Renforcer la santé des mères et des enfants dans le Sud-Soudan touché par le conflit

Depuis 2015, des recherches soutenues par le CRDI sont en cours au Sud-Soudan et dans le nord de l’Ouganda pour améliorer la santé des mères et des enfants. Dans ces situations post-conflit, les chercheurs renforcent les systèmes de santé locaux, réduisent les obstacles à l’accès, donnent aux femmes les moyens d’agir et mobilisent les collectivités pour qu’elles répondent à leurs besoins en matière de santé.
Au début du projet, le comté de Torit au Sud-Soudan (l’un des lieux de la recherche) était relativement épargné par la guerre civile, mais de nouvelles violences ont éclaté en 2016. Malgré ce contexte difficile, l’expérience démontre qu’il est non seulement possible de mener des recherches dans des zones touchées par un conflit, mais qu’elles peuvent même jouer un rôle essentiel dans la revitalisation des collectivités locales et le renforcement des systèmes de santé.
Documenter l’impact des conflits sur la santé des mères et des enfants
Après des décennies de conflit, le Sud-Soudan a obtenu son indépendance en 2011. L’un des pays les plus pauvres du monde, son émergence est freinée par la guerre civile depuis 2013. Près d’une personne sur cinq a été déplacée, les infrastructures et les moyens de subsistance font défaut et peu de routes relient la population, essentiellement rurale, aux hôpitaux, aux cliniques et aux autres services.
Le Sud-Soudan présente certains des pires indicateurs de santé au monde, notamment en ce qui concerne la santé des mères. En 2017, on estime que 1 150 femmes sont décédées pour 100 000 naissances vivantes, soit plus du double de la moyenne de l’Afrique subsaharienne. Les femmes n’ont guère voix au chapitre dans les décisions sur la taille de la famille et l’espacement des naissances. En conséquence, seules 5 % environ d’entre elles utilisent des contraceptifs modernes.
Les membres de l’équipe de recherche du projet - du ministère de la Santé du Sud-Soudan, de l’hôpital St. Mary’s à Lacor, en Ouganda, et de l’Université de Montréal au Canada - ont cherché à mieux comprendre l’impact du conflit sur l’expérience des femmes enceintes. Ils ont analysé les données recueillies dans les établissements de santé du comté de Torit entre janvier 2015 et décembre 2016, qui ont révélé une nette diminution des soins institutionnels pour les futures mères pendant cette période de deux ans. Les visites prénatales ont chuté de 21 %, tandis que la part des naissances attendues dans les établissements a diminué de 24 % à 17 %. En outre, le pourcentage de mères à haut risque qui accouchent dans des cliniques ou des hôpitaux est passé de 59 % à 44 %.
Utiliser les données probantes pour améliorer les services de santé
Soutenu par l’initiative Innovating for Maternal and Child Health in Africa, le projet comprenait une étude de la portée des politiques et des systèmes de santé. Celle-ci a mis en évidence de nombreuses lacunes dans le système de santé du Sud-Soudan qui nuisent à la santé reproductive, maternelle, néonatale, infantile et des adolescents. L’étude souligne la grave pénurie de personnel de santé qualifié, le manque de médicaments et de fournitures, et le faible niveau de financement national.
Avec peu de travailleurs de la santé primaires formés pour répondre aux besoins de base, les établissements s’appuient sur les accoucheuses traditionnelles et les travailleurs de la santé communautaires qui n’ont pas les compétences nécessaires pour détecter ou gérer les complications graves ou pour offrir des services de santé sexuelle et reproductive efficaces. Pour répondre à ce besoin crucial, l’équipe de recherche a soutenu la formation de huit sages-femmes, qui sont maintenant affectées dans des établissements de santé ruraux du comté de Torit.
La recherche a également cerné les obstacles à l’accès des femmes aux soins. Confronté à un sous-financement chronique, l’hôpital de Torit facturait aux clients des frais minimums pour certains services. Il arrivait que certains membres du personnel fassent payer illégalement des patients ou acceptent des cadeaux pour compléter leur salaire faible et irrégulier, ce qui entravait l’accès aux soins de santé. Une étude sur les attitudes de la collectivité a révélé que les femmes étaient dissuadées de se faire soigner parce qu’elles s’attendaient à payer pour accoucher dans un établissement de santé et à fournir des articles tels que du savon et des bonbons. Les femmes qui avaient déjà effectué des paiements à un établissement de santé étaient deux fois plus susceptibles de choisir d’accoucher à domicile.
Lorsque l’équipe de recherche a utilisé les données du projet pour soulever ces questions auprès du ministère de la Santé de l’État et des organisations non gouvernementales, un système d’indemnités basées sur le rendement a été mis en place pour motiver le personnel. Parmi les autres réformes, citons l’augmentation des fournitures de base et la création de comités pour renforcer la gouvernance et la surveillance des services de santé. L’équipe a plaidé en faveur de la gratuité des services et, en sensibilisant la population, a réduit les frais informels à l’hôpital.
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Autonomisation des femmes et mobilisation des collectivités
L’étude sur les attitudes de la population a également révélé que les femmes - en particulier celles qui ont déjà accouché - sont plus susceptibles de planifier un accouchement à domicile. En plus de douter de la qualité des soins en institution, elles craignaient de subir une discrimination fondée sur leur statut social et économique. Cependant, elles n’étaient pas conscientes de tous les risques liés aux accouchements à domicile. Compte tenu de leur scepticisme à l’égard des établissements de santé, il faudrait des animateurs de confiance pour sensibiliser à ces risques et mobiliser la population pour définir et traiter les priorités sanitaires.
L’équipe de recherche a mis en oeuvre une série d’interventions communautaires participatives axées sur l’autonomisation des femmes. Plutôt que de créer de nouvelles structures, les interventions ont travaillé avec 15 groupes d’épargne de femmes existants, encourageant les membres à élaborer leurs propres stratégies pour s’attaquer aux priorités locales en matière de santé. Des animatrices formées (sélectionnées par chaque groupe) ont aidé les femmes à cerner les priorités et à élaborer des stratégies qu’elles pouvaient mettre en oeuvre avec le soutien des membres de la collectivité locale. Par exemple, certains groupes ont choisi de lutter contre la malnutrition en cultivant des aliments nutritifs, tandis que d’autres ont réparé des routes pour améliorer l’accès aux services de santé et aux écoles. Tous les groupes ont été encouragés à évaluer et à réfléchir à leurs progrès.
La pandémie de COVID-19 a retardé la collecte des données de fin de projet, mais les résultats préliminaires semblent indiquer que les femmes gagnent en confiance et en capacités de leadership et adoptent des comportements plus sains. D’autres signes encourageants de changement sont la capacité des femmes à contribuer aux finances de leur famille et une plus grande confiance en elles pour parler en public et s’adresser aux médecins.
« Les femmes sont maintenant conscientes de leurs droits, et je pense aussi qu’elles ont le courage de poser des questions », déclare le co-enquêteur principal du projet au Sud-Soudan, Elijo Omoro, directeur général du ministère de la Santé de l’État de Torit. « Nous essayons de leur faire comprendre qu’elles pourraient être des leaders. »
Leçons sur l’amélioration de la santé dans les régions touchées par les conflits
Loubna Belaid, membre de l’équipe et chercheure adjointe à l’Université McGill au Canada, attribue le succès des interventions à de solides partenaires et animateurs locaux qui interagissent et établissent des relations de confiance avec les groupes de femmes et les laissent prendre leurs propres décisions. Elle souligne également que la recherche participative est un moyen efficace de donner aux femmes les moyens de faire face aux problèmes de santé dans les situations de conflit et post-conflit.
« Les groupes de femmes étaient prêts à s’attaquer à leurs problèmes de santé en mobilisant les ressources locales et en utilisant leur leadership pour mettre en oeuvre des stratégies visant à résoudre les problèmes qu’elles jugeaient prioritaires », explique-t-elle.
La participation des décideurs et des collectivités dès le début a été cruciale pour garantir que les besoins et l’expérience locaux façonnent à la fois la recherche et les interventions. Les responsables du ministère de la Santé du Sud-Soudan ont ainsi pu accéder directement aux données sur le renforcement des services de soins de santé primaires.
Les recherches ont montré qu’il est possible - et important - d’améliorer la santé dans les régions touchées par les conflits en travaillant à la fois avec les collectivités et les établissements de santé. Bien qu’il soit difficile de travailler dans des zones fragiles et touchées par des conflits comme le Sud-Soudan, il est possible de faire les choses différemment : « Il est facile d’oublier les contextes précaires », affirme le Dr Emmanuel Ochola de l’hôpital St. Mary’s à Lacor, l’un des deux principaux chercheurs en Ouganda, « mais elles offrent aussi la possibilité de faire avancer les choses ».