poussé les chercheurs à accélérer la mise en oeuvre de leur programme. Et les ressources dévolues aux projets de recherche (expertise et fonds) ont aidé à réduire les risques courus par les agriculteurs et les pêcheurs qui, autrement, auraient pu hésiter à faire l'essai d'innovations. Les premières interventions axées sur d'urgents problèmes locaux ont montré la rapidité de réaction des chercheurs et leur engagement à obtenir des populations locales une importante participation au programme de recherche. Elles ont aussi inspiré confiance et rehaussé la réputation des chercheurs. Quant aux utilisateurs de ressources pauvres, le fait que l'on s'occupe de leurs problèmes financiers immédiats leur a permis d'accroître leur productivité et d'amasser un surplus, ouvrant ainsi la porte à d'autres expérimentations.

Le type d'interventions escompté des équipes de recherche variait selon les contextes locaux. Il pouvait s'agir d'efforts techniques visant à améliorer la productivité des ressources en mettant en place de nouveaux systèmes de production agricole, agroforestière, aquacole, animale ou intégrée. Ou encore de la conception et de la création de nouvelles institutions en vue de résoudre des conflits et d'assurer la propriété collective des terres. Dans les agroécosystèmes peu productifs, où les ressources communes sont essentielles à la subsistance des pauvres, ces deux types d'interventions sont habituellement nécessaires. Ce qui explique pourquoi il fallait commencer par une question essen-tiellement pragmatique. Pour que les innovations soient adoptées et adaptées par les utilisateurs de ressources eux-mêmes, elles devaient être pratiques, judicieuses et faciles à comprendre. Il fallait en outre que les agriculteurs et les pêcheurs puissent eux-mêmes en faire l'essai et les approuvent.

Le travail à long terme sur le terrain a permis d'apprécier à sa juste mesure le cadre de recherche sur la GRN. La recherche était fondée sur l'apprentissage partagé entre les chercheurs et les utilisateurs de ressources, chaque groupe bénéficiant de l'expérience de l'autre. C'était une entreprise de longue haleine exigeant diagnostic, analyse, exploration, intervention et évaluation communes. Il a fallu renforcer les capacités des organismes locaux afin qu'ils puissent prendre part à l'action collective visant à réduire la pauvreté. Cette étape de la mise en commun des expériences était essentielle, toutefois, non seulement pour consolider les leçons dégagées de la recherche sur le terrain, mais aussi pour renforcer les capacités d'apprentissage adaptatif au sein de la collectivité.

Le travail à long terme sur le terrain a permis d'apprécier à sa juste mesure le cadre de recherche sur la GRN. La recherche était fondée sur l'apprentis-sage partagé entre les chercheurs et les utilisateurs de ressources, chaque groupe bénéficiant de l'expérience de l'autre.

Apprendre à apprendre ensemble

Cette recherche sur la GRN donne à penser que les solutions proposées par les spécialistes n'étaient pas celles qu'il fallait pour se pencher sur la complexité des interactions de l'être humain avec l'écosystème. Pour avancer des mesures opportunes, tous les participants du projet — chercheurs, représentants du gouvernement et populations locales — ont dû adopter de nouvelles attitudes à l'égard des connaissances et de l'apprentissage.

On a dit aux chercheurs que leurs études supérieures faisaient d'eux des experts, ceux qui possèdent les solutions. Il va sans dire que d'apprendre des populations locales ayant peu de scolarité mais beaucoup d'expérience a exigé qu'ils changent d'attitude et qu'ils trouvent moyen d'attester scientifiquement ces connaissances locales. Pour leur part, les populations locales, qui ont opté pour certaines stratégies de mise en oeuvre, avaient besoin de moyens afin de mettre à l'épreuve et de documenter leur expérience de manière plus officielle. En outre, tant les chercheurs que les populations locales ont dû apprendre à faire part des enseignements retenus aux autorités gouvernementales et à d'autres intervenants de l'extérieur. Tous les participants étant en terrain inconnu, il leur a fallu de nombreux échanges de vues et de multiples essais.

La reconnaissance et le respect du savoir local ont donné à l'apprentissage une portée sociale beaucoup plus explicite. Les chercheurs et les agriculteurs ont dû apprendre à passer d'une conception à une autre, soit celle des connaissances cumulées par la science moderne et celle du savoir contextuel créé, appliqué et transmis au quotidien par les femmes et les hommes des collectivités locales.

Les chercheurs ont aussi admis d'emblée que les collectivités sont hétérogènes et mal définies. Les intérêts diffèrent, la fortune et la puissance divisent, les relations sociales sont complexes et changeantes, et l'histoire a son importance. La détermination des divers effets de la dégradation des ressources et des interventions de gestion sur les femmes, groupe souvent exclu des décisions relatives à l'utilisation des ressources et des avantages qui en découlent, passe inévitablement par l'analyse sexospécifique. Les différences de culture, d'origine ethnique et de langue peuvent occulter ces facteurs aux intervenants de l'extérieur, qu'ils soient de l'autre côté de la rivière ou de l'autre bout de la planète. Chaque situation locale est un peu différente d'une autre et elle peut être mal interprétée si les chercheurs arrivent avec des idées préconçues.

La détermination des divers effets de la dégradation des ressources et des interventions de gestion sur les femmes, groupe souvent exclu des décisions relatives à l'utilisation des ressources et des avantages qui en découlent, passe inévitablement par l'analyse sexospécifique.

Le leadership local

Bon nombre des idées et des méthodes de recherche mises en pratique dans le cadre de ces projets sont issues de travaux d'avant-garde effectués dans des centres de recherches internationaux et des universités du Nord. Mais les projets décrits dans le présent ouvrage ont été menés à bien par des chercheurs locaux. Il leur a fallu beaucoup de courage, de créativité et de persévérance pour inciter les établissements de recherche et leurs partenaires de terrain à adopter de nouvelles méthodes et attitudes.

Par exemple, ils ont entrepris d'examiner la structure des droits relatifs à l'accès aux ressources. L'absence de droits officiels, les conflits quant aux droits d'utilisation des ressources ou la perte de droits acquis de longue date ont sapé la capacité des utilisateurs de gérer le capital-ressources et ont mené tout droit à sa dégradation. Pour intervenir efficacement et apporter de réels changements, il était essentiel, avant tout chose, de comprendre ces droits et les institutions qui permettent de les contester. Les chercheurs n'ont pu éviter d'être mêlés à des conflits locaux politisés et ont mis leur carrière en péril lorsque l'opinion courante s'est élevée contre ces démarches.

En assumant le rôle de chefs de file locaux, les chercheurs ont dû également inciter les autorités et la population locales à prendre part à la recherche dès les tout débuts. La reconnaissance du fait que les femmes et les hommes de la collectivité sont les principaux agents de changement et d'apprentissage a pour corollaire que la recherche doit favoriser les initiatives locales et, partant, le soutien du gouvernement à de telles initiatives.

La diffusion, gage de changement

Les chercheurs se sont rendu compte qu'il ne suffisait pas, une fois les résultats obtenus, de retourner à leur bureau pour rédiger leur rapport de recherche. Dans bien des cas, les résultats de recherche soulignaient la nécessité de modifier les politiques et les droits d'utilisation des ressources afin de s'assurer que les populations locales pauvres puissent elles aussi avoir leur part des profits. La diffusion de ces résultats et la mise en oeuvre de changements tangibles exigent temps et efforts. Les chercheurs ont noué des relations avec des ONG, des organismes gouvernementaux, d'autres chercheurs et parfois des bailleurs de fonds internationaux pour documenter et communiquer leurs constatations. Ils ont aidé des groupes d'action sociale à comprendre et à mettre à profit les données probantes de la recherche. Les chercheurs ont aussi contribué à ce que les collectivités locales établissent des liens avec d'autres communes et avec de hauts fonctionnaires afin de mieux faire entendre leur voix.

La dimension participative de la recherche, donc, était étroitement liée à la reconnaissance des paysans et des pêcheurs pauvres comme les principaux agents de changement et de développement, et non simplement une cible passive à qui on destine des conseils techniques. En raison de l'importance accordée au savoir autoch-tone, à la compréhension des institutions ainsi qu'aux interventions concrètes et durables, il était impérieux que les chercheurs et les populations locales prennent part conjointement à l'apprentissage. Il fallait que les enseignements qui en ont été tirés soient convaincants pour que les paysans et les pêcheurs pauvres acceptent de courir le risque d'investir dans des innovations. Les meilleures preuves allaient être fournies par les utilisateurs eux-mêmes.

Chapitre 3.
Les expériences sur le terrain

Les six brèves études de cas qui suivent donnent un aperçu des projets de recherche financés par le CRDI d'où l'on peut tirer des leçons en matière de cogestion. Elles dépeignent des situations réelles et mettent en scène de vraies personnes — qui vivent en Asie, en Amérique latine et au Moyen-Orient — où des chercheurs et les populations rurales ont appris ensemble à mettre les théories en pratique afin d'améliorer les conditions de vie et les moyens de subsistance. Les projets ont été sélectionnés dans l'intention d'étudier des contextes, des climats, des cultures et des systèmes politiques très divers, d'un des plus grands pays du monde à certains des plus petits. La recherche menée dans le cadre de ces projets s'est échelonnée sur de nombreuses années, passant parfois par plusieurs phases de financement pluriannuel. Les lecteurs trouveront de plus amples détails sur ces projets et beaucoup d'autres financés par le CRDI à < www.crdi.ca/un_focus_ cogestion >.

Dans chaque cas, la recherche a été menée par des équipes multi-disciplinaires. Installées dans des centres nationaux de recherches ou des universités, elles étaient parfois dirigées par des ONG ou des organismes gouvernementaux. Mais ce sont les populations locales qui sont devenues les véritables responsables de chacun des projets puisqu'elles répondaient à une démarche qui — souvent pour la première fois — tenait compte des connaissances et de l'expérience locales. L'uniformité de cette réponse dans diverses situations est signe qu'il est possible de mettre cette démarche en pratique dans des régions à faible rendement économique où les populations pauvres dépendent des ressources communes.

LE CAMBODGE — les conflits sur les ressources et la propriété collective

La documentation des droits traditionnels d'utilisation et de gestion des ressources forestières locales était de l'inconnu tant pour les chercheurs que pour les villageois.

Principales caractéristiques de la recherche

Méthodologie: savoir autochtone, cartographie participative, éducation libre

Droits: garantie des droits traditionnels d'utilisation des ressources

Gouvernance: planification participative, comités de gestion des ressources naturelles

Partenariats et réseaux: liens solides avec des ministères du gouvernement provincial, le programme national, le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), des ONG

Politique: réforme du mode de faire-valoir des terres

Une prospérité cher payée

La guerre civile a fait vivre au Cambodge des années de chaos, d'anarchie et de dévastation, comme en témoignent les images obsédantes des champs de la mort. Aujourd'hui, dans une paix toute relative, la société cambodgienne a recouvré, dans une large mesure, sa stabilité, voire sa prospérité. Les hautes terres très boisées du nord-est de la province de Ratanakiri (voir la figure 3) est une des sources de cette prospérité. Encouragés par le gouvernement central, les investisseurs et les travailleurs migrants se

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Figure 3. Ratanakiri au Cambodge

sont installés dans la province à la recherche de ressources à exploiter.

Malheureusement, pour les collectivités des hautes terres de Ratanakiri, pareille prospérité est souvent cher payée. Composées de neuf groupes minoritaires d'origine ethnique différente, elles forment plus des deux tiers de la population de cette région. Elles s'adonnent à la culture itinérante et, pour la plupart, ne parlent pas la langue ni ne partagent les croyances religieuses de la population khmère qui domine la plaine, pratique la riziculture et considère les montagnards comme « arriérés ».

Puisque le gouvernement central accordait volontiers des concessions dans le cadre de soumissions destinées à stimuler les investissements, les habitants des basses terres ont migré vers la province pour y trouver des ressources lucratives. Mais la population locale faisait déjà un usage considérable de la forêt — comme source de nourriture, de produits médicinaux, de matériaux de construction et d'eau, outre la culture de riz de plateau dans le cadre d'un système d'assolement géré par les anciens du village. Or, voilà que des hommes armés embauchés par les titulaires de concessions viennent, sans tenir compte de la collectivité locale, abattre les forêts qu'elle utilisait depuis des générations.

Comme l'explique un paysan: « Cette société n'est venue ici que dans l'intention de trouver des travailleurs pour défricher la terre. Certains des superviseurs étaient bien, mais d'autres étaient implacables et ils étaient armés. Ils se servaient de leurs armes pour intimider les gens. » Un autre confie qu'on les a prévenus que leurs vaches, qui avaient toujours erré librement en quête de fourrage, seraient abattues si elles s'aventuraient du côté de la concession.

Rien d'étonnant à ce que des conflits éclatent au sujet des terres et des ressources. Le gouvernement de Ratanakiri était inquiet, mais il n'avait aucun pouvoir contre l'octroi de concessions par le gouvernement national à Phnom Penh. Le fait que le gouvernement provincial connaisse si peu la composition ethnique des collectivités n'a pas aidé non plus. Parallèlement, des ONG locales et internationales ont commencé à mettre en doute l'équité des actions de l'État et les résultats des changements apportés à Ratanakiri.

« Nous sommes des montagnards. Nous sommes tributaires de la forêt et de la terre. Sans forêts et sans terres, nous ne pouvons vivre. »

Avec l'appui du CRDI et l'assentiment du gouvernement provincial, une équipe de recherche a été formée afin d'explorer comment aborder à l'échelon local les problèmes de pauvreté et de conflits relatifs aux ressources. Les chercheurs ont commencé par travailler auprès des villageois pour connaître leur situation. Situation que Seu Chil, une agricultrice, a éloquemment résumée: « Nous sommes des montagnards. Nous sommes tributaires de la forêt et de la terre. Sans forêts et sans terres, nous ne pouvons vivre. Nous avons besoin de bois de chauffage, de légumes, de fruits, de champignons, de pousses de bambou, et nous pouvons nous procurer toutes ces choses dans la forêt. Nous allons en forêt comme nous irions au marché. »

Les chercheurs avaient de l'expérience en agriculture, en foresterie et en sciences naturelles. Mais ils se sont vite rendu compte qu'il fallait entreprendre auprès des populations locales une campagne d'éducation et de sensibilisation afin de les aider à faire reconnaître leurs droits traditionnels. Il est aussi apparu clairement que les populations locales devaient pouvoir établir, à l'aide de données probantes, leur utilisation et gestion de longue date des ressources forestières afin de légitimer leurs revendications. Tant les chercheurs que les villageois se trouvaient là en terrain inconnu.

L'établissement d'un précédent

À l'aide de techniques comme l'évaluation participative et la cartographie, et se fiant au savoir et à la compétence des anciens, les chercheurs ont aidé les villageois à préparer des cartes détaillées des territoires ancestraux et de leur utilisation. Ils ont fait appel à des spécialistes des sciences sociales pour mettre en pratique ces méthodes participatives.

La prochaine étape a consisté à élaborer, au sein de ces territoires, des règlements sur la répartition des ressources, fondés sur les pratiques traditionnelles. Les cartes et les règlements proposés ont ensuite fait l'objet de discussions avec l'administration de la commune. Les villages avoisinants ont aussi été invités à les étudier et à faire part de leurs commentaires. Une fois que les représentants du district eurent accepté les plans communautaires — auxquels les cartes et les règlements ont été intégrés —, ceux-ci ont été soumis aux instances provinciales. Finalement, on a demandé au gouverneur de Ratanakiri de les approuver.

Lorsque le gouverneur a approuvé le premier de ces plans en 2000, le titulaire de la concession en conflit avec la collectivité a été obligé de renoncer à sa réclamation de la majeure partie de la zone forestière de la commune. Un précédent de taille venait d'être établi. La légitimité des droits traditionnels d'utilisation des ressources, solidement documentés, faisant de ces droits un sujet digne de l'attention de l'État. Les ministères gouvernementaux et les ONG locales oeuvrant dans le domaine du développement bénéficiaient maintenant d'un modèle pour assurer la protection de ces droits.

Ce processus participatif d'aménagement du territoire est né d'essais et de travail sur le terrain auxquels ont collaboré des collectivités locales et des organismes gouvernementaux, et non de directives ou de politiques officielles. Les cartes et les documents probants ont grandement contribué à modifier les idées reçues des participants. Les autorités gouvernementales, qui n'étaient pas familières avec les langues et les cultures locales, ont été étonnées d'apprendre que les ressources forestières étaient beaucoup utilisées et gérées par les collectivités locales. Quant aux villageois, ils ont fini par reconnaître, en présence des concessions extérieures, qu'il y avait des limites à leur utilisation des terres.

Les autorités gouvernementales ont été étonnées d'apprendre que les ressources forestières étaient beaucoup utilisées et gérées par les collectivités locales.

Le personnel du gouvernement avait autant à apprendre que la population locale. Le projet de recherche a été structuré de manière à inciter les fonctionnaires à prendre part à cet apprentissage, et non à les opposer au militantisme local. Leur rôle avait toujours consisté à mettre en application les règlements administratifs du gouvernement central. Et ce rôle les a souvent forcés à affronter les collectivités locales. Le projet de recherche a fourni au personnel du gouvernement provincial de Ratanakiri un mécanisme lui permettant d'adopter, dans un nouvel état d'esprit, des comportements professionnels différents qui incluraient la consultation, le respect des droits des citoyens, la facilitation d'initiatives locales et la réceptivité aux problèmes locaux.

Ces processus d'aménagement local se sont avérés efficaces pour résoudre les conflits et renforcer les capacités d'établissement de nouvelles structures gouvernementales à l'échelle locale et provinciale. Ces premiers succès ont attiré l'attention de nombreuses autres collectivités, et les chercheurs ont proposé divers moyens novateurs de diffuser les résultats de la recherche et de renforcer les capacités locales; parmi ces moyens, des cours libres à l'intention des villageois pour leur permettre d'apprendre le khmer et l'arithmétique. Ils ont aussi favorisé les visites au pair entre agriculteurs et entre villageois.

Un modèle pour tout le pays

Bientôt, les collectivités, nouvellement dotées d'une pleine liberté d'action, ont commencé à former des comités de gestion des ressources naturelles. Elles ont ainsi aidé à cartographier et à négocier l'utilisation des ressources et à mettre en oeuvre les plans de gestion locaux. Elles ont aussi veillé à ce que les questions de ressources naturelles soient intégrées aux plans officiels des communes en matière de développement. Les ministères du gouvernement provincial ont conservé les responsabilités suivantes: formation, surveillance, coordination, gestion de tout conflit et appui à la mise en oeuvre des plans locaux.

Les chercheurs ont constaté le besoin d'améliorer les systèmes de production agricole au sein des groupes ethniques minoritaires. Mais ils n'ont pas pu consacrer à ce dossier autant d'attention qu'ils l'auraient voulu puisque la question de la sécurité d'occupation n'avait pas encore été convenablement résolue et que cela demeurait un enjeu d'importance pour les collectivités elles-mêmes.

Malgré ces gains considérables obtenus par les villageois, la propriété collective et le processus d'aménagement du territoire n'étaient toujours pas garantis par une loi nationale. Les chercheurs ont reconnu que la rédaction d'une nouvelle loi sur la propriété des terres avait fourni l'occasion d'aborder cette question. En établissant de vastes réseaux avec les gouvernements national et provinciaux, des ONG et d'autres intervenants du domaine du développement, l'équipe de recherche a pu démontrer l'importance de cet enjeu à Ratanakiri et contribuer aux démarches de nombreux groupes pour faire en sorte que la version finale du projet de loi contienne des dispositions relatives au régime foncier collectif.

Au début du projet, les chercheurs ont pris la décision stratégique de rendre leurs activités de recherche sur le terrain conformes à celles d'un vaste projet de prestation de services du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). En conséquence, le processus de planification participative des ressources naturelles mis au point à Ratanakiri a été intégré à un nouveau programme national de réforme de la gouvernance locale parrainé par le PNUD. Celui-ci a aussi embauché un membre chevronné de l'équipe de recherche et lui a confié la direction des travaux d'adaptation de l'outil de planification de l'utilisation des terres pour que les gouvernements locaux puissent s'en servir partout au pays. Le ministère des Terres a lui aussi adopté un processus semblable comme mécanisme d'octroi des titres de propriété et d'enregistrement dans l'ensemble du Cambodge.

Encore maintenant, la gestion des ressources à Ratanakiri ne va pas sans difficultés. Les réformes nationales ont donné lieu à des litiges quant à savoir quel ministère du gouvernement devrait être responsable des nouveaux modes de gestion locale. En outre, l'accès accru à la province augmente la pression sur les ressources exercée par le marché. Mais puisqu'ils peuvent désormais compter sur des capacités renforcées et des modèles d'intervention efficaces, les utilisateurs des ressources locales, les gouvernements locaux et les organismes provinciaux disposent tous de meilleurs outils pour faire face aux enjeux politiques et pratiques qui accompagnent inévitablement le développement.

LE VIET NAM — la mise en commun des ressources à la lagune de Tam Giang

La cogestion fondée sur des données scientifiques a aidé les pêcheurs locaux et d'autres utilisateurs à élaborer des plans afin de partager les ressources de cette voie d'eau d'une grande richesse biologique.

Principales caractéristiques de la recherche

Méthodologie: planification et gestion participative des ressources faisant appel à des intervenants multiples

Moyens de subsistance: technologies agricoles et aquacoles à l'intention des ménages à faible revenu

Droits: reconnaissance des droits coutumiers et accès aux ressources

Gouvernance: nouveaux processus participatifs et représentatifs au sein du gouvernement local

Partenariats et réseaux: établissement de liens solides avec les gouvernements local et provincial

Politique: mise en oeuvre contrôlée d'une nouvelle politique nationale sur la cogestion des pêches

Des ressources exceptionnelles

Bien que le littoral du Viet Nam ne soit pas éloigné des hautes terres cambodgiennes, l'environnement et les ressources qu'il recèle sont très différents. Ici aussi, l'absence de planification et de gestion participatives a fait peser sur de précieuses ressources la menace de conflits violents et de dommages importants. Et, comme au Cambodge, la participation à la recherche des utilisateurs des ressources et du gouvernement a aidé à indiquer de nouvelles pistes d'action.

Le système lagunaire de Tam Giang — Cau Hai, unique au Viet Nam, s'étire sur 70 kilomètres (voir la figure 4), mais n'a une profondeur moyenne que de deux mètres. La lagune, milieu très productif tant pour les espèces d'eau douce que pour les espèces marines, a longtemps été une importante zone de pêche. La majorité des 300 000 personnes qui vivent autour de la lagune dépendent de la pêche ou de l'agriculture pour gagner leur vie.

En 1995, le CRDI et l'Agence canadienne de développement international (ACDI) ont financé une étude sur l'état des ressources aquatiques et l'utilisation qu'en faisaient les collectivités installées autour de la lagune. L'équipe de recherche a réuni pour la première fois des chercheurs agricoles du Collège d'agriculture et de foresterie de l'Université de Huê (HUAF), des biologistes et des

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Figure 4. La lagune de Tam Giang au Viet Nam

sociologues de l'École des sciences de l'Université de Huê et des administrateurs du ministère provincial des Pêches. Cette rencontre a donné lieu à une collaboration exceptionnellement étroite entre les scientifiques de divers domaines et les autorités gouvernementales. « Le projet nous a proposé un nouveau modèle pour travailler efficacement en collaboration avec les ministères du gouvernement », souligne Tran Van Minh, recteur du HUAF.

En travaillant à trois sites en différents endroits de la lagune, l'équipe multidisciplinaire s'est rapidement rendu compte que, bien que le gouvernement ait procédé à la réforme agraire, il n'avait pas songé au mode de faire-valoir des ressources aqua-tiques. Suivant les coutumes locales, les familles de la lagune détenaient les meilleures zones de pêche. Elles avaient investi dans des enceintes de pêche fixes, comme des fascines, qui profitent des courants pour conduire le poisson dans d'étroites nasses ou des filets.

Les membres les plus pauvres de chaque collectivité étaient les pêcheurs itinérants qui ne disposaient d'aucun droit foncier et vivaient sur leurs bateaux avec leur famille. Puisqu'il était difficile de leur offrir des services de base comme l'éducation et les soins de santé, le gouvernement les a incités à se joindre aux collectivités habitant le long de la lagune. La commune de Quang Thai à l'extrémité nord de la lagune est une d'entre elles. Une fois installés, les pêcheurs itinérants ont dû batailler ferme pour pêcher aux côtés de voisins établis de longue date qui bénéficiaient en outre de l'accès aux terres agricoles.

La réussite de l'expérience a redonné confiance à la collectivité et les villages avoisinants ont rapidement adopté cette nouvelle culture.

Afin de réduire les pressions exercées sur la lagune et d'améliorer les moyens de subsistance, les chercheurs ont d'abord proposé une nouvelle culture marchande, celle de l'arachide, qui pousse bien dans un sol sablonneux. La réussite de l'expérience a redonné confiance à la collectivité et les villages avoisinants ont rapidement adopté cette nouvelle culture. Les chercheurs se sont alors tournés vers les ressources aquatiques, plus difficiles à exploiter. Ils ont aidé les pêcheurs pauvres à évaluer l'habitat piscicole et à déterminer les zones de limite de prises et les zones protégées contre les méthodes de pêche illégales. Les chercheurs ont aussi fait connaître l'aquaculture en cage qui repose sur l'utilisation de la zostère marine locale pour nourrir le poisson. L'aquaculture s'est avéré une option intéressante, notamment pour accroître le revenu des femmes qui n'ont accès ni aux engins de pêches ni aux zones les plus fécondes.

Une croissance inattendue

Entre-temps, au centre de la lagune, la commune de Phu Tan, plus productive, travaillait en collaboration avec les collectivités et le gouvernement local à trouver des solutions aux problèmes posés par la prolifération des petits étangs à crevettes et des enclos de filets. Au début des années 1990, ces enclos étaient relativement peu connus dans les eaux de la lagune, mais, à la fin de la décennie, ils couvraient 75 % du territoire aquatique de la commune.

Les étangs à crevettes aménagés dans des rizières irriguées sur les basses terres côtières occupaient encore 20 % de la surface de l'eau. Il ne restait pratiquement plus d'eaux libres !

Malgré l'absence de règlements, tous les ordres de gouvernement ont favorisé cette croissance rapide et inattendue. Le gouvernement local a prélevé les droits afférents à l'officialisation de récentes réclamations de propriétés privées, tandis que les gouvernements provincial et national ont perçu des taxes et des recettes d'exportations nationales plus élevées sur les produits de grande valeur. Mais l'essor de l'aquaculture a posé problème. La qualité de l'eau et le régime des courants ont considérablement diminué, créant des conditions propices aux maladies et réduisant la productivité. Les pêcheurs les plus pauvres ont durement ressenti les effets de la privatisation accrue des ressources communes de la lagune puisqu'elle les a forcés à tenter de pêcher dans d'autres territoires déjà grandement exploités.

« Personne ne gère ni n'assume la responsabilité de ce qui se passe ici. Tous les organismes veulent avoir des droits, mais ils s'en tiennent là. »

Un problème a finalement retenu l'attention de l'État; c'est la perte des voies d'eau utilisables en raison du labyrinthe des enclos de filets. Pour reprendre les propos de Nguyen Luong Hien, directeur au ministère provincial des Pêches: « Tout le monde reconnaît l'importance de la lagune. Mais personne ne gère ni n'assume la responsabilité de ce qui se passe ici. Tous les organismes veulent avoir des droits, mais ils s'en tiennent là. »

Les chercheurs ont travaillé auprès du gouvernement local, des propriétaires d'enclos de filets et des pêcheurs itinérants qui utilisent des engins de pêche. Tous espéraient que la réouverture des voies navigables augmenterait les possibilités de pêche locale. Grâce à la cartographie participative, à l'étude de données sur la qualité de l'eau et à des négociations avec divers intérêts, l'équipe de recherche a facilité l'élaboration des autorisations nécessaires pour la navigation et les échanges d'eau. Toutefois, des différends entre les pêcheurs itinérants et les propriétaires d'enclos de filets ont retardé la conclusion d'une entente sur les droits de pêche dans les eaux adjacentes aux enclos de filets. Fait intéressant, les chercheurs ont remarqué que les femmes réussissaient à négocier de meilleures modalités relatives à l'accès aux zones de pêche que les hommes parce qu'on estime qu'elles utilisent des techniques de pêche moins agressives.

Un gouvernement local impatient a mis en oeuvre le plan d'aménagement de la voie d'eau — sans consulter les chercheurs — et la police a obligé les propriétaires d'enclos de filets à installer leurs enceintes ailleurs. Le gouvernement local n'a adopté ni les mesures de résolution de conflits, ni les dispositions relatives à l'accès partagé des zones de pêche qui avait été proposées par l'équipe de recherche. Les négociations ont été rompues et les conflits entre les pêcheurs itinérants qui utilisent des engins de pêche et les propriétaires d'enclos de filets ont dégénéré en violence.

Une démarche tout à fait différente

Cette expérience a convaincu les autorités provinciales responsables des pêches du bien-fondé des arguments de l'équipe de recherche selon lesquels la planification traditionnelle, décidée en haut lieu, n'aboutirait à rien. Elles se sont finalement résolues à adopter une démarche tout à fait différente dans la commune de Quang Thai, où les conflits surgissaient avec la prolifération des enclos à poissons. Les chercheurs ont clairement indiqué que seules la cogestion et la planification participative pourraient apporter des solutions, dans la mesure où les pêcheurs locaux et les gouvernements conviendraient de principes directeurs pour l'utilisation des ressources et prendraient des engagements qu'ils veilleraient ensemble à faire respecter. Une nouvelle loi nationale, adoptée en 2003, leur est venue en aide. Cette loi autorise la cogestion des pêches par des groupes d'utilisateurs déterminés par les collectivités locales et donne explicitement aux autorités provinciales le mandat de mettre la loi en application.

Dès lors, toutes les parties en cause ont pu profiter de l'expérience acquise en six ans de recherche participative:

Image Le ministère provincial des Pêches y a vu l'occasion de résoudre un problème criant et d'éprouver des stratégies de mise en œuvre concrètes en vue de son nouveau mandat.

Image Les pêcheurs locaux avaient beaucoup appris au sujet du capital-ressources de la lagune et ils possédaient assez d'information pour présenter des arguments et des plans pondérés.

Image L'équipe de recherche, qui avait acquis des compétences en communication et en animation, a pu diriger le processus sans imposer de solutions.

Animés par de solides motivations et une nouvelle mission politique à accomplir, les pêcheurs de Quang Thai ont proposé de former un groupe d'utilisateurs. Sa première tâche allait consister à élaborer un plan de répartition de la superficie de la lagune (voir la figure 5).

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Figure 5. Carte de l'utilisation prévue de la lagune

Le processus d'aménagement de la lagune a été mis en branle lors d'une réunion et d'un atelier organisés à l'intention des intervenants. L'équipe de recherche a fourni les ressources techniques et facilité l'établissement d'un consensus sur les principaux enjeux et la stratégie générale relative au plan d'action. Tous les intervenants ont convenu que ce plan devrait prévoir le main-tien de l'accès de l'ensemble des utilisateurs actuels, le respect des droits coutumiers et le partage des inconvénients entraînés par la réorganisation requise des engins de pêche dans les eaux de la lagune.

La mise en oeuvre du plan s'est faite grâce à la recherche participative et à la mise en commun d'informations tirées de travaux de cartographie conjoints, d'enquêtes menées auprès de certains groupes cibles et d'analyses de groupe. Ce processus a permis à la population locale et aux chercheurs de parfaire leurs connaissances, et a jeté les bases de nouvelles approches de la cogestion et de la gouvernance locale. Les chercheurs se sont servis des outils de la cartographie participative pour aider le nouveau groupe d'utilisateurs des ressources de la lagune à effectuer une analyse du partage des responsabilités. Les autorités gouvernementales locales ont amorcé et dirigé la planification des ressources. Le personnel provincial et du district a fourni les ressources techniques et favorisé la gestion des conflits et la résolution des problèmes locaux.

Aujourd'hui, l'expérience de Quang Thai est reprise par d'autres municipalités de la lagune. Le personnel du ministère provincial a élaboré des principes directeurs et des documents de formation et il a pris l'initiative de promouvoir le nouveau système de cogestion. Reprenons, pour conclure, les paroles de Nguyen Luong Hien, du ministère des Pêches: « Nous cherchons maintenant des moyens de mieux intégrer la gestion communautaire et la planification du gouvernement provincial. »

L'ÉQUATEUR — les conflits sur les ressources hydriques et la conservation dans un bassin hydrographique des Andes

Des résultats de recherche aident à remettre en question des conceptions erronées sur le débit d'eau et les utilisateurs consommant plus que leur juste part.

Principales caractéristiques de la recherche

Méthodologie: surveillance participative de l'utilisation de l'eau, indemnisation pour l'utilisation des ressources

Droits: accès aux ressources hydriques, jouissance commune de la terre

Gouvernance: table ronde consultative à intervenants multiples, tribunes coopératives à l'intention des utilisateurs des ressources hydriques et des gouvernements locaux

Partenariats et réseaux: liens avec des ONG locales, des organismes du gouvernement national, des chercheurs et des bailleurs de fonds

Politique: démonstration de solutions de collaboration en remplacement des droits privés sur l'eau

La conservation d'un écosystème unique

Que vous soyez pêcheur ou agriculteur, l'eau est essentielle à votre subsistance. Dans les vallées montagneuses du bassin hydrographique de la rivière El Angel, au nord-est de l'Équateur (voir la figure 6), le gagne-pain des exploitants de terres marginales est en péril, car ils ne savent pas d'un jour à l'autre s'ils auront assez d'eau pour arroser leurs champs et satisfaire aux besoins des ménages. Leurs fermes se trouvent en aval de la principale source d'eau et, bien que le gouvernement émette des concessions d'eau afin de régir les prélèvements d'eau des ruisseaux et des rivières, ceux qui vivent dans les basses terres n'ont pas toujours leur juste part.

L'altitude du bassin hydrographique varie de 1 500 à 4 000 mètres. Au sommet, un plateau de terres humides forme la Réserve écologique El Angel. Ce milieu froid et humide de haute altitude est unique. Les terrains marécageux absorbent l'eau de pluie comme une éponge et la déversent lentement dans le reste du bassin tout au long de l'année. La majorité des espèces végétales

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Figure 6. Le bassin hydrographique de la rivière El Angel, dans la province de Carchi en Équateur

qui y vivent ne se trouvent que dans les zones humides, fragiles et froides, de cet écosystème tropical. Les forêts montagneuses humides (les « forêts des nuages »), adjacentes aux terres humides, font partie des écosystèmes andins les plus rares. C'est une région d'un grand intérêt écotouristique, mais les forêts sont menacées par l'essor de l'agriculture.

Nombre des canaux d'irrigation qui alimentent les fermes au bas de la vallée trouvent leur source à cet endroit. El Angel étend son influence jusqu'à une large zone périphérique en aval du bassin, irriguée par les eaux fluviales en amont.

En 1996, une équipe de chercheurs spécialisés en sciences naturelles et en sciences sociales, parrainée par le CRDI, a constaté que les problèmes tenaient en partie aux fluctuations climatiques selon l'altitude, mais qu'ils étaient amplifiés par les questions des droits d'utilisation des terres et d'accès à l'eau. Les propriétés foncières privées varient considérablement, qu'il s'agisse de grandes haciendas ou de très petites terres et demeures bâties par les paysans au cours des diverses réformes agraires. Mais il y a aussi des territoires communaux où les populations autochtones se sont installées, occupant toujours les terres ancestrales. Plusieurs de ces terres se trouvent dans les milieux humides où elles chevauchent la réserve écologique et dans les zones où les canaux d'irrigation ont leur point de départ.

En garder « un peu plus »

À l'autre extrême, les basses terres de la vallée, où le climat est chaud et semi-aride, ont des sols minces et rocailleux, sauf au fond de la vallée où les agriculteurs pratiquent les cultures tropicales. Malheureusement, ils dépendent entièrement de l'eau d'irrigation qui provient du haut du bassin. « L'eau qui arrive à notre village est complètement contaminée. Et, durant la saison sèche, nous n'avons pratiquement pas d'eau », déplore Saloman Acosta, un agriculteur de la région.

Même si, dans l'ensemble du bassin hydrographique, la disponibilité et la qualité de l'eau étaient intimement liées à l'utilisation des terres, la majorité des résidants ne voyaient que leurs problèmes locaux. Les utilisateurs en amont estimaient que leurs homologues en aval recevaient déjà plus que la part d'eau qui leur était dévolue, si bien qu'ils trouvaient justifié d'en garder un peu plus. Parfois, ils en prélevaient beaucoup plus, installant des pompes ou des conduites pour amener illégalement de l'eau jusqu'à leurs champs.

« Le gouvernement m'a accordé un droit d'utilisation de l'eau il y a plus de trois ans, mais c'est de l'eau qui n'existe pas. »

La répartition de l'eau est régie par un système officiel mis en place en vertu d'une loi nationale. Toutefois, aucune mesure précise n'est faite ni du débit ni du prélèvement d'eau, et les canaux en terre sont très longs et perméables. Aussi, bien que les registres de l'État indiquent que les concessions d'eau à El Angel sont encore moindres que le volume d'eau disponible, les utilisateurs en aval peuvent être privés d'eau pendant plusieurs semaines. L'agriculteur Miguel Angel Cuaspud exprime le mécontentement de bon nombre de ses compatriotes lorsqu'il déclare: « Le gouvernement m'a accordé un droit d'utilisation de l'eau il y a plus de trois ans, mais c'est de l'eau qui n'existe pas. »

Des associations d'utilisateurs de ressources hydriques gèrent les systèmes d'irrigation et un arbitre de griefs embauché par l'État traite les demandes officielles de prélèvement d'eau. Mais sans données fiables sur lesquelles fonder ses jugements, il lui est impossible de donner satisfaction aux utilisateurs. Et lorsque leur sentiment d'injustice s'accroît, les vols d'eau augmentent. Cette situation a entraîné des conflits de plus en plus nombreux, parfois violents.

Une innovation dans la mise en commun de l'information

Afin de mieux comprendre le système et les problèmes qui y sont rattachés, les chercheurs de ce projet, appelé Manrecur (abréviation de gestion des ressources, en espagnol) avaient besoin d'une évaluation intégrée du bassin hydrographique dans son ensemble — de l'hydrologie comme des ressources — qui puisse être analysée à l'aide du système d'information géographique (SIG). Il en est résulté une importante innovation dans la mise en commun de l'information, soit la création du Consortium de Carchi. Ce consortium a été formé par les chercheurs qui voulaient diffuser les résultats de recherche et engager une collaboration avec les autorités gouvernementales responsables du bassin hydrographique d'El Angel et d'autres organismes qui s'y intéressent de près.

Les réunions informelles tenues par le Consortium ont rapidement attiré l'attention des collectivités locales. Des associations d'utilisateurs des ressources hydriques y ont pris part. Des groupes d'agriculteurs, des administrateurs de comtés et des représentants de ministères centraux se sont rassemblés afin de clarifier l'état des ressources du bassin hydrographique, en se fondant sur la base de données préparée par l'équipe de recherche. Le Consortium se réunit maintenant régulièrement depuis dix ans, et des agriculteurs, des représentants du gouvernement, des étudiants et des chercheurs, notamment, assistent à ces réunions, selon les sujets abordés. Le Consortium se veut une tribune libre, sans hiérarchie.

Des conseillers techniques font les recherches et répondent aux questions soulevées.

Les chercheurs ont aussi mis au point un indicateur de débit, simple à construire et pouvant être utilisé par les collectivités locales. En assurant régulièrement le suivi participatif des principaux postes du réseau d'irrigation, ils ont pu se faire une idée beaucoup plus juste des débits et des utilisations réelles de l'eau. L'arbitre des griefs a rapidement fait usage des données probantes colligées par l'équipe de recherche. Les demandes de prélèvement supplémentaire d'eau ont été rejetées en raison de l'insuffisance du volume d'eau disponible. Enfin, les habitants du bassin hydro-graphique ont bien été obligés de se rendre compte que leurs moyens de subsistance étaient indéfectiblement liés aux eaux qui s'écoulent dans ces minces canaux.

Dans un cas, les nouvelles données ont révélé qu'une municipalité en amont soutirait plus d'eau que ne lui en accordait une concession officielle. La population avait augmenté et, avec elle, les besoins en eau. En collaboration avec la collectivité en aval qui subissait les contrecoups de ces prélèvements d'eau, les deux municipalités ont trouvé une solution: elles ont toutes deux investi dans la remise en état d'un vieux réservoir. Cette action concertée, et la prise de conscience par la commune fautive des répercussions de ses gestes, ont permis dès lors de surveiller plus attentivement l'utilisation de l'eau.

Une participation nécessaire

La qualité de l'eau était aussi un enjeu d'importance dans le bassin de la rivière El Angel. La majorité des collectivités puisent directement dans les canaux l'eau qu'il leur faut pour les besoins ménagers et l'abreuvement du bétail, même si elle a été contaminée par des eaux noires, des déchets d'origine animale et des produits agrochimiques provenant des collectivités en amont. Les systèmes de prélèvement de l'eau, la production agricole, l'utilisation de produits chimiques et la gestion du bétail sont tous des facteurs intrinsèquement liés à la manière dont se fait la collecte d'eau potable et l'élimination des déchets, qu'il s'agisse des terres humides du sommet ou de celles au fond de la vallée. Les collectivités en amont sont en grande partie responsables du sort de celles qui vivent en aval. Le problème des ressources hydriques touche particulièrement les femmes, puisque ce sont elles qui doivent subvenir aux besoins en eau des ménages.

La nécessité d'obtenir la participation des utilisateurs et l'engagement du gouvernement local dans de nouvelles institutions de gouvernance à intervenants multiples s'ajoutait à un changement de direction de la recherche, désormais confiée à une nouvelle ONG, le Grupo Randi Randi. Fondé dans le cadre du projet Manrecur sous la conduite des chercheurs ayant pris part aux travaux dans le bassin d'El Angel et à ceux du Consortium de Carchi, ce groupe fait valoir l'importance des démarches participatives pour assurer la gouvernance des ressources du bassin hydrographique. Il a réussi à gagner l'appui voulu afin d'établir une station de recherche permanente dans les terres humides. Le groupe Randi Randi vise ainsi à mieux comprendre l'écologie et l'hydrologie de ce milieu humide qui représente un lien vital avec le système du bassin hydrographique.

En incitant la population locale à participer à la collecte de données sur le débit d'eau et la qualité de l'eau, et en se fondant sur le savoir de la collectivité, le projet Manrecur a démontré aux organismes communautaires l'importance d'utiliser des données probantes dans la prise de décisions. Les chercheurs ont eu recours à de nouvelles techniques de mise en commun de l'information et de collaboration pour remettre en question des idées reçues qui faisaient obstacle à toute action collective. Ils ont montré comment utiliser ce savoir afin de trouver des solutions créatives aux conflits sur l'eau et de mieux gérer les ressources en conjuguant la recherche sur l'hydrologie et la dynamique de l'écosystème aux sciences sociales pratiques.

Fait sans doute plus important, les chercheurs ont mis en lumière l'interdépendance des éléments de l'écosystème. Les populations locales ont commencé à se considérer non plus comme les résidants d'une collectivité donnée, mais comme les habitants d'un bassin hydrographique. Désormais, elles se sentent de plus en plus responsables de la prospérité du bassin et elles reconnaissent que son avenir est lié à la santé des terres humides et à la cogestion des terres et des ressources.

LE BHOUTAN – la gestion du bassin hydrographique et la réforme politique

En ayant recours à des méthodes participatives, des chercheurs aident à améliorer la productivité locale en adoptant une démarche intégrée pour la recherche sur les cultures, les animaux d'élevage, les forêts et les ressources en eau.

Principales caractéristiques de la recherche

Méthodologie: gestion de conflits, jeux de rôles, grn participative intégrée

Moyen de subsistance: riziculture

Droits: accès à l'eau

Gouvernance: nouvelles institutions de gestion du bassin hydrographique, nouvelles relations avec le gouvernement local

Partenariats et réseaux: établissement de liens avec d'autres centres de recherches et les autorités gouvernementales, partage du financement du projet avec la Direction du développement et de la coopération de la Suisse

Politiques: politique de gestion des ressources hydriques, politique nationale sur la gestion communautaire des ressources naturelles

Premier arrivé, premier servi

Le royaume du Bhoutan est un pays enclavé, au relief tourmenté où des vallées profondes côtoient de majestueuses montagnes. Les agriculteurs qui vivent au fond de ces vallées, tout comment ceux du bassin hydrographique de la rivière El Angel en Équateur, ont souvent souffert d'une pénurie d'eau. Mais, eux, ils ne pouvaient rien faire — légalement. Si les villageois en amont utilisaient toute l'eau pour irriguer leurs cultures, tant pis pour les paysans qui avaient la malchance d'habiter en aval. « Premier arrivé, premier servi », voilà quelle était la manière traditionnelle d'accorder les droits d'utilisation de l'eau, et même les agriculteurs lésés qui portaient leur cause devant les tribunaux constataient habituellement que les juges hésitaient à briser les traditions.

Telle était la situation au bassin hydrographique de Lingmutey Chu (voir la figure 7), une vallée agricole comme tant d'autres, près du Centre de recherches sur les ressources naturelles renouvelables (CRRNR) à Bajo. Sept petits villages ornaient les flancs de la vallée, le plus haut étant perché à 2 170 mètres d'altitude, soit presque à 900 mètres au-dessus de son voisin le plus bas. La pauvreté et la piètre productivité agricole étaient généralisées, et les scientifiques du centre de recherches travaillaient déjà avec les agriculteurs de Lingmutey Chu depuis quelques années pour tenter d'améliorer leurs moyens de subsistance et la gestion des ressources.

Au début, le CRRNR avait axé la recherche-maison classique sur la production de denrées agricoles. Les chercheurs ont ainsi réussi à mettre au point des variétés de riz améliorées et des techniques de gestion perfectionnées. Ils ont toutefois reconnu que les obstacles à la production agricole ont des causes complexes liées à d'autres

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Figure 7. Le bassin hydrographique de Lingmutey Chu au Bhoutan

systèmes de ressources de même qu'à des facteurs socioéconomiques. Aussi, avec l'appui du CRDI et de la Direction du développement et de la coopération (DDC) de la Suisse, les chercheurs ont-ils adopté une nouvelle approche qui suppose des travaux de recherche en milieu réel axés sur les systèmes d'exploitation agricole et la gestion des ressources dans cet écosystème de montagne des plus complexes.

À Lingmutey Chu, l'équipe de recherche, formée de spécialistes de divers domaines des sciences naturelles, a élaboré une démarche intégrée et multisectorielle reliant les cultures, les animaux d'élevage, les forêts et l'eau afin d'améliorer la productivité. Les chercheurs avaient pour objectif premier de resserrer les liens entre les agriculteurs, le milieu de la recherche et les vulgarisateurs agricoles en vue d'étendre la portée des innovations issues de la recherche. Ils ont fait part des résultats obtenus à la collectivité locale, voulant affermir leur récente compréhension de l'interdépendance de la précarité des ressources et des conflits.

Ces méthodes de recherche participative étaient aussi nouvelles pour les chercheurs que pour les villageois, mais l'enthousiasme de ces derniers n'a pas tardé à se manifester. Ce commentaire d'Ap Wangda, agriculteur de 68 ans, en témoigne: « Jamais de ma vie je n'avais été consulté. On m'a toujours dit quoi faire, explique-t-il. C'est la première fois que quelqu'un me demande mon avis sur les besoins des agriculteurs. »

Ce sont les membres de la collectivité qui ont proposé la plupart des interventions fructueuses.

Se fondant sur leurs consultations des habitants de la vallée, les chercheurs ont entrepris une étude spéciale de sujets particuliers. Leurs interventions techniques dans les systèmes de production ont découlé soit d'essais faits par les chercheurs dans les centres de recherches, soit de l'expérience des agriculteurs locaux. Mais ce sont les membres de la collectivité qui ont proposé la plupart des interventions fructueuses.

Cependant, la question la plus litigieuse en ce qui a trait au bassin hydrographique portait sur l'eau d'irrigation. L'essor de la riziculture dans les basses terres du bassin a accru la demande d'eau d'irrigation durant la période de transplantation, juste avant les pluies de juin alors que les débits sont les plus faibles. Les pénuries d'eau étaient fréquentes. (Au Bhoutan, le climat est déterminé par la mousson, et les pluies abondantes durent du mois de juin au mois d'août.)

Si l'adoption d'une nouvelle méthode de culture du riz fondée sur l'utilisation de variétés tardives ou de techniques d'irrigation à faible débit était un changement faisable, aucune de ces deux solutions n'était pratique. En outre, des études hydrologiques approfondies de la rivière Lingmutey Chu ont révélé que le débit d'eau suffisait à la transplantation, mais que l'eau ne parvenait pas là où on en avait besoin, quand on en avait besoin. Les chercheurs se sont rendu compte que le principal problème tenait au régime traditionnel de droits relatifs à l'eau qui accordait des droits exclusifs d'utilisation de l'eau aux collectivités en amont.

La moitié de l'eau était gaspillée

N'étant pas incités à utiliser l'eau judicieusement, les villages en amont se prévalaient de leur droit d'être les « premiers arrivés, premiers servis » et ils puisaient plus d'eau qu'ils n'en avaient besoin. Surtout que les canaux d'alimentation étant inefficaces, plus de la moitié de l'eau était ainsi gaspillée. Un problème épineux, parce que les collectivités des hautes terres restaient sur leur position, mais la situation était franchement injuste. Comment passer outre à la tradition ?

En premier lieu, les chercheurs ont eu recours à leurs études hydrologiques afin de convaincre les utilisateurs qu'il y avait suffisamment d'eau pour tous. Puis, ils ont proposé des jeux de rôles visant à consolider les communications et à susciter l'empathie parmi les divers groupes d'utilisateurs d'eau. Finalement, les chercheurs ont pu aider les utilisateurs à négocier une entente en vue de l'adoption de mesures plus équitables de partage de l'eau. Il leur a fallu auparavant élaborer des mécanismes permanents de résolution des différends sur la répartition de l'eau et organiser une consultation dans l'ensemble du bassin hydrographique.

L'exemple de Lingmutey Chu n'est pas unique, loin de là; de fait, il illustre un problème qu'ont connu toutes les régions du Bhoutan où les dissensions au sujet de l'eau étaient monnaie courante. Le gouvernement a mis à profit les enseignements retenus de Lingmutey Chu et a fait sien le principe de l'accès équitable aux ressources hydriques. Ce changement d'orientation, qui s'est produit alors que les négociations relatives à la dispute locale avaient toujours cours, a aidé à persuader les parties prenantes locales de la nécessité d'accepter le changement. La nouvelle politique prévoit la mise en place de mécanismes qui permettent aux utilisateurs en aval de dédommager les utilisateurs en amont qui, eux, peuvent améliorer leur gestion de l'eau et en déverser davantage.

Les chercheurs ont compris l'importance des politiques dans la résolution des questions de gestion intégrée des ressources. La nouvelle politique nationale indique aux autorités locales et aux villageois comment s'y prendre pour aborder ces enjeux. Le forum consultatif sur le bassin hydrographique tenu à Lingmutey Chu a créé un précédent favorisant la mise en oeuvre de cette nouvelle politique.

Surmonter les difficultés

L'approche de l'action collective a été adoptée également dans le cas de la foresterie communautaire à Lingmutey Chu, mais avec un succès mitigé. La formation, dans plusieurs villages, de groupes d'utilisateurs de la forêt communautaire et de comités de gestion de ces derniers a donné lieu à l'établissement de plantations de forêts complexes, gérées par la collectivité. Toutefois, l'objectif d'offrir l'égalité d'accès à tous a été difficile à atteindre. Il n'a pas toujours été possible pour certains des villageois les plus pauvres, en particulier les femmes chefs de ménage, de faire leur part du travail requis pour entretenir les plantations, ce qui a causé des conflits avec d'autres membres du groupe. Les agriculteurs mieux nantis et les grands propriétaires fonciers ont commencé à exercer une mainmise sur la prise de décisions et certaines femmes se sont retirées des comités de gestion.

Cela démontre clairement à quel point il est difficile de mettre en place des mécanismes équitables de gestion des ressources dans un contexte sociopolitique où les inégalités sont profondément ancrées. Mais bien des données probantes révèlent que les nouvelles institutions de gestion collective des ressources naturelles à Lingmutey Chu ont modifié les attitudes des collectivités locales. Ainsi, plusieurs programmes de développement communautaire, comme la construction d'infrastructures communes ou des mécanismes de crédit collectif, ont vu le jour indépendamment du projet de recherche. Désormais, les collectivités font preuve d'initiative et agissent de manière à ce que le gouvernement local prenne des décisions en tenant compte de leur point de vue. C'est là un changement radical par rapport aux modes de communication antérieurs qui reposaient sur le principe hiérarchique.

Tandis qu'au CRRNR, la recherche-maison traditionnelle sur les cultures se poursuit, les gestionnaires de projet ont tiré des leçons de l'expérience et adopté une approche plus participative afin que leurs travaux tiennent compte des besoins des agriculteurs locaux. D'autres changements également sont survenus. Des spécialistes des sciences sociales se sont joints au projet, renforçant ainsi les capacités de l'équipe en recherche participative. Qui plus est, les intervenants se sont fermement engagés à étendre considérablement la recherche sur la gestion communautaire des ressources naturelles afin de contribuer à la subsistance rurale partout au Bhoutan.

Les expériences menées à Lingmutey Chu ont été largement diffusées et ont eu une influence marquée tant sur la politique de l'État que sur le système de recherches national. Dans un grand nombre de domaines — des produits forestiers non ligneux à la gestion du bétail, en passant par l'irrigation — la recherche-action participative sert à explorer des moyens tangibles de mettre en oeuvre une politique nationale engageant le gouvernement à décentraliser la gestion des ressources naturelles communautaires. Comme dans le cas de la gestion de l'eau, le gouvernement national a reconnu que, pour remplir ses obligations en matière de GRN, il devait parfois accorder plus d'autorité et de responsabilités aux collectivités locales.

LA CHINE — la réduction de la pauvreté rurale passe par la recherche participative dans la province du Guizhou

Les chercheurs ont délaissé l'approche traditionnelle, hiérarchique et extrêmement bureaucratique de la prestation des services ruraux. Ils se sont plutôt fiés au savoir des paysans pauvres des collectivités locales et les ont incités à opter pour de nouvelles cultures. Ils ont aussi proposé des mécanismes institutionnels de mise en marché de produits agricoles et de gestion de ressources telles que l'eau.

Principales caractéristiques de la recherche

Méthodologie: planification, suivi et évaluation participatifs

Moyens de subsistance: augmentation de la production céréalière, nouvelles cultures marchandes plus rentables, amélioration de l'approvisionnement en eau

Gouvernance: nouvelles institutions de gestion des ressources, nouvelles relations avec le gouvernement local

Partenariats et réseaux: des initiatives de villages attirent l'attention d'autres collectivités et servent de cadre aux investissements d'ONG

Politique: développement rural axé sur les gens

Affronter la bureaucratie

Bien que la Chine fasse figure de géant par comparaison avec le Bhoutan, son minuscule voisin méridional, les villageois des deux côtés de la frontière font face à des problèmes semblables. Prenons la province du Guizhou dans le sud-ouest de la Chine (voir la figure 8). C'est une des régions les plus pauvres du pays.

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Figure 8. Guizhou en Chine

Ses terrains montagneux sont habités principalement par des minorités ethniques. Les populations locales gèrent des systèmes de production complexes qui englobent des rizières irriguées et du riz pluvial, des forêts, des terres de parcours et des terrains inutilisables.

Mais toute autre similitude entre Lingmutey Chu et Guizhou ne serait que superficielle. Les problèmes qui sévissent dans cette région de la Chine sont beaucoup plus graves. Pendant le « Grand Bond en avant » du gouvernement central dans les années 1950, des versants ont été dénudés en raison de plans de développement industriel peu judicieux. Il a été extrêmement difficile par la suite de rétablir les forêts, d'améliorer le rendement des cultures et de diversifier les systèmes de production sur les sols minces recouvrant les rochers calcaires poreux.

Aujourd'hui, l'économie rurale de la Chine a été grandement transformée. Les terres cultivées ont été transférées aux agriculteurs en vertu du système de la « responsabilité des ménages », des marchés se sont ouverts et les agriculteurs peuvent opter pour les produits et les techniques de leur choix. Toutefois, les terres de parcours, les forêts et les ressources hydriques en milieu rural demeurent la propriété de l'État. Les collectivités locales ont le droit constitutionnel de gérer ces ressources communes, mais on n'a guère accordé d'attention aux arrangements institutionnels qui pourraient favoriser la gestion collective.

Les programmes et les services gouvernementaux sont décidés en haut lieu et font fi des connaissances et des pratiques habituelles des populations locales. Le résultat était à prévoir. « Il y a très longtemps que nous n'avons pas tenu de réunion communautaire, déclare un villageois désenchanté. Habituellement, le gouvernement prend les décisions à notre place. »

Cependant, certains chercheurs de l'Académie des sciences agricoles du Guizhou étaient déterminés à faire l'essai de nouvelles stratégies de recherche intégrées. Avec l'appui du CRDI, ils ont choisi un certain nombre de villages dans le canton de Kaizuo — région défavorisée où le gouvernement local avait renoncé à trouver des débouchés pour améliorer les moyens de subsistance. Des tentatives d'accroissement de la production agricole, centrées sur la sélection végétale et la croissance, y avaient échoué parce qu'elles ne répondaient pas aux besoins des agriculteurs.

La nouvelle équipe de l'Académie, qui possédait des compétences dans divers domaines, était formée de jeunes chercheurs enthousiastes, prêts à apprendre, à faire l'essai de nouvelles méthodes et à passer de longues périodes à travailler dur sur le terrain avec les villageois. L'approche participative, novatrice, adoptée par les chercheurs, met à profit les connaissances locales en renforçant les capacités des agriculteurs et en organisant les collectivités de manière à ce qu'elles puissent appuyer les nouvelles institutions de gestion des ressources.

Confiance en soi et indépendance

Les chercheurs ont encouragé les villageois à tenir des discussions ouvertes sur les problèmes et les stratégies de gestion susceptibles de les résoudre. Ils ont incité des groupes d'utilisateurs à collaborer avec les chefs des villages afin de mettre en application des règlements. Ils ont aussi utilisé les outils de diagnostic participatifs pour évaluer les problèmes en matière de gestion des ressources et travaillé de près avec les agriculteurs locaux en vue de faire l'essai de diverses possibilités technologiques.

Ainsi, de nouveaux produits ont été proposés — champignons et fruits exotiques, par exemple — que les femmes des collectivités locales pourraient cultiver et vendre dans les marchés voisins. Mais, pour que les villageoises puissent prendre part à la commercialisation, elles avaient besoin d'aide afin de renforcer leur capacité de lire, d'écrire et de compter. La majorité d'entre elles n'étaient pratiquement jamais sorties de leur village, avaient rarement visité les marchés des villes et avaient peu d'expérience du commerce. Travailler ensemble à l'organisation de la commercialisation de leurs produits a rehaussé la confiance en soi de ces femmes. Elles ont aussi consolidé leurs compétences en organisation sociale, développé leur aptitude à assurer leur subsistance et grandement augmenté leur revenu et leur indépendance.

Une autre étape importante a été franchie lorsque le village s'est prononcé en faveur de l'investissement collectif dans la mise en place et la gestion d'infrastructures locales. Cette prise en charge, qui normalement incomberait au gouvernement local, a permis d'améliorer l'approvisionnement en eau, l'irrigation et la construction routière. Par exemple, lorsque les ingénieurs de l'État ont rejeté une demande présentée par un village en vue d'améliorer l'adduction d'eau, les villageois eux-mêmes ont entrepris d'explorer les sources d'eau avoisinantes. Avec l'aide de l'équipe de recherche, ils ont installé leur propre système d'alimentation en eau pour lequel ils ont fourni la main-d'oeuvre et les matériaux de construction. Mais surtout, ils ont aussi mis en place un mécanisme de comptage de l'utilisation domestique de l'eau en

« Maintenant que nous avons commencé à nous organiser pour gérer nos ressources, nous en percevons de plus en plus les avantages. »

vue d'en recouvrer les frais. Les revenus ainsi générés ont été affectés à l'entretien du système et tous les documents financiers ont été rendus publics afin de démontrer que les villageois savaient faire preuve de transparence et qu'on pouvait leur faire confiance.

En quelques années à peine, ces changements ont été rentables pour les villageois. Les revenus ont augmenté et la qualité des ressources s'est manifestement améliorée. Le projet a attiré l'attention des villages voisins, qui ont demandé à bénéficier du même appui. La détermination des organismes communautaires a incité des ONG chinoises et internationales à travailler dans la région.

Les chercheurs ont recommandé aux villageois d'assurer euxmêmes le suivi de la mise en oeuvre des projets afin de pouvoir faire des modifications le plus tôt possible, au besoin. Un des effets inattendus de la gestion communautaire des ressources naturelles (GCRN) dans ces collectivités a été le changement des attentes et des comportements des villageois relativement à la gouvernance locale. Ils savent désormais exprimer plus clairement leurs besoins, faire preuve d'initiative et utiliser des données probantes pour étayer leurs arguments lorsqu'ils réclament l'attention du gouvernement local. « Maintenant que nous avons commencé à nous organiser pour gérer nos ressources, nous en percevons de plus en plus les avantages »: voilà un commentaire que les chercheurs ont entendu maintes fois.

Les chercheurs ont invité fréquemment des représentants de divers organismes gouvernementaux à prendre part à des réunions et les ont tenus au courant des innovations locales. Les fonctionnaires les ont assurés de leur appui, mais, en règle générale, ils étaient trop occupés pour participer concrètement à ces activités qu'ils estimaient ne pas être de leur ressort. « J'aimerais bien participer, a déclaré un fonctionnaire, l'air tracassé. Mais il y a tellement d'autres tâches que je dois terminer; sinon, je ferai chou blanc à l'évaluation annuelle. »

La diffusion des connaissances

En 2001, après plusieurs années de recherche-action dans six villages, les chercheurs de l'Académie ont acquis des connaissances considérables sur les moyens de réduire la pauvreté par la GCRN. Ils ont décidé d'accorder plus d'attention à la diffusion de ces connaissances par l'entremise du système vaste et complexe de l'administration gouvernementale.

Les travaux des chercheurs ont été passablement fructueux dans les cantons où les fonctionnaires se sont montrés de plus en plus intéressés par les nouvelles méthodes adoptées. Pour citer un des chefs de canton: « Après l'adoption de l'approche GCRN, plusieurs activités de gestion ont été menées à bien par les villageois. Le gouvernement a été déchargé de certaines tâches. Dorénavant, les villageois prennent leur situation en mains. »

« Si nous donnons tout le pouvoir de décision aux villageois, que nous restera-t-il ? Nous perdrons nos emplois ! »

Toutefois, il a été difficile pour les chercheurs de convaincre des fonctionnaires aux échelons les plus élevés de la bureaucratie. En dépit de leurs succès et de leur expérience, de la compatibilité de leur démarche avec la politique nationale et des engagements annoncés par les hauts fonctionnaires, les représentants des comtés ont préféré ne pas donner suite aux nouvelles pratiques. Leur mode de gestion allait à l'encontre d'une participation significative de la population locale. Qu'on en juge par ce commentaire d'un fonctionnaire: « Si nous donnons tout le pouvoir de décision aux villageois, que nous restera-t-il ? Nous perdrons nos emplois ! »

En revanche, le transfert horizontal des enseignements en matière de gestion locale participative a été un succès. L'apprentissage entre agriculteurs et entre villages a stimulé l'innovation et les initiatives locales. À mesure qu'ils se familiarisaient avec des approches qui donnaient plus d'autorité et de responsabilité aux populations locales, les fonctionnaires du canton se montraient plus enthousiastes. En 2004, malgré la réticence des autorités du canton, 29 des 37 communes du canton de Kaizuo avaient fait l'expérience de la gestion locale collective et 30 ententes officielles de gestion avaient été approuvées. Plus de 600 hectares de forêts avaient été plantés et le suivi de la croissance forestière était assuré par un comité de gestion local. Grâce à l'utilisation de diverses variétés hybrides à haut rendement, la production de riz et de maïs a augmenté considérablement. Plus de 65 hectares de terres ont été consacrés à de nouvelles cultures fruitières rentables. Quatre villages ont établi leurs propres banques de bétail, évitant ainsi un crédit coûteux. Neuf nouveaux systèmes d'approvisionnement en eau potable ont été salutaires à 550 ménages pauvres.

La cogestion des ressources naturelles exige la décentralisation et la modification des démarches des hauts fonctionnaires du gouvernement national. Les stratégies de recherche participative ont attiré l'attention sur des innovations concrètes qui permettent la mise en oeuvre de services de vulgarisation et la cogestion des forêts, de l'eau et des systèmes d'irrigation. Elles ont aussi mis en lumière l'importance de la réforme de la gouvernance locale. Toutefois, en Chine, il est plus facile d'instaurer ces mécanismes à l'échelle locale, où les employés de l'État sont près des gens les plus touchés par leurs interventions et devant lesquels ils se montrent plus responsables.

LE LIBAN — les conflits sur les ressources et la modification des moyens de subsistance à Arsaal

Une combinaison de modes de communication — négociations directes traditionnelles, concertation, vidéos, illustrations, brochures — a permis à des bergers et à des arboriculteurs fruitiers de résoudre de vieilles disputes sur l'utilisation des terres.

Principales caractéristiques de la recherche

Méthodologie: équipe multidisciplinaire, recherche participative, SIG participatif, utilisation de vidéos pour la gestion de conflits

Moyens de subsistance: amélioration de l'élevage du bétail, gestion des vergers, culture intercalaire de légumineuses fourragères, activités lucratives pour les femmes

Droits: documentation sur le droit de gestion des ressources communes

Gouvernance: nouveaux organismes et processus de gestion de conflits, nouvelles relations entre les utilisateurs de ressources et le gouvernement local

Partenariats et réseaux: un réseau d'utilisateurs locaux sert d'assise à une organisation communautaire et de cadre d'investissement aux autres bailleurs de fonds et ONG

Combler un vide

Le vaste bassin versant d'Arsaal1, se trouve dans une région rurale éloignée au nord-est du Liban (voir la figure 9). Bien qu'elle ne soit qu'à quelques heures de Beyrouth, la population dispersée sur ce terrain montagneux est isolée du reste du pays tant sur le plan politique que religieux. Contrairement à leurs homologues chinois de la province du Guizhou qui devaient affronter une écrasante bureaucratie, les habitants d'Arsaal ont vécu pratiquement sans gouvernement pendant des décennies.

Pendant des siècles, les chèvres, les moutons et les cultures céréalières à faibles intrants étaient les principales sources de revenu dans la région. Mais depuis les années 1950, certains propriétaires fonciers se sont rendu compte qu'il était de plus en plus rentable de planter des vergers de fruits à noyau, comme les cerises et les abricots, qui se cultivent en sec et se vendent facilement dans les marchés urbains. Ce virage n'est pas passé inaperçu auprès des chercheurs du Centre international de recherches agricoles dans les régions sèches (ICARDA) qui effectuaient une étude régionale, financée par le CRDI, sur les changements survenus dans l'agriculture au début des années 1990. Cette étude a attiré l'attention d'un nouveau groupe de recherches multidisciplinaires sur l'environnement de l'Université américaine de Beyrouth (AUB).

 

11 NDLT: Arsaal désigne à la fois la municipalité, un territoire de 36 000 hectares dans la vallée de la Bekaa, au nord du Liban, et le village, où habite la principale collectivité de cette municipalité.

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Figure 9. Arsaal au Liban

Grâce à l'appui du CRDI, ce groupe a entrepris d'explorer la viabilité socioéconomique et biophysique des changements survenus dans la région d'Arsaal.

Les chercheurs ont découvert de nombreuses sources de conflits dans la région, dont bon nombre remontaient à des changements échelonnés sur plusieurs décennies. Le mode de vie pastoral était fondé sur les relations de clans entre les gardiens de grands et de petits troupeaux et sur les consensus à propos de l'utilisation de pâturages communs. C'était un système complexe qui supposait une attitude conciliante pour l'utilisation des terres à diverses altitudes, selon les saisons et la pluviosité.

Toutefois, ces pratiques ont été peu à peu délaissées en raison des pressions accrues exercées sur les parcours et de l'empiètement graduel sur les terres. Les vergers offraient de meilleurs rendements et exigeaient moins de travail. Mais, en conséquence, la pénurie de fourrage a atteint des proportions alarmantes, surtout pendant les années de sécheresse. Les vergers ont aussi contribué à la dégradation des sols parce qu'ils ont été cultivés sur des pentes fragiles auparavant consacrées au pâturage. Ces changements ont entraîné des conflits qui ont été un facteur déterminant de la dissolution du conseil municipal d'Arsaal au milieu des années 1960. Le Liban traversant une période de troubles politiques et militaires qui iraient en s'aggravant au cours des décennies suivantes, Arsaal allait devoir attendre 33 ans avant de connaître des élections officielles et le rôle du gouvernement local allait disparaître.

Profitant du vide du pouvoir créé par l'effondrement du gouvernement local, certains entrepreneurs locaux et extérieurs se sont emparés des terres publiques afin d'y exploiter des carrières de pierres destinées à la construction de nouveaux édifices après la guerre au Liban. Certaines carrières ont empiété sur les zones écologiques les plus productives du bassin versant. Cette activité et les lourds camions qui charriaient le matériel et les pierres soulevaient une épaisse poussière qui se déposait sur les feuilles et les fruits, réduisant la productivité des pâturages et des vergers.

« Souvent, ces événements ont coïncidé avec des périodes marquées par l'absence d'autorités locales. Pour dire les choses simplement, il n'y avait personne pour réglementer. »

Ces changements rapides dans le système social et les modes de subsistance, conjugués aux animosités qui ont toujours existé entre différents clans, aux différences de classes, de générations, d'origine ethnique et de religion, n'ont fait qu'enraciner les conflits et qu'appauvrir les gens les plus dépourvus de pouvoir. « Le système pastoral qui caractérisait la région était tout simplement chaotique, affirme Shadi Hamadeh, chercheur principal de l'équipe de l'AUB. Souvent, ces événements ont coïncidé avec des périodes marquées par l'absence d'autorités locales. Pour dire les choses simplement, il n'y avait personne pour réglementer. »

Inspirés par la tradition

En l'absence de structures de gouvernance efficaces à Arsaal qui puissent assurer une meilleure gestion des ressources, les chercheurs ont voulu trouver des moyens d'améliorer la durabilité des pratiques culturales et de réduire les conflits sur l'utilisation des terres. Ils se sont inspirés des pratiques tribales de gestion des pâturages qui reposent sur la consultation, les négociations directes et l'établissement de consensus au sein des majlis, ou conseils communautaires traditionnels.

Les chercheurs ont travaillé en collaboration avec les dirigeants des collectivités locales et l'Association pour le développement rural d'Arsaal (ARDA), une ONG locale, à la mise en place d'un réseau d'utilisateurs locaux (RUL) dont l'idée a été suggérée par le majlis. Le réseau a été conçu selon une structure souple permettant de réunir les membres de divers groupes intéressés à participer à des discussions face à face sur les problèmes relatifs à la gestion des ressources. Au nombre des intervenants figuraient des bergers et des arboriculteurs fruitiers, des hommes et des femmes de la collectivité, des responsables des politiques traditionnels et de nouveaux détenteurs du pouvoir local. Des chercheurs de l'extérieur et le personnel du projet de développement ont aussi pris part à ces rencontres.

Les outils d'apprentissage utilisés ont consisté en des discussions, des entrevues et des essais sur le terrain dirigés par des chercheurs et des agriculteurs. Les chercheurs ont fait valoir l'importance des communications parmi les utilisateurs des ressources, mais aussi entre les utilisateurs et les chercheurs. Des vidéos, des illustrations et des brochures sont les moyens de communication qui ont été préférés, et les jeunes de la collectivité ont pris une part active à l'élaboration de programmes de sensibilisation à l'environnement. Dans chaque champ d'activité, les chercheurs ont aidé les agriculteurs et les dirigeants locaux à préparer et à mettre à l'essai des plans d'intervention en gestion des ressources afin d'assurer un gagne-pain aux villageois et de réduire la dégradation des sols. Les résultats ont été très pertinents et largement diffusés parmi les utilisateurs locaux.

La solution vidéo

Aider les bergers et les arboriculteurs fruitiers à trouver des solutions à leurs disputes vieilles de plusieurs décennies a été l'une des grandes réussites du RUL. Les chercheurs ont utilisé des entrevues menées avec des intervenants, enregistrées sur bandes vidéo, afin de présenter les enjeux et de remettre en question les idées reçues de manières qui auraient été impossibles dans des rencontres face à face, ce qui aurait été culturellement inacceptable dans l'ambiance polie d'une assemblée publique. « En participant au processus de production de la vidéo, les gens se sont montrés beaucoup plus francs, confie Hamadeh. En amenant les gens à exprimer clairement leur opinion sur ce con-flit, nous avons eu l'assurance que le problème ne concernait pas seulement les clans. »

Le réseau d'utilisateurs locaux sert de modèle aux nouvelles organisations communautaires semblables dans de nombreux autres districts.

Après s'être assurés des véritables enjeux, les chercheurs ont fourni à toutes les parties une base de données commune constituée à partir d'un système d'information géographique (SIG) qui puisse servir de point de départ à leurs discussions. Ils ont également proposé des solutions avantageuses pour tous comme la culture intercalaire de légumineuses dans les vergers afin de produire des plantes fourragères pour alimenter le bétail tout en améliorant le sol. À mesure que les collectivités locales ont acquis confiance et expérience dans le processus, elles ont invité des groupes d'agriculteurs et des représentants d'autres zones de la région arabe. Depuis lors, le RUL sert de modèle aux nouvelles organisations communautaires semblables dans de nombreux autres districts.

Innovations institutionnelles

Autre dénouement heureux, lors de la reconstitution du gouvernement local en 1999, plusieurs des nouveaux conseillers élus avaient été du nombre des dirigeants du RUL. Néanmoins, le principal objectif du RUL demeure la recherche et l'apprentissage partagé, et non l'engagement politique. Les chercheurs ont pour-suivi l'élaboration de nouveaux outils SIG afin d'évaluer les problèmes de dégradation des sols, en se fondant sur le savoir local, et d'accorder la priorité à ces enjeux. Ils ont travaillé en collaboration avec les arboriculteurs fruitiers dans le but de mieux faire comprendre la nature et les causes de la dégradation des sols et de déterminer les secteurs où une éventuelle expansion comporterait le moins de risques de dégradation.

Bien que l'équipe de recherche n'ait pas mesuré ses efforts pour mettre en place des technologies de gestion favorables aux agriculteurs locaux, les innovations les plus importantes découlant du projet d'Arsaal sont sans contredit celles qui touchent les institutions. Ainsi, le RUL a créé une tribune où discuter des problèmes et avancer de nouvelles idées afin d'améliorer les moyens de subsistance, comme la création de la coopérative des bergers (la première au Liban) et d'une coopérative de femmes. Cette dernière centre ses activités sur la transformation des fruits et le tissage de tapis afin d'ajouter de la valeur aux produits agricoles locaux.

Le projet a également servi de modèle à de nouveaux processus et méthodes de recherche et a donné lieu à la création d'un nouveau groupe de recherche sur l'environnement et le développement durable à l'AUB. Ce groupe effectue des recherches multidisciplinaires et participatives sur les terres sèches, lance plusieurs grands projets de développement communautaire et joue le rôle de chef de file régional des réseaux de développement participatif et communautaire.

À l'échelle nationale, la municipalité d'Arsaal est toujours considérée comme un territoire éloigné et marginal par les organismes gouvernementaux hautement politisés qui n'y accordent que peu d'intérêt. Pourtant, le nouveau gouvernement local, en collaboration avec les groupes d'utilisateurs des ressources, a réussi à peser sur les politiques. Par exemple, il a su contrecarrer le projet du gouvernement central d'appuyer l'essor de l'exploitation des carrières dans la région. Ensemble, le conseil local et les nouveaux réseaux et groupes d'utilisateurs des ressources ont posé les assises institutionnelles de l'apprentissage partagé et de la durabilité des ressources en ayant recours à des outils mis au point dans le cadre du projet de recherche.

Ce blanc intentionnellement laissé de page

Chapitre 4.
Résultats, leçons, défis

Ces six études de cas ne représentent qu'un petit échantillon d'un imposant dossier de recherches parrainées par le CRDI, traitant de la confluence de la pauvreté rurale et de la dégradation de l'environnement. Certes, la gestion des ressources a fait l'objet de bien des recherches théoriques et analytiques menées par de nombreux organismes. Mais les projets du CRDI sont particulièrement remarquables en ce qu'ils accordent une grande importance à l'aspect pratique. La mesure de leur succès n'est pas celle à laquelle les scientifiques ont été habitués. Ce sont plutôt les leçons tirées des projets et mises en pratique par les femmes et les hommes des collectivités locales qui ont été les critères de réussite. Malgré les différences sur le plan de la culture, de la politique et de l'écologie propres à chaque cas, les résultats de ces études sont semblables et ils offrent des enseignements constants aux praticiens du développement qui s'attaquent aux questions de la pauvreté et de l'environnement.

Les résultats de recherche

Les équipes de projet ont reconnu qu'il n'existe pas de solutions toutes faites aux problèmes complexes de la gestion des ressources et de la productivité dans les régions marginales. Elles ont dû remettre leurs hypothèses en question et adopter comme point de départ la situation particulière de leurs partenaires locaux. D'entrée de jeu, les chercheurs ont eu à se poser deux questions principales: Qui sont les utilisateurs de ces ressources ? De quel type de droits d'accès jouissent-ils ?

Il leur a fallu aussi obtenir la confiance et l'engagement des populations locales et ce, en les aidant à assurer leur subsistance et à accroître la productivité de leurs ressources. En outre, ils ont dû démontrer à leurs partenaires locaux que leur accès aux ressources serait à long terme et que les avantages découlant de l'amélioration de la gestion des ressources ne seraient pas éphémères.

Afin de garantir les avantages et la qualité du capital-ressources, il fallait mettre en place de nouvelles institutions de gestion et de gouvernance des ressources locales. Plus d'une fois, les leçons dégagées des projets ont indiqué la nécessité d'une réforme des politiques sur la propriété ou la gouvernance des ressources. Au centre de ces innovations, on retrouve systématiquement les connaissances, l'apprentissage et le rôle de chef de file que jouent les femmes et les hommes des collectivités locales.

Tous les projets avaient pour objet d'assurer la sécurité à long terme de la subsistance des paysans pauvres en visant trois types de résultats:

Image un accès plus sûr aux ressources dont les pauvres dépendent en règle générale;

Image de nouvelles institutions de gouvernance des ressources qui donnent aux utilisateurs locaux défavorisés la possibilité d'avoir voix au chapitre;

Image de nouvelles technologies en vue de stimuler la productivité des ressources.

Ainsi, dans la province du Guizhou, en Chine, la recherche a aidé à résoudre de sempiternels problèmes d'approvisionnement en eau pour les besoins domestiques et l'irrigation. Les moyens de subsistance des collectivités locales en ont été immédiatement améliorés. Une innovation de premier plan — un nouveau mécanisme institutionnel — a permis aux agriculteurs locaux de financer et d'installer un système d'alimentation en eau qui leur a fait gagner un temps précieux. Un approvisionnement régulier étant assuré, ils ont pu commencer à pratiquer la culture fruitière sur des terres improductives.

Lu Quan, agriculteur du village de Dongkou, résume ainsi l'heureuse issue du projet: « La gestion de ce nouveau système d'approvisionnement au robinet permet aux femmes de moins travailler. Dans l'ensemble, nous avons épargné chaque année 540 heures de travail pendant la saison sèche. [...] Nous avons investi temps et argent dans les vergers. C'est maintenant le moment d'en apprendre davantage sur la culture fruitière, la gestion des vergers et la mise en marché des fruits. Nous voulons produire des récoltes plus abondantes et gagner plus d'argent. »

Dans le bassin hydrographique d'El Angel en Équateur, la recherche a révélé l'inefficacité des mécanismes institutionnels de planification de l'approvisionnement en eau et de sa répartition. Mais elle a aussi mis en lumière l'importance pour tous les utilisateurs de protéger les sources d'eau communes et d'améliorer la qualité de l'eau dans l'ensemble du bassin hydrographique. Le projet a de la sorte suscité l'intérêt pour un nouveau cadre de gestion faisant appel à des intervenants multiples. Cette innovation dans la gouvernance locale doit son succès à des technologies perfectionnées de contrôle et d'utilisation de l'eau afin d'assurer un accès équitable aux ressources hydriques.

Voilà pourquoi il existe une dépendance aussi étroite entre les résultats de recherche de ces trois domaines — sécurité d'accès, nouvelles institutions et technologie axée sur l'accroissement de la productivité. Le cas étudié au Viet Nam en donne un exemple. Les pêcheurs itinérants qui utilisent des engins de pêche dans la lagune de Tam Giang ont appris à capturer la précieuse carpe de roseau dans des enclos à poissons. Mais pour que cette nouvelle technologie soit productive, il fallait que les aquaculteurs et les propriétaires de fascines s'accordent sur l'utilisation et la surveillance de la lagune. Les droits d'utilisation des zones de production délimitées pour les enclos à poissons, des périmètres de protection de l'habitat de la zostère marine (essentielle aux alevins sauvages et source d'alimentation de la faune piscicole) et des chenaux des voies navigables devaient tous êtres répartis entre les divers utilisateurs. En outre, les arrangements devaient tenir compte des courants et des flux nutritifs de la lagune. Rien de cela n'aurait été possible sans les nouvelles données fournies par les chercheurs et les innovations institutionnelles liées à la cogestion. La planification participative, la mise en commun des données, le soutien technique et les approbations de l'État font partie de ces dernières. L'efficacité des résultats de recherche, au Viet Nam et ailleurs, ne tient pas à un seul facteur, mais bien à l'interaction d'innovations complémentaires.

L'efficacité des résultats de recherche ne tient pas à un seul facteur, mais bien à l'interaction d'innovations complémentaires.

Ce lien entre les résultats est apparent dans les autres cas également. Le résumé présenté à la page 83 montre comment la recherche-action participative adoptée par chacune des équipes sur le terrain a contribué à une importante modification du cadre institutionnel et des pratiques en matière de gestion des ressources. Ce qui frappe dans tous les cas, c'est que les actions ou les interventions subséquentes aux projets n'ont pas été entreprises par les chercheurs, mais par les utilisateurs des ressources et les gouvernements locaux. En s'engageant sérieusement dans l'apprentissage par la pratique, les agriculteurs, les pêcheurs et les

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fonctionnaires locaux ont pu changer de point de vue et mettre en place des innovations impensables jusqu'alors.

Bon nombre d'innovations avaient pour objet d'améliorer la gouvernance, c'est-à-dire tenter de gérer les conflits, faire en sorte que les décisions soient plus transparentes et que les décideurs s'acquittent mieux de leur obligation de rendre compte, accroître la représentation des groupes sociaux marginalisés et susciter des attentes accrues quant au comportement des fonctionnaires locaux. Ces changements institutionnels sont particulièrement pertinents alors que partout dans le monde on presse les gouvernements centraux de décentraliser et de démocratiser le processus décisionnel. On sait comme il difficile de mettre en oeuvre de tels changements lorsque les fonctionnaires n'ont pas d'autres modèles à suivre et sont habitués à exercer une maîtrise absolue. Les projets parrainés par le CRDI montrent comment l'État peut être appelé à jouer de nouveaux rôles constructifs, pourvu qu'il sanctionne et facilite la cogestion des ressources tout en fournissant conseils et soutien technique.

Pour bénéfiques qu'aient été les résultats sur le terrain, les projets ont permis également aux chercheurs de renforcer leurs capacités, de perfectionner leurs compétences et même de jouer un rôle plus important. Ils ont dû élaborer de nouvelles méthodes et travailler dans des domaines transversaux. Ils ont appris à apprendre des populations locales. Ils ont acquis une expertise pratique de la gestion des conflits et des communications interculturelles. Ils ont mis au point des outils d'intégration des résultats de recherche, permettant ainsi que des analyses biophysiques et spatiales complexes répondent aux demandes concrètes des utilisateurs de ressources et d'autres intervenants locaux. En outre, les chercheurs ont dû soumettre leurs travaux non seulement à l'examen critique de leurs pairs du milieu universitaire, mais aussi à celui d'inexorables agriculteurs dont la subsistance précaire laissait peu de place aux erreurs de jugement. Enfin, ils ont joué un nouveau rôle à titre d'animateurs des programmes d'adaptation et d'apprentissage locaux.

Ces projets ont permis, entre autres réalisations importantes, d'élaborer de nouvelles méthodes de recherche sur le terrain et de renforcer les capacités de recherche participative, intégrée et interdisciplinaire au sein d'organismes qui en étaient dépourvues. Dans tous les cas étudiés, l'expérience a transformé les équipes de recherche et les organismes auxquels ils étaient associés. Il en est résulté l'établissement de nouvelles normes et parfois la création de nouveaux groupes de recherche spécialisés qui, aujourd'hui, prennent part à d'autres projets.

M. Nuhad Daghir, doyen de la Faculté d'agriculture et des sciences de l'alimentation à l'Université américaine de Beyrouth, souligne l'influence qu'a eue le projet d'Arsaal sur les pratiques en matière d'apprentissage et de développement: « Cette expérience, menée dans les champs des agriculteurs, a été intégrée à nos programmes d'études. [...] Désormais, nous accordons plus d'importance à la protection et à la préservation de l'environ-nement de même qu'aux aspects culturels et sociaux de la vie agricole. Le Groupe de recherches sur l'environnement et le développement durable, récemment créé, participe activement aux projets de développement visant à améliorer la subsistance des pauvres en milieu rural. Ces projets sont devenus la norme nationale et régionale en ce qui a trait à l'amélioration des moyens de subsistance des petits agriculteurs. »

Outre la création de nouvelles connaissances, technologies et pratiques, les projets de recherche financés par le CRDI ont amené les gens à une nouvelle façon de penser aux divers types de savoirs requis pour gérer judicieusement les ressources naturelles. Ils ont transformé les institutions et les systèmes sur lesquels les collectivités et les organismes se fondent pour prendre des décisions. Ils ont jeté les bases de la cogestion.

Les leçons tirées de l'expérience

Ces expériences montrent que, même dans des circonstances très difficiles, il est possible de mener à bien des projets de gestion des ressources naturelles. Les importants investissements qui ont été consentis dans des activités de longue haleine, comme l'apprentissage par la pratique et le renforcement des capacités, ont porté fruit, mais pas seulement dans les collectivités. Les chercheurs aussi ont appris à être plus efficaces et certains d'entre eux mettent déjà leur nouvelle expérience à profit et l'appliquent dans d'autres sites de recherche plus rapidement et plus aisément. Quelles leçons en ont-ils tirées au regard de la cogestion ?

1. Placer les gens au coeur de la recherche.

Les praticiens et les chercheurs qui s'intéressent de près à la pauvreté et à la gestion des ressources devraient placer les populations pauvres au coeur de leurs travaux. Pour être durables, les solutions doivent être dictées par le savoir, l'expérience et les actions des populations locales. Les changements qui ne pourraient jamais être imposés de l'extérieur exigent un engagement sérieux des utilisateurs locaux et d'autres intervenants — hommes et femmes, pauvres et riches, dirigeants de collectivités et autorités gouvernementales, agriculteurs et pêcheurs — à contribuer à la production de connaissances, en collaboration avec les chercheurs. Mais ce type de recherche-action participative impose aux chercheurs et aux praticiens d'y mettre davantage du leur. En outre, les agences de développement et les organismes de recherche doivent adopter une meilleure approche de l'apprentissage.

2. Favoriser l'apprentissage par la pratique.

Les nouvelles stratégies de gestion des ressources devraient mettre à profit les connaissances obtenues par les utilisateurs lors de la mise en pratique de leur apprentissage de même que celles acquises par les chercheurs. Pour mener à bien cette démarche, il est essentiel d'élaborer de nouveaux outils et de nouvelles méthodes et d'inciter les intervenants à faire montre de reconnaissance et de respect mutuel. L'expérimentation demeure un aspect fondamental de la recherche et les méthodes scientifiques sont toujours aussi indispensables à l'évaluation des résultats des essais. Il serait bon que les agriculteurs et les pêcheurs, ainsi que les praticiens du développement et les organismes auxquels ils sont associés, puissent avoir accès à des mécanismes visant à réduire les risques liés à l'expérimentation et à donner un caractère officiel à l'apprentissage partagé.

3. Assurer aux collectivités locales un meilleur accès aux ressources.

Fondées sur l'apprentissage par la pratique, partagé avec les gens placés au coeur de la recherche, les interventions de cogestion passent d'abord par la reconnaissance des droits et la garantie de l'accès aux ressources. Les droits peuvent reposer sur des valeurs traditionnelles et des obligations sociales, mais ils doivent aussi avoir une valeur juridique et jouir de l'appui de l'État. Le défi, en l'occurrence, consiste à assurer la propriété collective de ressources communes, essentielles à la productivité de l'écosystème et à la subsistance de la population locale, mais qui sont difficiles à gérer. Puisqu'il faut que tout mode de propriété collective des ressources prévoie des mécanismes d'application et de gestion de conflits, il doit être basé sur la légitimité et les pratiques sociales de la collectivité autant que sur la légalité.

4. Édifier de nouvelles institutions de gestion des ressources.

La gestion efficace des ressources communes exige des institutions axées sur l'action collective. Il s'agit d'un exercice bien différent de la gestion des droits de propriété privée; ce type de gestion requiert de nouveaux processus de gouvernance locale. Il faut accorder une attention particulière aux questions de la représentation, de l'équité, de la reddition des comptes et de la transparence. Les organismes locaux peuvent contribuer à ces innovations, lesquelles prennent rarement forme d'elles-mêmes. L'éducation, le soutien organisationnel, la formation d'animateurs et les conseils techniques peuvent tous être nécessaires à la mise en place d'organisations communautaires et de processus de gouvernance en vue d'assurer la cogestion. La recherche-action participative est un puissant outil d'intervention dans cette démarche.

5. Trouver des innovations rapidement rentables.

Le développement communautaire ou organisationnel est un processus à long terme qui ne peut se faire sans obtenir la con-fiance des groupes locaux. La meilleure manière d'illustrer l'importance de cette démarche et les avantages éventuels de la cogestion des ressources consiste à répondre aux besoins immédiats des pauvres en les faisant participer aux profits. Ceux-ci peuvent provenir de technologies de production améliorées, de produits de grande valeur ou même d'indemnisations pour l'utilisation de ressources. La collectivité est parfois mise à contribution. Certains écoservices sont gérés par des ménages qui utilisent pour ce faire des ressources communes ou de propriété privée. Dans les cas cités, la rapidité de réaction des équipes de recherche a été un facteur déterminant des réussites locales.

6. Créer des liens et des réseaux.

Bien que le renforcement pur et simple des capacités des institutions soit essentiel, ce type d'appui est loin de suffire aux groupes communautaires. Aux chapitres de la recherche-action et de l'apprentissage adaptatif, de la défense des droits et du soutien des politiques, de l'éducation et de la sensibilisation du public, les organismes locaux doivent pouvoir mettre à profit les ressources de vastes réseaux et être en mesure de créer de nouveaux partenariats. Dans tous les cas cités, ces ressources allaient bien au-delà des équipes de recherche des projets locaux financés par le CRDI. Elles englobaient notamment des ONG, des organismes gouvernementaux, des administrations locales d'autres régions ayant des vues similaires, et même des réseaux et des bailleurs de fonds internationaux. Ces réseaux sont de précieuses sources d'information technique et des modèles de réforme, et ils servent de lieu où organiser des visites au pair et parfois exercer des pressions politiques. Tous ces facteurs contribuent au succès des innovations des institutions locales.

7. Les innovations doivent être interdisciplinaires.

L'innovation est un bon moyen de s'attaquer aux problèmes complexes que sont la pauvreté et la dégradation de l'environnement. Dans tous les cas étudiés, les enseignements dégagés par les chercheurs ont contribué aux nouvelles propositions de garantie des moyens de subsistance. En soi, toutefois, les connaissances techniques ne suffisent pas. Chacun des cas a révélé que la sécurité de la subsistance exige également la transformation des structures et des processus institutionnels inéquitables. Pour que la recherche puisse avoir raison des contraintes d'ordre pratique et politique auxquelles les pauvres doivent faire face, il faut harmoniser les analyses sociales et institutionnelles avec les études biophysiques et écologiques. L'adoption de nouvelles approches interdisciplinaires de la recherche est indispensable à la mise en oeuvre des innovations multidimensionnelles. L'appui doit venir des organismes de recherche et des bailleurs de fonds.

8. Les politiques devraient permettre l'innovation locale.

L'innovation communautaire est assortie d'une dernière leçon: s'il est vrai que l'illustration du succès réside dans l'amélioration concrète des moyens de subsistance, la résolution à long terme de problèmes locaux commande la réforme de politiques au plus haut niveau. Les interventions doivent se produire à divers échelons, c'est-à-dire que si le changement appelle une action locale, les conditions qui favorisent ce changement et la coordination voulue exigent souvent des ressources qui se trouvent à un échelon supérieur. Les cas étudiés donnent à penser que les politiques n'ont pas suffisamment tenu compte des droits collectifs comme moyen d'assurer aux pauvres l'accès aux ressources et le droit de les gérer.

Nombre de gouvernements cherchent des moyens efficaces de décentraliser la GRN. Les études de cas montrent que des institutions locales novatrices ont réussi à poser les jalons nécessaires à cette décentralisation, grâce à l'appui d'autorités gouvernemen-tales et d'intervenants de l'extérieur. Des politiques adaptées, des conseils techniques et des services de vulgarisation, le suivi et la mise en application des dispositions établies sont le genre d'appui qu'il faut aux innovations en cogestion. À long terme, si le gouvernement ne parvient pas à créer un milieu propice à l'innovation, les initiatives de cogestion locales en seront considérablement affaiblies.

Les défis

Les études de cas révèlent que les organismes d'aide au développement et les établissements de recherche sont en mesure de produire des innovations dans le domaine de la cogestion locale. L'adoption de politiques adaptées, axées sur les droits d'utilisation des ressources communautaires, et une mise en application plus vaste de la recherche-action participative, seraient des démarches très utiles. Il importe également de tenir compte des intérêts locaux tout en édifiant des réseaux plus vastes. Les praticiens et les organismes communautaires gagneraient à étendre la mise en pratique de ces approches. Mais les cas étudiés mettent en lumière aussi les défis que ces approches comportent pour les populations.

Les méthodes participatives exigent des compétences en gestion, une observation attentive, du doigté et de la patience. Il est toujours plus facile de faire appel aux utilisateurs de ressources influents, qui ont leur franc parler, plutôt que de travailler auprès des plus pauvres et des plus isolés qui sont aussi, d'habitude, les plus réservés. Ces participants secondaires, souvent des femmes et des membres des minorités ethniques, sont tellement occupés à assurer la survie de leur famille qu'ils ont peu de temps à consacrer aux échanges avec des facilitateurs de l'extérieur.

L'aptitude à communiquer et la langue peuvent être des obstacles d'un côté comme de l'autre. Les chercheurs et les membres de la collectivité, même les marginalisés, peuvent ne pas tenir compte de la contribution des défavorisés. Les conventions sociales rendent souvent les pauvres invisibles au sein d'une collectivité; ils ne sont ni comptés, ni mentionnés, ni consultés. Il peut être très difficile pour les chercheurs de faire face à pareille situation. Les relations sociales, les préjugés ancrés de longue date, les niveaux d'échanges et les allégeances politiques sont des facteurs qu'il est impossible d'ignorer. Ce sont des éléments essentiels de la structure sociale de toute collectivité. Les chercheurs qui adoptent l'approche participative doivent veiller à ne pas consolider les rapports de force existants ni exacerber les inégalités dans le cadre de leurs travaux.

Il est toujours plus facile de faire appel aux utilisateurs de ressources influents, qui ont leur franc parler, plutôt que de travailler auprès des plus pauvres et des plus isolés [...] Les conventions sociales rendent souvent les pauvres invisibles au sein d'une collectivité; ils ne sont ni comptés, ni mentionnés, ni consultés.

Bien que les chercheurs participant aux projets aient eu à coeur de cerner et de traiter les enjeux féminins au regard de la gestion des ressources naturelles, leurs efforts n'ont eu qu'un succès mitigé. Des structures sociales et des inégalités profondément ancrées ne se changent pas du jour au lendemain. Et sans accorder une attention particulière aux problèmes des groupes marginalisés, il est facile de perdre de vue leurs préoccupations dans la myriade des enjeux de la GRN.

Les études de cas donnent des exemples des avantages que les femmes ont tirés des interventions des chercheurs: en cernant précisément les questions qui les touchent de près, en axant la recherche sur les moyens de subsistance, en contribuant à la transparence du processus décisionnel et à la participation des populations locales à la prise de décisions, et en veillant à ce que le gouvernement local prenne davantage en considération le point de vue des collectivités. Toutefois, la majorité des groupes de recherche ont admis que les institutions fondamentales, celles qui détiennent le pouvoir et prennent les décisions, sont encore dominées par les hommes et que les initiatives tenant compte des sexospécificités sont simplement reléguées au second plan.

La participation revêt en soi un caractère politique. Elle donne aux gens les moyens d'agir, mais elle est considérée comme une menace à l'autorité établie, qui résiste au changement. De manière plus générale, le développement rural et la réduction de la pauvreté sont des processus de changement social similaires qui, d'une part, améliorent la productivité et, d'autre part, modifient les rapports de force. La plupart des gouvernements reconnaissent l'importance de ces processus et encouragent officiellement les réformes. Mais s'agissant des interventions locales, les chercheurs ont tout intérêt à considérer d'un oeil prudent les desseins des intervenants de l'extérieur, y compris les leurs.

Inciter des organismes gouvernementaux à changer, en particulier quand il s'agit d'instances nationales, est une des tâches les plus ardues de l'établissement d'institutions de cogestion. Le cas de la province du Guizhou, en Chine, en fait foi. Les vastes bureau-craties ont une logique interne qui résiste à l'innovation et elles récompensent la concentration du pouvoir plus souvent que l'efficacité de la programmation. Certaines des études de cas illustrent comment des arguments politiques fondés sur des données probantes (comme au Cambodge et au Bhoutan) peuvent faire changer les choses, mais ces réussites sont dues à d'éloquents plaidoyers extérieurs et à la réceptivité des autorités gouvernementales.

Les six études de cas témoignent de la réussite des chercheurs tant pour ce qui est de l'amélioration des moyens de subsistance en milieu rural que de la contribution aux arrangements institutionnels nécessaires à la cogestion des ressources naturelles. Ces succès sont-ils durables ? Quels autres effets importants, favorables ou néfastes, pourrait-il en découler ?

Le suivi à long terme des changements écologiques, sociaux et politiques peut apporter un début de réponse à ces questions. En poussant les choses un peu plus loin, toute nouvelle structure de cogestion devra aussi être en mesure de s'adapter à l'évolution de la conjoncture écologique, sociale, politique et du marché. Ces mécanismes et cycles de suivi, d'évaluation et d'adaptation sont mis en place dans plusieurs sites de recherche puisqu'ils ont été intégrés dès le départ à la stratégie de cogestion. Ce sont eux qui rendront compte de la situation en dernière analyse. La patience est de rigueur. Non seulement parce que les écosystèmes répondent lentement aux stimuli, mais aussi parce que les connaissances humaines, tant des « choses gérées » que des « gestionnaires », sont encore limitées. Les changements étant constants, les utilisateurs des ressources locales ne sauront adopter des pratiques productives et durables que s'ils continuent à apprendre et à évoluer. La pratique de la recherche-action participative renforce cette capacité d'apprentissage adaptatif.

Ce blanc intentionnellement laissé de page

Annexe 1.
Glossaire et liste des sigles

ACDI : Agence canadienne de développement international < www.acdi-cida.gc.ca >

Apprentissage actif (ou apprentissage par la pratique): stratégie de recherche qui officialise les processus d'apprentissage partagé et d'innovation locale auxquels participent des intervenants multiples, oeuvrant dans des domaines complémentaires, selon le principe de la mise en commun des connaissances et des interventions.

ARDA : Association pour le développement rural d'Arsaal

AUB : Université américaine de Beyrouth (Liban) < www.aub.edu.lb >

CRRNR : Centre de recherches sur les ressources naturelles renouvelables (Bhoutan)

Cogestion : accord de collaboration par lequel les collectivités utilisatrices des ressources locales, les instances gouvernementales supérieures et locales et d'autres intervenants, notamment de l'extérieur, partagent la responsabilité et l'autorité de la gestion des ressources naturelles en question. La cogestion porte sur toute une gamme d'ententes, allant des accords juridiques officiels négociés à l'échelon politique aux engagements pragmatiques pris à l'amiable.

Cogestion adaptative : système de gestion dans lequel les multiples parties participent de diverses manières à un processus de résolution de problèmes par itération. L'apprentissage découlant de la mise en commun d'expériences et d'analyses sert de fondement aux interventions, à la collecte de l'information et aux décisions de gestion subséquentes.

CRDI : Centre de recherches pour le développement international (Canada) < www.crdi.ca >

DDC : Direction du développement et de la coopération de la Suisse < www.sdc.admin.ch>

Droits coutumiers (ou traditionnels) : reconnus à l'échelle locale par un groupe social déterminé, mais non nécessairement consignés ou codifiés. En règle générale, ces droits se rapportent à des pratiques culturelles et à des relations sociales établies de longue date (relations familiales ou de clans, entre bailleurs de fonds et clients ou entre personnes détenant divers rangs dans d'autres hiérarchies). Même si ces droits peuvent changer avec le temps, les titulaires peuvent quand même les faire respecter.

GCRN : gestion communautaire des ressources naturelles

GRN : gestion des ressources naturelles

Gouvernement local : ordre inférieur des institutions officielles de l'État, comme les fonctionnaires de district ou les organismes locaux de prise de décisions tenus de rendre compte au public et les organismes de prestation de services constitués conformément aux lois nationales (par exemple, lors d'élections locales). Les structures du gouvernement local diffèrent selon les pays, tout comme varie le degré de leur obligation de rendre compte aux populations locales ou aux échelons supérieurs du gouvernement.

HUAF : Collège d'agriculture et de foresterie de l'Université de Huê (Viet Nam) < www.hueuni.edu.vn/en/agriculture.htm >

ICARDA : Centre international de recherches agricoles dans les régions sèches (Syrie) < www.icarda.org >

IIRR : International Institute of Rural Reconstruction (Philippines) < www.iirr.org >

Libre accès : mode de jouissance des ressources communes, qui interdit l'exclusion de tout utilisateur, empêchant ainsi la gestion ou la conservation.

ONG : organisation non gouvernementale

PNUD : Programme des Nations Unies pour le développement < www.undp.org/french/ >

Propriété commune : système de droits collectifs qui autorise la gestion de ressources communes clairement définies par un groupe social déterminé.

Recherche participative : recherche faite avec les gens plutôt que pour les gens. Les tenants de cette démarche considèrent les utilisateurs de ressources naturelles (hommes et femmes, agriculteurs, pêcheurs, utilisateurs de produits forestiers) comme des collaborateurs apprenants. On peut faire appel à diverses méthodes d'apprentissage (dont l'appréciation, la cartographie, le suivi et l'évaluation), mais toutes privilégient une relation entre les chercheurs et les populations en cause fondamentalement différente de celle qui caractérise la recherche traditionnelle, dirigée par des spécialistes. Cette différence exige souvent la modification des rôles, des processus et de la structure des organismes de recherche scientifique afin d'assurer la mise en oeuvre efficace des méthodes de recherche participative (voir Gonsalves et coll., 2005).

Ressources communes : ressources dont les caractéristiques écologiques rendent leur gestion difficile par une seule personne (par exemple, en raison de la mobilité, de l'importance, du chevauchement des ressources diverses et des nombreux utilisateurs ou de l'interdiction d'exclusion).

RUL : réseau des utilisateurs locaux, Arsaal (Liban)

SIG : système d'information géographique

Annexe 2.
Sources et ressources

Sources de référence citées

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Lectures connexes

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Sites Web utiles

Groupe de recherches sur l'environnement et le développement durable
Faculté de l'agriculture et des sciences de l'alimentation
Université américaine de Beyrouth
Beyrouth (Liban)
< www.aub.edu.lb/~webeco/ESDU > [en anglais]

Projet EPINARM
Centre de recherches sur les ressources naturelles renouvelables,
Bajo
Ministère de l'Agriculture
Gouvernement royal du Bhoutan
< www.ires.ubc.ca/projects/lingmutey/html/main.htm > [en anglais]

Projet Manrecur
Grupo Randi Randi
Quito, Équateur
< www.randirandi.org > [en espagnol]

Ministère de l'Agriculture
Gouvernement royal du Bhoutan
< www.moa.gov.bt >

Programme Pauvreté rurale et environnement
Centre de recherches pour le développement international
Ottawa, Canada
< www.crdi.ca/pre >

L'Éditeur

Le Centre de recherches pour le développement international (CRDI) est une société d'État créée par le Parlement du Canada en 1970 pour aider les chercheurs et les collectivités des pays en développement à trouver des solutions viables à leurs problèmes économiques, environnementaux et sociaux. Le Centre appuie en particulier le renforcement des capacités de recherche indigènes susceptibles d'étayer les politiques et les technologies dont les pays en développement ont besoin pour édifier des sociétés plus saines, plus équitables et plus prospères.

Les Éditions du CRDI publient les résultats de travaux de recherche et d'études sur des questions mondiales et régionales intéressant le développement durable et équitable. Les Éditions du CRDI enrichissent les connaissances sur ces questions et favorisent ainsi une plus grande compréhension et une plus grande équité dans le monde. Le catalogue des Éditions du CRDI contient la liste de tous les titres disponibles (voir www.crdi.ca/livres).