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Expulsion

 

Déplacement forcé, exclusion et violence urbaine

Baptisée Opération Murambatvsina, la vaste campagne de démolition du gouvernement du Zimbabwe en 2005 visant à éradiquer les constructions et les commerces « illégaux » date de plus de dix ans. Néanmoins, un grand nombre des personnes déplacées vivent toujours dans des conditions précaires dans des logements marginaux en périphérie des centres urbains où les propriétés sont abandonnées, où le transport et les services sont déficients et où des fonctionnaires corrompus violent les droits des locataires. Selon les résultats d’une mission exploratoire de l’ONU, quelque 700 000 personnes ont perdu leur habitation ou leur moyen de subsistance, ou les deux, dans cette opération largement perçue comme une forme de représailles contre les partisans du mouvement d’opposition au régime.

À Hatcliffe, dans le secteur rural de Harare, des personnes déplacées vivent dans un constant état d’insécurité, craignent de revendiquer leurs droits et ont peur d’être victimes d’une autre campagne de nettoyage. « Nous ignorons quand arriveront les camions », déclarent des femmes vivant dans ce secteur.

Nous vivions dix personnes dans la même pièce. À cause de cela, nous connaissions les difficultés qu’éprouvait chaque personne. Nous percevions 10 euros par personne et l’offrions à quiconque avait un urgent besoin d’argent.

Un résident déplacé, Passaiyoor Est, à Jaffna au Sri Lanka

Déterminants et répercussions du déplacement

Les villes en plein essor des pays du Sud abritent un grand nombre de personnes expulsées, soit en raison d’un sinistre ou d’instabilité politique, soit en raison de projets d’aménagement urbain, soit à cause du manque des perspectives économiques. Que ces personnes viennent d’autres pays ou qu’elles soient déplacées à l’intérieur du pays, leur arrivée est souvent mal vue et, dans les régions pauvres et criminalisées, elles peuvent même servir de boucs émissaires. Il est plus probable qu’elles soient les victimes que les auteurs d’actes violents. Les migrants et les personnes déplacées sont surreprésentés dans les agglomérations informelles sans statut juridique, négligées par l’État et menacées de démolition.

De 2013 à 2016, des chercheurs financés au titre de l’initiative Villes sûres et inclusives (SAIC) ont étudié les liens entre la pauvreté, la violence et l’inégalité dans des centres urbains de l’Afrique subsaharienne, de l’Asie du Sud et de l’Amérique latine. Bon nombre d’entre eux ont examiné la dynamique complexe du déplacement comme cause et comme effet de la violence urbaine et de l’exclusion sociale. La transformation galopante des villes des pays du Sud fait en sorte que peu d’études traitent de la façon dont les municipalités gèrent la croissance effrénée des agglomérations informelles et de l’expérience des personnes déplacées. Les travaux de recherche financés au titre de SAIC ont permis de combler cette lacune et de faire ressortir les déterminants du déplacement et l’interaction de ce dernier avec la pauvreté, l’exclusion et la violence dans les milieux urbains, ainsi que les pratiques et politiques qui peuvent rendre la relocalisation plus sécuritaire, plus équitable et plus durable.

Négligence de l’État – Occasion pour le secteur privé

Dans les villes à l’étude, les agglomérations informelles abritant des migrants et d’autres personnes déplacées sont mal desservies, en plus de manquer de services de transport, d’énergie, d’eau et d’installations sanitaires. Lorsque l’État ne comble pas les besoins essentiels, les fournisseurs du secteur privé s’en chargent et souvent, ils fonctionnent par la menace et l’extorsion.

Les résultats de travaux de recherche menés dans le quartier hôtelier d’Ahmedabad de Mumbai, qui abrite des minorités déplacées en 2002 en raison d’émeutes, ont indiqué que les services publics essentiels y sont quasi inexistants. La négligence de l’État a fait en sorte que des fournisseurs du secteur privé extorqueurs, que les ONG du milieu qualifient de « mafia », prennent le contrôle de l’eau, des égouts et de la répartition du territoire et soient protégés par leurs relations avec les autorités municipales. Dans le quartier de Vatwa dans la périphérie sud-est d’Ahmedabad, quelque 5 000 ménages ont été relocalisés dans des logements publics construits dans le cadre du programme de services essentiels pour les pauvres en milieu urbain. Toutefois, l’intention louable de ce programme a été pervertie par l’expulsion forcée du centre-ville de familles pauvres pour permettre l’aménagement d’un secteur immobilier et récréatif. Ces familles vivent aujourd’hui dans des quartiers affligés par la criminalité.

Au Zimbabwe, le logement a constitué l’un des principaux points d’observation des liens entre la sexospécificité, la pauvreté et l’exclusion dans les banlieues de Bulawayo, de Harare et de Kadoma. Les pressions de l’aménagement urbain et l’instabilité politique poussent les communautés déplacées vers des secteurs où le logement et les services sont précaires. Dans les immeubles à appartements de Mbare et de Shawasha, en banlieue de Harare, des garçonnières logent des familles de quatre personnes ou plus : les pièces sont délimitées par des tentures et où les installations sanitaires sont surchargées. Les recherches ont indiqué que les autorités municipales étaient complices de ces violations en délivrant des titres de location et en percevant des frais de location et de services. La corruption est omniprésente. Les résidents ont déclaré devoir soudoyer les fonctionnaires pour obtenir des terrains à bâtir et pour éviter l’expulsion.

Dans plusieurs secteurs à l’étude, l’aménagement du territoire par l’État ou le secteur privé est la principale cause de déplacement des personnes. Dans des villes du Brésil, de l’Inde, du Pakistan, de l’Afrique du Sud et du Zimbabwe, des chercheurs ont documenté des cas d’expulsion forcée – et parfois de résistance – dans des communautés qui faisaient obstacle au « progrès ».

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Un homme qui porte des seaux d'eau
Photo : Joe Lowry / Flickr

À Rio de Janeiro, des résidents d’agglomérations informelles appelées favelas ont été expulsés à l’occasion de deux récents événements de grande envergure : la Coupe du monde la FIFA en 2014 et les Jeux olympiques d’été en 2016. Des quartiers entiers ont été rasés pour faire place aux installations sportives et à l’aménagement immobilier; les protestataires ont été ciblés par les autorités et qualifiés de terroristes.

La résistance communautaire a permis de petites victoires. À Vila Autódromo, la lutte a attiré l’attention de la presse internationale, et des commerçants, résidents, ONG, chercheurs et syndicats ont uni leurs forces pour obtenir un engagement de la ville qui permettra la construction d’habitations et la revitalisation des quartiers. Néanmoins, bon nombre de personnes ont dû payer le prix fort. Maria da Penha Macena et son mari, Luiz da Silva, ont été parmi les quelques chanceux qui ont emménagé dans un bungalow après avoir vécu dans un conteneur de livraison quand leur maison de Vila Autódromo fut rasée. M. da Silva a déclaré à Dom Phillips du quotidien The Independent : « Cette ville est créée pour l’élite et il semble que l’épuration sociale soit sans bornes. »

Rupture des liens sociaux

Le déplacement brise invariablement les liens avec la famille, les voisins, l’école et les autres réseaux sociaux qui jouent un rôle important pour soutenir et stabiliser les communautés.

Des travaux de recherche en Inde et au Sri Lanka ont étudié en quoi les personnes déplacées en raison de conflit dans les environs de Jaffna diffèrent des personnes déplacées par l’aménagement urbain à Colombo et à Kochi. Ils ont relevé des différences quant à la cohésion entre les deux groupes, de même que quant à la satisfaction à l’égard de leurs nouvelles circonstances. Les résidents de la communauté de pêcheurs de Passaiyoor Est bouleversée par la guerre dans la ville de Jaffna ont dû compter non seulement sur leurs propres ressources, mais aussi sur les relations communautaires et sur leurs parents à l’étranger pour survivre durant le conflit. Même s’ils ont dû composer avec l’alcoolisme, la toxicomanie et la criminalité en pleine croissance, ils avaient un sentiment de chez-soi et d’appartenance plus grand que les personnes à Colombo qui avaient été déplacées en raison de l’aménagement urbain.

Les conditions matérielles se sont améliorées pour la plupart des personnes relogées dans les condominiums à plusieurs étages de Colombo, mais les liens sociaux se sont rompus. L’une des sources de tension a été le manque de consultation et la décision de reloger toutes les familles de la même manière, et ce, sans égard à leurs actifs avant la relocalisation. Cela a suscité des doléances chez la minorité mieux nantie, qui s’est sentie flouée. L’individualisation causée par la vie en condominium peut aussi avoir sapé le sentiment d’appartenance.

La cohésion sociale des communautés établies peut aussi jouer en défaveur des personnes déplacées, comme l’a montré le cas de Santiago au Chili. Par rapport aux quartiers à l’étude de Bogotá, en Colombie, et de Lima, au Pérou, où une proportion élevée des ménages dans les secteurs pauvres étaient des migrants, les quartiers de Santiago étaient très stables et 80 % des résidents étaient natifs de la ville. Les étrangers dans les secteurs à l’étude étant en faible nombre, ils étaient très visibles et risquaient davantage d’être vus comme des criminels et des terroristes.

Cette ville est créée pour l’élite et il semble que l’épuration sociale soit sans bornes.

M. da Silva ,Vila Autódromo, au Brésil

Le statut précaire d’étranger s’est aussi manifesté au Pakistan, où les groupes minoritaires privés de titres de propriété et de documents d’enregistrement civil étaient les plus vulnérables à la violence et au déplacement. Au moment où la recherche de terrain se terminait à Islamabad, un district largement peuplé de migrants pachtous a été rasé par les autorités.

Perturbation des moyens de subsistance

Dans les secteurs à l’étude, les sources de travail et de revenus figuraient souvent parmi les dommages collatéraux du déplacement, comme ces commerçants à Durban et à Rio, qui avaient perdu leur stand au marché, et ces femmes de Harare, qui n’avaient plus accès à leur travail après qu’on les ait isolées dans les banlieues.

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Deux enfants dans un bidonville
Photo : Lana Slezic / Panos

Les travaux de recherche à Colombo, à Jaffna et à Kochi ont permis de déterminer que la relocalisation se traduit généralement par un affaiblissement des relations de travail avec un lieu en particulier. À Kochi, par exemple, le déplacement a coupé l’accès à des ressources collectives. Bon nombre de résidents qui pratiquaient l’agriculture, élevaient du bétail ou pêchaient ont perdu leur revenu et leur sécurité. À Colombo, toutefois, les répercussions sur les moyens de subsistance ont été faibles lorsque les personnes étaient déplacées à proximité de l’endroit où elles vivaient auparavant. Certaines personnes, telles que les conducteurs de vélopousses ou de tuks-tuks, ont profité de la relocalisation dans les immeubles à plusieurs étages, car ils avaient plus de place pour se garer et plus de clientèle.

Meilleure planification urbaine pour atténuer le choc du déplacement

Dans les secteurs à l’étude, le manque d’infrastructure et de services essentiels destinés aux pauvres et aux personnes déplacées est aggravé par les lacunes de gouvernance. Les travaux de recherche ont souligné à quel point la planification urbaine n’a pas réussi à suivre le rythme de l’afflux de personnes et la transformation des villes dans les pays du Sud, ce qui a engendré l’étalement d’agglomérations informelles mal desservies. Dans plusieurs régions, la tendance à la décentralisation des pouvoirs politiques sans le transfert conséquent de ressources à l’échelon municipal rend les villes inopérantes. Les travaux de recherche ont montré que les pauvres peuvent être exploités et exclus là où la planification est tributaire des intérêts enchevêtrés des secteurs privé et public.

Les équipes ont formulé des recommandations qui peuvent aider les communautés déracinées à conserver leur dignité, leur résilience sociale et leur emploi, ainsi qu’un sentiment accru de sécurité :

  • consulter les communautés touchées avant le réaménagement des lieux et les amener à participer activement aux processus de planification;
  • aider les personnes déplacées à maintenir ou à rétablir de fertiles liens d’emploi et liens sociaux;
  • veiller à ce que les communautés soient relogées là où il y a des perspectives d’emploi, des écoles, d’autres ressources essentielles et des moyens de transport;
  • donner aux gouvernements municipaux les ressources et les compétences pour créer des aménagements urbains inclusifs;.
  • planifier la gouvernance et l’entretien à long terme des services essentiels afin que la distribution en soit juste et durable;
  • s’attaquer à la corruption dans les organismes d’État responsables du logement, de l’aménagement du territoire et de la prestation des services;
  • soutenir le rôle de la société civile dans la défense des personnes aux prises avec la menace d’expulsion et la négligence de l’État;
  • aider les communautés déplacées et à risque à accéder à l’aide juridique.

Types de déplacement forcé examinés par la recherche SAIC

Development-driven

In cities across the Global South, urban development is squeezing the poor out of urban centres where land is in high demand for commercial and luxury residential use. In several cities under study, including Durban (South Africa), Rio de Janeiro (Brazil), and Ahmedabad (India), land development and the subsequent displacement of slum dwellers have been justified in part under the banner of improving housing and services for the poor.

Conflict-driven

In Jaffna (Sri Lanka), Bogotá (Colombia), and Lima (Peru), displacement due to recent or historic conflict was a factor in the levels of vulnerability experienced by the urban poor, and the expressions of social cohesion within neighbourhoods.

Politically-driven

Housing and service access has been used by municipal and other levels of government to reward supporters and punish opposition members, as in Zimbabwe, where suspected opponents of the ruling party were subject to housing demolition campaigns in the 1990s. In Ahmedabad and other cities of India, political targeting has at times reinforced communal conflict, where political allegiances follow ethnic or religious divisions.