Croissance inclusive : une expression à la mode ou une notion innovante ?


Lorsque huit personnes possèdent autant de richesses que la moitié la plus pauvre de l’humanité, on a un sérieux problème.
Le récent rapport d’Oxfam, qui souligne ces inégalités, fait nettement ressortir l’écart qui se creuse entre les riches et les pauvres : l’un des problèmes socio-économiques mondiaux les plus pressants.
La solution à ce problème est loin de faire consensus. Néanmoins, une approche fondée sur la croissance inclusive gagne du terrain comme éventuel principe directeur pour une croissance économique socialement équitable.
Le Forum économique mondial (FEM), dans son Rapport sur la croissance et le développement inclusifs, a attiré l’attention sur ce thème, qui a été au coeur d’un récent événement organisé au Centre de recherches pour le développement international (CRDI).
Le principal auteur du rapport, Richard Samans, soutient qu’une approche visant la croissance inclusive correspond parfaitement au programme des Objectifs de développement durable (ODD). Non seulement une telle approche fournit-elle à tous les pays un cadre indépendant du PIB, mais elle va bien au-delà de la réduction de la pauvreté, au profit d’un programme beaucoup plus englobant que celui de la simple redistribution de la richesse.
Pourquoi la redistribution de la richesse est-elle insuffisante ?
Beaucoup de pays s’efforcent de réduire les inégalités en redistribuant le fruit de la croissance économique. Cela a donné des résultats, certes. Par exemple, l’ancienne ministre du Développement et de l’inclusion sociale, Carolina Trivelli, a déclaré devant un public réuni à Ottawa qu’au cours des dix dernières années, la pauvreté avait été réduite de plus de la moitié au Pérou et que l’extrême pauvreté avait diminué encore plus rapidement. Cela dit, la redistribution, à elle seule, est une solution insuffisante pour deux raisons majeures.
Primo, les régimes de redistribution de la richesse risquent d’être financièrement non viables et les subventions peuvent plomber la motivation de leurs bénéficiaires. Même si les discussions à ce sujet sont motivées par la sphère politique, les recherches montrent que de tels régimes n’ont pas à être très onéreux et qu’ils peuvent être organisés de manière à réduire les incitations négatives et à aider à promouvoir les investissements productifs chez les bénéficiaires.
Secundo, le mode de croissance est aussi important que la redistribution des profits. Les pratiques de promotion de l’égalité et de l’inclusion émanant du secteur privé sont tout aussi importantes. Les données du rapport sur la croissance inclusive indiquent que les inégalités dans les pays d’Asie de l’Est demeurent faibles, et qu’on observe assez peu de transferts financiers. Parmi les États-providence de l’Europe de l’Ouest, certains pays affichent des revenus marchands beaucoup plus équitables que d’autres.
Y a-t-il une expérience empirique de la croissance inclusive ?
L’approche du Canada a attiré l’attention de la communauté internationale. Le gouvernement canadien se sert de multiples leviers de politique, y compris de prestations directes aux familles à revenu faible et intermédiaire et de réductions de l’impôt sur le revenu pour la classe moyenne.
Le Canada a par ailleurs accru ses investissements dans les infrastructures publiques et a trouvé de nouvelles façons d’attirer les capitaux étrangers, tout en se positionnant comme carrefour des meilleurs talents mondiaux. Afin de promouvoir simultanément l’inclusion et la croissance, le Canada aide les petites et moyennes entreprises à accéder à des marchés internationaux au moyen d’un programme commercial progressif. Il favorise l’égalité entre les sexes à l’aide de l’analyse comparative entre les sexes, qui permet d’intégrer l’égalité femmes-hommes dans tous les champs d’action plutôt que seulement dans les politiques sociales.
Les exposés présentés dans le cadre de l’événement d’Ottawa ont mis en lumière les ingrédients essentiels à la croissance inclusive en Suède : des politiques gouvernementales actives, un État-providence actif et un marché du travail organisé. Le dialogue social est une composante essentielle que la Suède promeut à l’échelle internationale. D’autres participants ont souligné le potentiel des politiques adaptées au milieu, comme en appliquent le Canada et le Pérou, pour garantir la participation de diverses parties prenantes des secteurs privé et public dans le développement économique et la prise en compte des priorités communautaires dans les politiques publiques.
Comment savoir ce qui fonctionne ?
Les exemples à l’échelle de la planète indiquent qu’il n’y a pas de panacée. Aussi deux questions fondamentales se posent-elles. Peut-on mesurer le succès de la promotion de la croissance inclusive ? Peut-on convaincre les responsables des politiques et les citoyens qu’il vaut la peine d’investir dans la croissance inclusive ?
Le Rapport sur la croissance et le développement inclusifs et l’événement tenu au CRDI permettent de répondre par l’affirmative à ces deux questions. L’Indice du développement inclusif (IDI) donne une évaluation nuancée du degré de développement des pays et du rendement en la matière. Cet indice intégrant des mesures relatives à l’égalité entre les sexes, il est plus englobant que le PIB. Il montre, par exemple, que même si le Canada se porte bien dans beaucoup de secteurs, il peut faire mieux dans d’autres. En fait, aucun pays n’a un rendement supérieur dans tous les secteurs. Tous les pays peuvent en faire davantage pour favoriser la croissance inclusive.
La version originale anglaise de cette lettre éditoriale a été publiée dans huffingtonpost.ca le 3 mai 2017.
Arjan de Haan est chef du programme Emploi et croissance au CRDI.