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Baisse de la transmission de l’opisthorchiase dans le nord-est de la Thaïlande

 

Un nouveau modèle, mis à l’épreuve dans le nord-est de la Thaïlande, montre qu’une démarche à plusieurs volets – traitement médical, surveillance des écosystèmes et mobilisation communautaire – peut lutter efficacement contre la transmission de l'opisthorchiase.

Le poisson cru avec salade épicée — le koi pla — est un plat très apprécié en Thaïlande. Mais chaque année, des milliers de personnes sont infectées par un parasite, l’Opisthorchis viverrini ou l'opisthorchiase, qui se transmet aux humains par ingestion de poisson cru ou insuffisamment cuit. C’est en Thaïlande que l’on observe la plus forte incidence au monde du cholangiocarcinome, forme mortelle de cancer du foie liée à l’O. viverrini. Dans certaines régions, près de 85 % de la population est porteuse du parasite. Les villages du nord-est de la Thaïlande, où l’on raffole du poisson cru, ont des taux d’infection parmi les plus élevés du pays. Les personnes infectées peuvent porter le parasite adulte pendant des années, et présenter des symptômes allant de l’indigestion à la malnutrition et à l’inflammation d’organes, ce qui risque de conduire au cancer dans les cas prolongés.

Le traitement pharmacologique standard des personnes infectées par l'opisthorchiase s’est révélé inefficace, à lui seul, pour briser le cycle de transmission dans les collectivités les plus touchées. L’organisme n’infecte pas que les humains, mais également les animaux comme les chats et les chiens, qui mangent aussi du poisson cru. Beaucoup de ceux qui sont porteurs de la douve n’ont pas de symptômes, et continuent de contaminer les sources d’eau locales par des excréments contenant des oeufs du parasite, dans les régions où les conditions d’hygiène sont mauvaises. En raison de ces facteurs complexes, la transmission se poursuit obstinément dans les collectivités touchées.

La recherche : mise à l’épreuve d’un nouveau modèle d’intervention

Depuis 2008, le Bureau national de sécurité sanitaire de la Thaïlande et l’Université de Khon Kaen se penchaient sur un nouveau modèle d’intervention afin de s’attaquer à l’infection par l'opisthorchiase dans la province de Khon Kaen, plus précisément dans la région du lac de Lawa, où l’O. viverrini est endémique. En 2011, dans le cadre d’un partenariat de recherche multinational axé sur les maladies parasitaires en Chine et dans cinq pays d’Asie du Sud-Est, l’équipe a reçu une formation sur les démarches écosanté. Celles‑ci enrichissent la recherche sur les maladies infectieuses en y apportant des perspectives socioéconomiques, écologiques ou relevant des sciences des systèmes. Les chercheurs ont été par la suite en mesure de consolider le « modèle Lawa » en examinant de quelle façon les écosystèmes lacustres et les pratiques locales en matière d’alimentation et d’hygiène pouvaient favoriser la transmission.

TROPICAL DISEASE RESEARCH LABORATORY/KHON KAEN UNIVERSITY Surveillance des populations locales de carpes (cyprinoïdes). Ces poissons, mangés crus, sont la principale cause de l’infection chez les humains.

On a d’abord soumis onze villages comptant une population totale de 5600 habitants à un processus de sélection; quatre villages ont été choisis pour la mise à l’épreuve de la nouvelle démarche écosanté. Le modèle Lawa conjugue le traitement médical des humains et des animaux infectés, une campagne intensive de sensibilisation à l’hygiène dans les écoles et auprès de l’ensemble de la population ainsi que la surveillance des écosystèmes, afin de rompre le cycle de vie du parasite et de prévenir de nouvelles infections.

En premier lieu, le ministère de la Santé publique a eu recours au praziquantel, un médicament qui tue les vers, pour traiter les villageois infectés et leurs animaux. Ensuite, on a donné à des bénévoles des quatre villages une formation sur le cycle de vie et le mode de transmission de l'opisthorchiase, et sur les moyens que chacun peut prendre pour se prémunir contre l’infection. Ces bénévoles — chefs de village, responsables de la santé, enseignants — ont été des agents de changement. Ils ont organisé des expositions publiques, pour susciter une prise de conscience par des descriptions saisissantes du parasite et de ses effets. Par exemple, ils ont utilisé des microscopes pour montrer aux autres villageois des spécimens de foies infectés, et les douves elles-mêmes. Ils se sont servis de chansons populaires et de vidéos pour expliquer comment se fait la transmission. Seize bénévoles ont rendu visite à 186 ménages et ont organisé des campagnes de sensibilisation dans les écoles, pour amener les membres de la collectivité à prendre conscience des dangers que présente la consommation de poisson cru et les informer des pratiques de défécation hygiéniques.

La conjugaison du traitement médical et de la sensibilisation de la population a été très efficace en raison du cycle de vie complexe du parasite. Les oeufs contenus dans l’eau du lac sont consommés par des espèces locales de gastéropodes d’eau douce; chez ces premiers hôtes, les larves éclosent et se développent pendant six à huit semaines, avant de cibler des espèces locales de poissons cyprinoïdes, formant des kystes dans leur tissu musculaire. Lorsque les poissons sont mangés, par des humains ou des animaux, les parasites se logent dans les canaux biliaires, où ils deviennent adultes et se mettent à pondre des oeufs. Une fois les oeufs rejetés dans le lac par la contamination fécale, le cycle recommence.

En suivant le traitement approprié et en prenant les mesures d’hygiène nécessaires, les villageois ont rompu ce cycle. Comme les poissons hôtes ont une durée de vie de seulement deux à trois ans, des progrès rapides ont été accomplis.

Le résultat : une chute spectaculaire des taux d’infection

Grâce aux efforts de toute la collectivité, le taux d’infection a baissé de moitié chez les villageois, de 2011 à 2013. Et chez les poissons qui transmettent le parasite, il est passé de 70 % à moins de 1 %.

L’efficacité du modèle Lawa est aujourd’hui reconnue à l’échelle nationale et internationale, et on s’emploie à en étendre l’utilisation à d’autres parties de la Thaïlande et aux pays voisins. Le Département de lutte contre les maladies et le ministère de la Santé publique de la Thaïlande comptent appliquer cette démarche dans toutes les provinces du nord-est, la région du lac de Lawa devant servir de lieu de formation pour les personnes chargées de la lutte intégrée contre l'opisthorchiase là où le parasite est endémique. Grâce à la publication d’articles dans des revues à comité de lecture et à la présentation de communications à l’occasion de conférences internationales, les constatations des chercheurs peuvent être consultées par les établissements de santé du monde entier.

Résultats obtenus grâce au modèle Lawa

  • a diminué de moitié dans les villages ciblés par le projet.
  • L’infection chez les poissons hôtes est passée de 70 % à moins de 1 %.
  • Les autorités thaïlandaises entendent appliquer la démarche dans tout le nord-est du pays.

Le projet Stratégies novatrices visant à lutter durablement contre la bilharziose asiatique et les autres zoonoses attribuables à l’helminthiase au moyen d’interventions socioécosystémiques est l’un des trois projets multinationaux appuyés par l’Initiative de recherche en écosanté sur les maladies infectieuses émergentes (éco‑MIE), initiative de collaboration en matière de recherche et de renforcement des capacités en Asie du Sud-Est. L’initiative éco‑MIE est financée conjointement par Affaires mondiales Canada (par le truchement de l’Initiative de recherche en santé mondiale), par le ministère des Affaires étrangères et du Commerce de l’Australie et par le Centre de recherches pour le développement international (CRDI), organisme canadien. Depuis 1996, le CRDI soutient des recherches pluridisciplinaires qui examinent les interactions entre les écosystèmes, les dynamiques sociales et la santé humaine.

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En savoir plus sur les résultat de la démarche de recherche écosanté