La lutte naturelle contre les ravageurs fait le bonheur des fruiticulteurs d’Afrique australe

Les producteurs de mangues d’Afrique australe adoptent des méthodes naturelles de lutte contre les ravageurs pour contrecarrer Bactrocera dorsalis, la mouche orientale des fruits.
Cet organisme nuisible destructeur, détecté pour la première fois en Afrique en 2003, peut ruiner toute la récolte d’un agriculteur. Les pesticides coûteux ont été largement inefficaces afin de réduire les infestations, conduisant les agriculteurs à jeter des milliers de tonnes de mangues et d’autres fruits chaque année. Cependant, les techniques de lutte intégrée contre les ravageurs améliorent les chances des producteurs de fruits et augmentent leurs rendements et leurs revenus.
Faire mouche face aux mouches
Avec le soutien financier du fonds Cultiver l’avenir de l’Afrique (CultivAF), un partenariat entre le CRDI et le Australian Centre for International Agricultural Research (ACIAR), les scientifiques du Centre international de physiologie et d’écologie des insectes (ICIPE) à Nairobi ont mis au point la trousse de lutte intégrée contre la mouche orientale des fruits. Dans le cadre du projet CultivAF, les chercheurs ont produit et valorisé leurs innovations. Il s’agit notamment d’appâter et de piéger les mouches et de libérer les ennemis naturels de la mouche orientale des fruits afin de contrôler les populations.
Depuis 2019, l’équipe du projet « Téphrites envahissantes étrangères en Afrique du Sud » travaille à travers le Malawi, le Mozambique, la Zambie et le Zimbabwe afin d’intensifier l’adoption de la gestion intégrée des ravageurs. Il a ciblé quelque 4 000 agriculteurs de la région dans le but d’améliorer la sécurité alimentaire et la nutrition en protégeant les rendements des mangues, de créer des occasions de revenus en offrant une formation au séchage et à la conservation des fruits et, enfin, de réduire la pauvreté parmi les petits et moyens producteurs de mangues en Afrique australe, en particulier les femmes et les jeunes.

Jusqu’à présent, plus de 9 000 agriculteurs, hommes et femmes, ont été formés aux technologies de lutte intégrée contre les ravageurs, soit plus du double de l’objectif du projet. Les agriculteurs ont depuis mis en œuvre certains des outils, notamment la technique d’annihilation des mâles, qui consiste à piéger en masse les mouches orientales des fruits mâles à l’aide de substances attractives telles que le méthyleugénol, le Cue-Lure et le Trimedlure, associés à un insecticide. L’outil réduit les populations de mâles et, par conséquent, réduit considérablement l’accouplement entre les mouches.
Le projet a également fourni aux agriculteurs des « stations d’appât » – de petits récipients en plastique qui contiennent des appâts alimentaires pour les mouches orientales des fruits. L’appât contient un insecticide qui tue les mouches. Les stations peuvent être accrochées aux manguiers ou placées autour du verger.
Une autre technologie de lutte intégrée contre les ravageurs qui a aidé les agriculteurs à combattre les mouches orientales des fruits est une structure en forme de tente appelée augmentorium, fabriquée à partir de plastique ou de filets et utilisée par les agriculteurs pour stocker les fruits tombés et infestés. L’augmentorium piège les mouches des fruits, car elles sont trop grosses pour passer à travers les trous du filet, mais il permet aux parasitoïdes (petits insectes et ennemis naturels de la mouche des fruits) de s’échapper. Les parasitoïdes pondent leurs œufs sur le corps des mouches des fruits et lorsque les œufs arrivent à maturité et émergent en tant qu’insectes adultes, le processus tue les mouches des fruits.
Des revenus sans insectes
Sailor Chimbwali, un agriculteur du district de Chilanga, à 40 km de Lusaka, la capitale de la Zambie, a reçu une formation aux approches de lutte intégrée contre les ravageurs en 2020. Auparavant, il avait de mauvais rendements et de faibles ventes parce qu’il devait jeter beaucoup de mangues sans connaître la cause de la pourriture, mais les outils l’ont aidé à contrôler les populations de mouches orientales des fruits dans son exploitation.
« J’ai appris que les mouches orientales des fruits détruisent les mangues, ce qui entraîne une perte de revenus pour moi. J’utilise maintenant des leurres pour attirer les mouches mâles vers un poison, éliminant ainsi la reproduction des mouches. La gestion intégrée des ravageurs est efficace et utile », a indiqué Sailor Chimbwali, qui a augmenté son revenu de mangues de 3 900 kwachas zambiens (ZK) (environ 280 dollars canadiens).
Morris Chiwala, un agriculteur de la province de Lusaka, a indiqué que l’utilisation des techniques de lutte intégrée contre les ravageurs a amélioré ses moyens de subsistance, car il a pu gagner suffisamment d’argent pour envoyer ses enfants à l’école et construire une meilleure maison. Avant qu’il ne commence à utiliser les approches de lutte intégrée contre les ravageurs en 2019, la plupart des mangues de ses arbres tombaient avant de mûrir.
« Mon rendement est passé de 60 à 115 paniers [de 15 kg chacun] par saison », se réjouit Morris Chiwala, qui explique que le revenu qu’il tire de la vente de mangues fraîches a presque doublé depuis l’adoption du programme de lutte intégrée contre les parasites (de 6 000 à 11 500 ZK, soit environ 430 à 824 dollars canadiens). En outre, lui et sa famille bénéficient d’une alimentation plus équilibrée maintenant qu’il peut se permettre d’acheter des aliments plus variés. L’augmentation de ses revenus lui a également permis de se lancer dans d’autres projets agricoles, comme l’élevage de volailles et la vente des produits d’un petit potager.
Selon Linda Muzungaire, l’un des huit agents de vulgarisation agricole formés par le projet, de nombreux agriculteurs ignoraient l’existence des mouches orientales des fruits avant le projet CultivAF, mais peuvent désormais déterminer leur présence dans les fruits pourris.
« L’année dernière, nous avons formé les agriculteurs à la lutte intégrée contre les ravageurs et les agriculteurs principaux – des agriculteurs influents et performants dans la communauté – ont pu démontrer les avantages de ces approches aux autres agriculteurs et les convaincre d’utiliser la lutte intégrée contre les ravageurs », a fait remarquer Linda Muzungaire. Elle travaille avec plus de 300 agriculteurs et a indiqué qu’ils ont signalé moins de fruits pourris et donc plus de commandes de la part des clients.
« Au départ, nous avons dû relever le défi de convaincre les agriculteurs des avantages de la lutte intégrée contre les ravageurs pour les mangues, car beaucoup pensaient qu’ils ne pouvaient tirer des revenus que d’autres cultures », a noté Linda Muzungaire. Elle a également expliqué qu’avant l’introduction des méthodes de lutte intégrée contre les ravageurs, les agriculteurs mangeaient ou donnaient les mangues non pourries parce qu’ils n’avaient pas conscience de leur valeur. Depuis la formation, les agriculteurs apprécient la culture des mangues comme une activité commerciale et l’importance de maintenir des arbres et des fruits sains.
Un nouveau marché pour la mangue séchée
Morris Chiwala a également commencé à produire des mangues séchées en utilisant un panier de séchage innovant fourni par le projet. Les paniers, que 28 agriculteurs ont été formés à fabriquer, sont constitués d’un tissu en polyester enroulé autour d’un cadre en fil de fer. Chacune dispose de trois à sept compartiments pour le séchage des fruits, qui prend une demi-journée par temps chaud.
« Je place les mangues mûres coupées en petits morceaux à l’intérieur des paniers pour les faire sécher. Cela a amélioré mes revenus puisque les mangues séchées rapportent plus d’argent que les mangues fraîches », a indiqué Morris Chiwala. Il a expliqué qu’un panier de mangues fraîches rapporte 100 ZK (environ 7,10 CAD) tandis qu’un panier de mangues séchées coûte 800 ZK (environ 57 CAD). La saison dernière, il a gagné 4 000 ZK (environ 287 dollars canadiens) avec cinq paniers de mangues séchées.
Jusqu’à présent, 27 femmes et un homme en Zambie ont appris à fabriquer les séchoirs à mangues et un total de 450 femmes ont bénéficié de l’utilisation de ces séchoirs, a indiqué Linda Muzungaire. En moyenne, chaque agriculteur a séché environ 4 kg de mangues pendant la saison de fructification 2021. Les femmes font également sécher des légumes tels que des patates douces, des feuilles de citrouille, des niébés et des tomates pour une utilisation ultérieure, ce qui accroît la sécurité alimentaire des ménages. Ces conserves peuvent également être vendues afin de générer un revenu.
Le projet a également permis de former au séchage des mangues plus de 800 agriculteurs dans les districts de Mutoko, Murehwa et Zvimba au Zimbabwe. Même si c’était la première fois qu’ils séchaient les fruits, et pendant la saison des pluies qui plus est, les agriculteurs ont produit 216 kg de mangues séchées en 2022 à partir d’environ 270 paniers.
Pour Emily Chakanyuka, agricultrice dans le district de Murehwa, la formation a… porté ses fruits : « J’ai séché une bonne quantité de mangues en février et j’ai pu réaliser jusqu’à 2 545 dollars zimbabwéens [environ 192 dollars canadiens] sur ce que j’ai vendu », a-t-elle indiqué. « Je suis heureuse d’avoir appris à sécher la mangue, car c’est un aliment savoureux! »
Nyepudzai Kamundi, du district de Mutoko, est d’accord : « Ma famille adore les mangues et je suis triste de les avoir privées de ce mets délicat parce que j’en préparais très peu auparavant. J’ai également appris à d’autres agriculteurs comment sécher les mangues et ceux qui les ont goûtées les ont vraiment appréciées. »
Nyepudzai Kamundi, qui possède 40 manguiers, a expliqué qu’elle récoltait ses mangues, puis les lavait et les coupait en quartiers. Ensuite, elle les plonge dans de l’eau avec du citron, qui accélère le processus de séchage tout en éloignant les mouches, et les place dans le séchoir à panier.
« Le séchage peut prendre une semaine ou deux en fonction du temps », a indiqué Nyepudzai Kamundi, notant que les agriculteurs avaient séché la mangue pendant la saison des pluies. Elle a séché 5 kg de mangue et vendu sept paquets de 1 kg dans les magasins locaux au prix de 180 dollars zimbabwéens (environ 0,65 CAD) et en a présenté une partie lors d’une foire alimentaire locale. « Les gens adorent les mangues séchées et je suis convaincue que je peux en produire davantage au cours de la prochaine saison et gagner plus de revenus. Je suis reconnaissante pour la formation que j’ai reçue », a-t-elle indiqué.