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Comment y arriver : surmonter les obstacles à la maternité sans risques en Éthiopie

 

Des campagnes d’information menées à Jimma, en Éthiopie, soulignent l’importance des accouchements sous surveillance médicale.

Bon nombre de femmes enceintes vivant dans les régions rurales d’Éthiopie doivent encore parcourir de longues distances pour se rendre dans un établissement de santé où des soins obstétricaux d’urgence de base sont offerts. Toutefois, des recherches menées par l’Université Jimma, en Éthiopie, et par l’Université d’Ottawa, au Canada, montrent que cette situation peut s’expliquer tant par des facteurs culturels et des infrastructures des services que par la mauvaise qualité des routes et les longues distances à parcourir.

Bien que les femmes enceintes bénéficient d’un soutien pour accoucher dans des établissements de santé avec l’aide d’accoucheuses qualifiées, l’Enquête démographique et de santé (EDS) réalisée en Éthiopie en 2016 a montré que moins de 20 % des femmes en milieu rural profitent de ces services. Dans la zone Jimma, où l’équipe de recherche canado-éthiopienne a travaillé, seulement 26 % des femmes ont accouché dans un établissement de santé. Ce faible taux de fréquentation contribue au taux élevé de 353 décès maternels pour 100 000 naissances vivantes et à un taux de mortalité néonatale de 29 pour 1 000 naissances vivantes.

Un défi permanent : accoucher dans des établissements de santé

Bien qu’élevés, ces chiffres représentent une nette amélioration par rapport aux taux de 2003, année où le programme phare de vulgarisation sanitaire du pays a été lancé. Entre-temps, plus de 16 440 postes sanitaires ont été créés, dotés de deux agents de vulgarisation sanitaire salariés et formés. À leur travail s’ajoute celui des agents de santé communautaire bénévoles qui font la promotion des services de santé.

Depuis la mise en oeuvre du programme phare, l’accès à la planification familiale, aux soins prénataux, au dépistage du VIH et à l’immunisation des enfants s’est amélioré. Le taux d’accouchement dans les établissements de santé, cependant, ne montre que peu de changement. Les progrès dans ce domaine échappent aux autorités sanitaires malgré l’adoption de mesures telles que les aires d’attente pour les mères. Ces établissements sont situés dans les centres de santé ruraux, et les femmes en fin de grossesse peuvent y rester pour faire l’objet d’un suivi, le but étant de déceler les complications en attendant l’accouchement. Le projet de recherche coopératif dans la zone Jimma a révélé que moins de 7 % des femmes enceintes utilisaient ces aires d’attente pour les mères en 2017, et que 64 % sont arrivées dans les 24 heures seulement précédant l’accouchement. Ces résultats mettent en évidence le défi que doit relever le gouvernement pour réduire les décès maternels et néonataux.

Le Projet de recherche sur la maternité sans risques, financé dans le cadre de l’initiative Innovation pour la santé des mères et des enfants d’Afrique (ISMEA), met à l’essai deux mesures visant à accroître l’utilisation des services de santé maternelle et infantile. La première consiste à moderniser les aires d’attente pour les mères; la seconde consiste en des campagnes d’information visant à sensibiliser les collectivités à la nécessité des soins prénataux et postnataux ainsi qu’à l’importance d’un accouchement sous surveillance médicale.

Améliorer les normes des aires d’attente pour les mères

Fournir des aires d’attente pour les mères pleinement opérationnelles est une intervention clé parce que, comme le précise Ronald Labonté, codirecteur du projet à l’Université d’Ottawa, « celles-ci devraient être financées et soutenues par les communautés locales, mais dans de nombreux cas, elles n’ont simplement pas été construites ou mises à niveau comme elles devraient l’être. Cela devient un obstacle – les femmes ne veulent pas s’y rendre parce qu’elles ne sont pas accueillantes. » Les femmes qui restent dans ces foyers font part de leurs expériences – qu’elles soient bonnes ou mauvaises – ce qui, à son tour, influe sur la décision d’autres femmes de les fréquenter ou non.

Comme les chercheurs l’ont découvert, les aires d’attente pour les mères variaient beaucoup, notamment sur le plan de l’infrastructure, des commodités et des services. En collaboration avec le bureau zonal de la santé à Jimma, l’équipe a déterminé 11 critères auxquels ces aires devraient répondre pour être pleinement fonctionnelles, y compris l’approvisionnement continu en eau et en électricité et la présence de préposés formés pour préparer des aliments adaptés sur le plan culturel à l’intention des femmes. Aucun des 24 établissements qu’ils ont évalués n’était à la hauteur.

Le projet a fait l’amélioration de huit établissements choisis au hasard. « Nous devions les mettre sur pied et les faire fonctionner comme il se devait pour qu’elles puissent agir concrètement sur la santé des mères et des enfants », affirme M. Labonté.

Communiquer pour réussir

Les chercheurs ont également constaté que les femmes ne comprennent pas bien les services et qu’elles ne les perçoivent donc pas comme nécessaires. Les agents de vulgarisation sanitaire sont d’accord avec cette analyse : « Si nous ne pouvons pas expliquer clairement les avantages, les femmes ne viendront pas », a déclaré un agent.

Afin d’accroître le soutien de la collectivité à l’utilisation des établissements de santé et des aires d’attente pour les mères, les chercheurs ont mis au point des outils de communication pour informer les agents de vulgarisation sanitaire, les conjoints, les chefs religieux et les membres de la collectivité en général sur les soins maternels et infantiles et les avantages de l’accouchement dans des établissements de santé. Comme le souligne le chef de projet de recherche éthiopien Lakew Abebe, des chefs religieux et des agents de santé communautaire bénévoles ont participé à la mise en oeuvre des deux interventions mises à l’essai, en particulier les campagnes d’information et d’éducation, « parce qu’elles ont une grande influence sur les membres des collectivités. » 

Réaffirmant les normes de sa communauté, un chef religieux a fait la déclaration suivante : « Je n’acceptais pas qu’[une femme] y demeure, laissant sa famille à la maison, alors que sa date d’accouchement n’était pas encore atteinte. » Cette attitude était répandue tant chez les hommes que chez les femmes. Les normes, les rôles et les relations sexospécifiques traditionnels étaient évidents dans la zone Jimma, où de nombreuses femmes interrogées estimaient que leur place était au foyer, en particulier si elles avaient d’autres enfants. Parfois, les maris s’opposaient à ce qu’elles passent du temps loin de leur foyer et de leurs responsabilités domestiques. En fait, les chercheurs ont constaté que la moitié des femmes dépendaient de leur partenaire masculin pour prendre des décisions : dans 30 % des cas, les maris décidaient même où leur femme devait accoucher. Compte tenu de leur influence, la participation des hommes à la discussion était une priorité.

Évaluer les répercussions

L’équipe analyse les données recueillies pour évaluer les répercussions de ses interventions et elle utilise la vidéo pour documenter l’utilisation des aires d’attente pour les mères. Bien que les résultats ne soient pas encore totalement compilés, on constate, après un suivi, que les femmes sont plus nombreuses à fréquenter ces établissements dans les régions d’intervention du projet.

Les chercheurs ont constaté que le succès de ces établissements et l’utilisation d’autres services de santé maternelle et infantile dépendent du rôle actif du soutien de la collectivité. Un soutien important de la part des dirigeants communautaires devrait stimuler l’utilisation des services de santé maternelle – en particulier le nombre d’accouchements dans des établissements de santé – ce qui devrait améliorer la santé des mères et des enfants.

Regardez le documentaire du Projet de recherche sur la maternité sans risques

Lisez les résultats de cette recherche