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Participation des collectivités urbaines à la lutte contre la dengue en Amérique latine

 

La recherche montre qu’une démarche intégrée de lutte contre la dengue, centrée sur les facteurs écologiques, biologiques et sociaux de la maladie, peut réduire la densité vectorielle tout en donnant aux collectivités les moyens de s’attaquer aux éléments de leur milieu qui les rendent vulnérables.

La dengue est un problème de santé publique d’envergure mondiale. Autrefois présente dans les régions tropicales et subtropicales, elle se propage aujourd’hui à de nouvelles zones, et l’on a assisté récemment à des flambées en France, en Croatie et en Floride. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), près de la moitié de la population de la planète y est maintenant exposée. Dans les cas graves, cette maladie de type grippal évolue vers une forme pouvant être mortelle, la dengue hémorragique ou dengue sévère.

En Amérique latine et dans les Caraïbes, plus de deux millions de cas ont été signalés en 2013. Outre qu’elle représente une menace pour la santé publique, la dengue coûte aux pays de la région des milliards de dollars annuellement.

Le moustique qui transmet le virus, Aedes aegypti, vit dans des habitats urbains et se reproduit surtout dans des contenants fabriqués par l’homme, tels que les réservoirs à eau, les bassins et même les pneus abandonnés. Comme il n’existe pas de traitement ni de vaccin contre la dengue, on ne peut combattre la maladie qu’en luttant contre le moustique vecteur.

La recherche : cibler les contenants d’eau qui sont des habitats productifs

Le CRDI soutient depuis longtemps le Programme spécial de recherche et de formation concernant les maladies tropicales (TDR) de l’Organisation mondiale de la santé. Depuis 2008, les responsables de ce programme mettent en oeuvre un projet de recherche centré sur les facteurs écologiques, biologiques et sociaux favorisant deux maladies à transmission vectorielle prioritaires en Amérique latine, soit la dengue et la maladie de Chagas. Des études sur la dengue ont été effectuées dans cinq villes : Acapulco, au Mexique; Fortaleza, au Brésil; Girardot, en Colombie; Machala, en Équateur; et Salto, en Uruguay. Dans chacune de ces villes, la lutte antivectorielle consiste principalement, d’ordinaire, à pulvériser un insecticide, ce qui se fait en général sans le concours de la population. Les chercheurs comptaient mettre à l’essai des moyens plus efficaces de cibler les aires de reproduction du moustique et voulaient mobiliser les collectivités afin de les éliminer.

Dans chaque ville, les équipes ont d’abord établi la cartographie de l’écosystème urbain, de l’écologie des vecteurs et du contexte social – y compris les aspects sexospécifiques – ayant une incidence sur la prolifération des aires de reproduction.

TDR-OMS Pour limiter la propagation de la dengue, il est essentiel de vider ou de couvrir les contenants d’eau /strong>où se reproduisent les moustiques vecteurs.

Les chercheurs ont travaillé avec les représentants d’un éventail de parties prenantes afin d’analyser la situation locale et de parvenir à un consensus en ce qui a trait aux interventions appropriées. De cette manière ont été conçues en collaboration, à l’échelle locale, des mesures visant à contrer le risque de transmission de la dengue, au moyen de diverses techniques simples pouvant être appliquées en grande partie par des groupes de la collectivité. 

Depuis les années 1940, les relevés des larves de moustiques sont le principal outil de surveillance du vecteur de la dengue. Les moustiques pondent leurs oeufs dans l’eau stagnante. Les oeufs éclosent et donnent naissance à des larves; celles‑ci se transforment en nymphes, ou pupes, qui apparaissent à la surface de l’eau. La nymphe éclate ensuite pour libérer le moustique adulte, qui s’envole. Dans le cadre de l’analyse situationnelle, les chercheurs ont réuni et comparé des données saisonnières sur la présence de nymphes d’Aedes aegypti dans les contenants d’eau, au moyen d’essais comparatifs avec répartition aléatoire par grappes.

Bien que les moustiques se multiplient dans une grande diversité de contenants, ceux‑ci ne sont pas tous « productifs ». Les résultats des travaux ont confirmé l’importance de compter les nymphes – et non seulement les larves, au stade de développement antérieur – pour déterminer quels types de contenants d’eau posent le plus de risques. Par exemple, les taux d’infestation les plus élevés d’A. aegypti immatures ont été observés dans les pneus, les petits pots et les boîtes de conserve. Mais les enquêtes sur les nymphes ont montré que ce sont les contenants de grande taille, surtout les réservoirs et les barils, qui produisent le plus de moustiques adultes. Ce phénomène atteint un sommet lorsque les contenants sont à l’extérieur, non couverts, inutilisés et remplis d’eau de pluie – spécialement pendant la saison sèche.

<>Les chercheurs ont travaillé par la suite, avec la population et les autorités sanitaires locales, à la mise en oeuvre de mesures visant à réduire la reproduction des moustiques et l’exposition des humains. Il s’est agi par exemple de vider ou de couvrir les contenants d’eau, d’assainir les cours des maisons et les lieux publics, d’installer des moustiquaires aux portes et aux fenêtres et de traiter avec un insecticide les rideaux et les couvercles des contenants, dans les zones très infestées. 

Le résultat : un investissement durable dans la réduction des risques

Bien qu’il ait fallu du temps pour mobiliser la population, particulièrement dans les quartiers où la cohésion sociale était faible, la stratégie s’est révélée efficace, réalisable et très susceptible d’être portée à grande échelle. On s’est aussi rendu compte qu’il est d’un meilleur rapport coût-efficacité de cibler les types de contenants les plus productifs plutôt que la totalité des contenants.

Les nouvelles mesures de lutte ont eu un effet décisif sur la densité vectorielle. À Fortaleza, par exemple, les moustiques sont d’ordinaire plus nombreux pendant la saison des pluies. Toutefois, d’après les recensements effectués en 2013, les taux d’infestation des nymphes ont augmenté de 30 % seulement dans les zones où ont eu lieu des interventions en écosanté, alors qu’ils ont été 500 % plus élevés, selon l’indice du nombre de nymphes par habitant, dans les zones où l’on a eu recours aux pulvérisations habituelles.

Les collectivités ont adopté les nouveaux outils et les nouvelles façons de faire, qui ont généré des retombées économiques dans certains cas. Des entreprises familiales de Girardot, en Colombie, et d’Acapulco, au Mexique, ont produit des moustiquaires et des rideaux traités qui ont été conçus localement et utilisés par des organismes communautaires. Les stratégies de prise en charge par les collectivités, comme celle consistant à enrôler les écoliers, en Équateur, dans la lutte contre les vecteurs à la maison, ont été très remarquées et largement acceptées.

Le Brésil, le Mexique et la Colombie comptent faire passer ces interventions fructueuses à grande échelle, ce dont bénéficieront quelque 250 000 ménages. Au Brésil, où ont été relevés la plupart des cas de dengue sur le continent, on s’emploie déjà à étendre la mise en oeuvre à deux autres villes, avec l’appui financier du ministère de la Santé. Les résultats des travaux ont connu une diffusion internationale, et un réseau constitué de huit établissements de recherche latino-américains oeuvre à l’avancement des connaissances en écosanté dans des domaines nouveaux et novateurs.

Résultats obtenus grâce à des interventions en écosanté au Brésil

Près de 60 % des cas de dengue en Amérique latine ont été relevés au Brésil.

Les recensements menés à Fortaleza en 2013 ont permis de constater que les populations de moustiques vecteurs de la dengue ont augmenté, au cours de la saison des pluies, d’environ 

  • 30 % dans les quartiers où l’on a appliqué des mesures conformes à la démarche écosanté,
  • par comparaison avec 500 % dans les quartiers où l’on a eu recours aux pulvérisations habituelles.

Le Centre de recherches pour le développement international (CRDI), organisme canadien, a financé le projetTowards Improved Chagas and Dengue Disease Control through Innovative Ecosystem Management and Community-Directed Interventions (Lutter plus efficacement contre la dengue et la maladie de Chagas par des interventions novatrices de gestion communautaire des écosystèmes) par le truchement de sonprogramme Écosystèmes et santé humaine. Depuis 1996, le CRDI soutient des recherches pluridisciplinaires qui examinent les interactions entre les écosystèmes, les dynamiques sociales et la santé humaine.

Télécharger le PDF (2,5 Mo)

Vidéo portant sur le projet (en anglais) 

En savoir plus sur les résultats de la démarche de recherche écosanté

Photo du haut : TDR-OMS