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Établir un pont entre les préoccupations humanitaires, de développement et de sécurité pour faire progresser la santé pour tous

 

Qamar Mahmood

Administrateur(trice) de programme principal(e), CRDI

Fawad Akbari

Senior Program Manager, Aga Khan Foundation Canada

La pandémie de COVID-19 a montré comment une menace sanitaire mondiale peut rapidement saper les progrès du développement et faire payer un lourd tribut aux personnes les plus vulnérables du monde, notamment aux pauvres des zones urbaines à faible revenu, aux populations déplacées et aux victimes d’une mauvaise gouvernance, de catastrophes et de conflits armés, qui ont subi les contrecoups des efforts déployés pour contenir cette pandémie.

Pendant des décennies, ces groupes marginalisés ont été au centre de l’aide humanitaire, de l’aide au développement  et des efforts visant à favoriser la paix et la sécurité à l’échelle mondiale. Toutefois, ces trois secteurs ont souvent travaillé chacun de son côté. Ils requièrent désormais une plus grande collaboration et davantage d’innovation pour soutenir les transitions de sortie de crise, pour avoir un impact significatif et durable sur la santé et le bien-être, et pour promouvoir l’égalité des genres.

La Banque mondiale estime que deux tiers des pauvres du monde vivront dans des environnements caractérisés par la fragilité, les conflits et la violence d’ici 2030. Ces dernières années, le nombre de personnes déplacées a augmenté et les pays à revenu faible ou intermédiaire qui étaient déjà confrontés à leurs propres problèmes intérieurs accueillent désormais 84 % des 25,4 millions de réfugiés dans le monde, selon l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés. Des plateformes internationales telles que le Pacte mondial sur les réfugiés et le Forum mondial sur les réfugiés ont fait référence à la nécessité, pour les acteurs de l’aide humanitaire, de l’aide au développement et du renforcement de la paix et de la sécurité, de travailler ensemble. L’appel à une convergence des secteurs dans ce « triple nexus » a eu jusqu’à présent un effet limité sur les politiques et la programmation, mais la recherche peut fournir des renseignements clés sur la manière dont les secteurs peuvent améliorer la collaboration et prendre des décisions fondées sur des données probantes.

Le décloisonnement pour améliorer les conditions de vie

Un partenariat de cinq ans établi avec le ministère de la Santé publique de l’Afghanistan, Affaires mondiales Canada et l’Agence française de développement, et qui est dirigé par la Fondation Aga Khan Canada (AKFC), est un exemple de cette programmation collaborative. Bien qu’il soit mis en oeuvre dans des environnements peu sûrs, le Plan d’action pour le secteur de la santé en Afghanistan a permis d’établir et d’entretenir des relations avec divers acteurs de différents secteurs afin d’améliorer la santé, la nutrition, la sécurité alimentaire, l’accès à l’eau et à l’assainissement, l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes. Le programme a mobilisé les communautés locales et les organisations de femmes dans 37 districts pour faire en sorte que la violence et l’insécurité n’entravent pas les progrès en matière de santé des femmes et des enfants.

On trouve un autre exemple de collaboration intersectorielle à Torit, au Soudan du Sud, où une équipe de recherche a travaillé avec des groupes d’épargne pour femmes participant à des activités de consolidation de la paix, afin de faire participer les collectivités à la prise de décisions en matière de santé. Dans le cadre de l’initiative Innovation pour la santé des mères et des enfants d’Afrique (ISMEA), qui s’étend sur sept ans, et en partenariat avec le ministère de la Santé du Soudan du Sud, le projet a permis de sensibiliser davantage les collectivités aux questions de santé et de mobiliser les femmes pour résoudre les problèmes et améliorer la réactivité des services de santé. Grâce à leur participation au projet de recherche, les femmes ont réalisé qu’il était essentiel de répondre à leurs besoins en matière de santé et ont plaidé avec succès en faveur du changement, par exemple en embauchant des sages-femmes supplémentaires dans les établissements de soins.

Six domaines prioritaires pour une collaboration durable

Le Centre de recherches pour le développement international (CRDI) et l’AKFC ont organisé conjointement un symposium sur la santé mondiale et le genre dans le triple nexus afin d’échanger des enseignements et d’encourager le dialogue sur la façon dont les secteurs de l’humanitaire, de l’aide au développement et du renforcement de la paix et de la sécurité peuvent travailler ensemble. Les priorités suivantes ont été établies pour promouvoir une programmation plus efficace :

Concilier l’action à court et à long terme Les réponses humanitaires qui contournent les systèmes communautaires et les structures formelles les affaiblissent. Par exemple, des réponses apportées par le passé à des crises sanitaires ont sapé le rôle des agents de santé communautaires, les structures du système de santé et les efforts à long terme visant à renforcer les capacités. De même, les approches en matière de développement – y compris le renforcement des systèmes de santé – ne doivent pas négliger les aspects de l’état de préparation qui sont essentiels pour répondre aux crises et pour assurer un relèvement rapide. Les années d’investissement de l’AKFC pour renforcer les institutions locales dans le nord du Mozambique ont permis aux groupes communautaires d’agir comme premiers intervenants lorsque le cyclone Idaï a frappé en 2019. Les efforts d’assistance, de rétablissement et de résilience doivent être menés main dans la main en toutes circonstances.

Améliorer l’intégration entre la paix et la sécurité, l’humanitaire et les efforts de développement – Les acteurs de la paix et de la stabilisation peuvent fournir le contexte historique et politique qui est crucial pour concevoir et mettre en oeuvre des interventions humanitaires et de développement solides. De façon analogue, les acteurs de l’humanitaire et du développement peuvent jeter les bases de la reconstruction de la paix et de la stabilité si celles-ci sont mis en oeuvre de manière coordonnée. Par exemple, de récentes évaluations d’Affaires mondiales Canada montrent que les organisations de déminage en Colombie ont réussi lorsqu’elles ont coordonné leurs efforts avec les acteurs du développement pour permettre l’entrée en toute sécurité des projets de soutien aux coopératives agricoles.

Se concentrer sur l’égalité des genres dans tous les secteurs du nexus – La promotion de l’égalité des genres doit être un objectif spécifique des interventions humanitaires, de développement et de rétablissement de la paix afin de s’assurer qu’elles n’exacerbent pas les inégalités entre les sexes. Les résultats d’une recherche menée au Kenya et en Ouganda avec le soutien de l’initiative ISMEA mettent en évidence les contraintes sexospécifiques auxquelles sont confrontées les travailleuses de la santé en raison des problèmes de sécurité, de la lourde charge de travail à domicile et dans la collectivité, et des limitations de l’accès aux capitaux et aux transports, qui sont aggravés dans les contextes fragiles.

Élaborer des stratégies et des lignes directrices qui tiennent compte du contexte – Les stratégies et les lignes directrices opérationnelles mondiales sont souvent insuffisantes ou ne tiennent pas compte du contexte. Un exemple de cela est l’utilisation des orientations du secteur humanitaire pour diriger l’aide aux populations déplacées qui restent dans les pays d’accueil pendant de longues périodes. L’élaboration de lignes directrices adaptées au contexte pour les activités de développement, les situations de conflit et les contextes humanitaires peut améliorer l’efficacité. Le CRDI a soutenu un effort mondial (dont il est fait état dans un numéro spécial de la revue Conflict and Health) visant à élaborer des lignes directrices en matière de santé maternelle et infantile dans les situations de conflit.

Renforcer la collaboration par la recherche dans les trois secteurs – La recherche est essentielle pour déterminer les obstacles organisationnels à la collaboration, concevoir des interventions fondées sur des données probantes qui couvrent l’ensemble du nexus et produire des données intégrées et désagrégées pour mettre en évidence les impacts sur les groupes vulnérables, notamment les femmes et les filles.

Faire participer les collectivités et la société civile locale à la prise de décisions dans les trois secteurs – Le transfert de programmes et de solutions d’un contexte à un autre conduit souvent à des résultats sous-optimaux. Encourager la participation active des collectivités et des organisations non gouvernementales qui sont représentatives de tous les membres de la société peut améliorer les résultats.

Les avantages d’une collaboration intersectorielle l’emportent sur les difficultés. Face à la pandémie de COVID-19, aux risques climatiques croissants et aux menaces de conflit persistantes, nous devons harmoniser les mandats des organisations afin de créer une programmation plus cohérente, d’accroître les flux de financement et d’améliorer la communication et l’échange des connaissances dans les secteurs de l’humanitaire, du développement et du renforcement de la paix et de la sécurité.